Scénario d'une victoire islamiste en Algérie

Le ministère de l'intérieur a servi de bras répressive pour empêcher toute alternative démocratique en Algérie.
Le ministère de l'intérieur a servi de bras répressive pour empêcher toute alternative démocratique en Algérie.

Le printemps arabo-islamique en Algérie est en train de s’écrire dans un scénario, sinon concerté, du moins imposé de lui-même par les événements.

Les dernières sorties et mises en place nationales et internationales ne font planer aucun doute. La transmission du pouvoir aux islamistes doit pouvoir se faire sans violence ni insurrection, comme au Maroc. Il y a d’abord la sortie préventive du parti islamiste MSP du navire de l’Alliance présidentielle qui prend l’eau, et s’apprête à couler aux prochaines élections, à moins d’une fraude massive.

Les hommes du pouvoir s’agitent et se transforment en talebs ou institut de sondage pour prédire le score islamiste. Du chiffre précis de 40% énoncé par le SG contesté du FLN, Abdelaziz Belkhadem, au ton autoritaire du ministre de l’Intérieur Daho Ould Kablia, sortant de son devoir évident de réserve, pour affirmer que "les islamistes ne gagneront pas les élections". Le premier ministre Ahmed Ouyahia, fraudeur hautement qualifié, chef d’une coquille partisane vide nommée RND, précise qu’avec le système proportionnel à un tour, aucun parti ne peut obtenir la majorité.

En vérité, ces gens-là adressent des messages officiels désespérés à toutes les clientèles du régime qui quittent les partis du pouvoir pour frapper aux portes du MSP.

Tout ce que le pays compte de "pouvoiristes" (chefs de tribu, notables, hommes d’affaires, commerçants, fonctionnaires, …) sont scotchés, depuis un an, sur la chaîne Al Jazeera et voient défiler sous leurs yeux la nouvelle mode politique et vestimentaire du monde arabe. Après l’ère des coups d’Etat, voici venu le temps des islamistes. Pragmatiques, ils s’éloignent des casquettes et uniformes pour se rapprocher des barbus et kamis. Les places sur les listes électorales se négocient à l’avance et très cher. Informé par ses bases des nouvelles demandes d’adhésion au MSP, Bouguerra Soltani a donc vite fait le grand écart en quittant l’Alliance, sans quitter le gouvernement. On ne sait jamais.

Les seuls partis d’opposition théoriquement capables de contrer les stratégies aussi bien du pouvoir que des islamistes paient aujourd’hui leur mésentente et leur immobilisme. Les états-majors des deux partis berbéro-démocrates, RCD et FFS, annoncent déjà la couleur du boycott. Dans leur langage politico-médiatique, ils dénoncent les mécanismes classiques de fraude. En réalité, eux aussi lancent des messages codés désespérés au pouvoir. Craignant une nouvelle humiliation électorale, comme celle de décembre 1991, ils veulent avoir de nouveau droit à une pratique qu’ils ont toujours dénoncée, celle des quotas électoraux.

A moins que les rumeurs persistantes de négociations secrètes entre le pouvoir et le FFS, feront de Saïd Sadi le dindon de la farce de ce jeu de dupes, visant à écarter un RCD anti-islamiste notoire qui veut gâcher la fête. Peut-être n'ont-ils pas encore compris que les militaires n’ont plus toutes les cartes en mains pour frauder. Les puissances occidentales, qui étaient les premières à vouloir empêcher les islamistes d’accéder au pouvoir, sont aujourd’hui les premières à souhaiter leur accession et le font savoir aux dirigeants algériens. Les temps ont changé et ils ont leurs raisons.

La première est que l’Occident ne veut pas revivre le terrorisme qui a suivi l’annulation des élections et débordé les frontières algériennes pour s’exporter en Europe et ailleurs. Si le ministre des Affaires étrangères, Mourad Medelci, a été convoqué à Paris puis à Washington, ce n’est pas pour aller raconter des histoires, mais pour bien s’entendre dire et transmettre leurs nouveaux "souhaits". Il en est revenu avec un ordre clair et net : "Les militaires n’annuleront pas les élections en cas de victoire des islamistes".

La deuxième raison est que la grave crise économique et monétaire est prioritaire dans leur agenda. Le pétrole coûte déjà assez cher. En outre, l’administration américaine prépare la réélection d’Obama, alors que Sarkozy risque de ne pas être réélu.

La troisième est que la crise financière a un besoin urgent des pétrodollars de l’Algérie et surtout des pays du Golfe qui tiennent les chefs des partis islamistes dans leur giron. La quatrième est que les islamistes sont des partisans du libéralisme économique et du business sans frontières, comme les Occidentaux. En ces temps de crise, cette convergence économique est fondamentale. Dans cette nouvelle configuration géopolitique, les islamistes algériens doivent absolument faire preuve de maturité politique pour se hisser à la hauteur du grand événement qui approche, déjà précédé par une islamisation, voulue ou forcée, de la société et des mentalités.

Un appel lancé dernièrement pour l’unité d’action est très pertinent, pas seulement pour les islamistes mais pour tout le pays, l’Afrique du nord et la stabilité politique dont ils ont grandement besoin. A quoi sert-il de créer de nouveaux partis clonés et divisés, selon les vœux d’une administration paternaliste et dominatrice. Les suppliques des nouveaux prétendants et la morve orgueilleuse et bureaucratique d’Ould Kablia sont pathétiques d'un sous-développement politique. D'autant plus que l'écrasante majorité des militants de l'islamisme modéré sont issus du mouvement des Frères Musulmans. A l’image des tunisiens, marocains, égyptiens, les leaders islamistes doivent taire leurs ego et leurs querelles personnelles, pour se ranger tous sous la bannière d’un parti légal et bien structuré, le MSP. Ils feront l’économie de congrès coûteux et de complications procédurières totalement superflues.

Pour cela, Soltani doit démissionner de la tête du MSP et laisser place à un nouveau leader consensuel dans un congrès réconciliateur. Les partages des postes du pouvoir, après les élections, peuvent se négocier dès à présent. La primature à Soltani, la présidence de l’Apn à Abdallah Djaballah, les Affaires étrangères à Abdelmadjid Menasra, etc. La stabilité politique et un bon voisinage maghrébin à long terme sont devenus pour des algériens, qui ont trop longtemps et durement souffert, une priorité absolue loin des impostures et des malversations électorales criminelles. De même que pour les hommes forts du pouvoir militaire, très familiarisés aujourd'hui avec la mouvance panislamique, il est temps de tourner la page du régime autoritaire qui se mêle de cuisine politique, pour concentrer ses efforts sur la sécurité globale de l'Afrique du Nord.

Saâd Lounès

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Commentaires (3) | Réagir ?

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Guel Dring

Cela ne va pas être une fiction mais une réalité !!

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khelaf hellal

Dans sa politique de compromission totale avec la vieille garde conservatrice et son bras droit la secte islamiste n'offrant aucune chance aux partis démocrates prônant la liberté, la modernité et le respect des valeurs universelles comment le pouvoir compte-t-il faire contrepoids en cas de carton électoral des islamistes au prochain scrutin ? Une éventualité que feint de nous cacher ce pouvoir mais qui n'est pas totalement à écarter ? A mon avis, nous allons encore une fois nous acheminer vers un remake du processus électoral de 1991 que le pouvoir veut faire achever et concrétiser même avec du retard sur les décombres de près de 200. 000 victimes sacrifiées à l'autel de la bêtise humaine.

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