Avec la canalisation gazière russe, le Galsi algérien remis en cause ?

Le Galsi est concurrencé par les projet de gazoduc russes.
Le Galsi est concurrencé par les projet de gazoduc russes.

Le maire de la Sardaigne avait déclaré à la télévision France 3 Corse, 26 novembre 2011 que "le projet Galsi venant d’Algérie ne passera en Sardaigne dans son tracé initial". Voilà qui complique la donne.

La Russie possède un tiers des réserves mondiales de gaz conventionnel et surtout le savoir-faire technologique et managérial contrairement à des pays comme l’Algérie dont le coût de transfert technologique est élevé (11/12 milliards de dollars de transfert de devises en services entre 2011/2012) contre 15% pour l’Iran et 10% pour le Qatar. Ces trois pays totalisent plus de 50% des réserves mondiales, l’Algérie ayant un taux 2,5% pour 4500 de milliards de mètres cubes gazeux, données de 2008. Dans ce cadre, il faut prendre avec une extrême précaution la déclaration du ministre de l’Energie et des Mines concernant le pétrole qui a annoncé, fin décembre 2011, que 20 nouvelles découvertes ont été réalisées en 2011, dont certaines dans le Nord du pays et qu’en 2010, 29 découvertes d'hydrocarbures dont 27 par Sonatrach.

Les gisements du nord sont marginaux

En effet ce ne sont que des gisements marginaux, et selon nos informations, se pose la question de leur rentabilité, car on peut découvrir des milliers de gisements mais non rentables selon le couple coût/vecteur prix international. Si ces découvertes avaient pu reconstituer les réserves alors pourquoi modifier la loi des hydrocarbures ? L’Algérie étant avant tout un pays gazier, se pose tout le problème de savoir si face à la concurrence notamment russe, elle a une stratégie gazière ? Car on doit prendre au sérieux la déclaration du premier ministre russe d’accélérer la réalisation de Sout Stream, principal conçurent de Galsi et également de Transmed. Le marché principal étant l’Europe, l’Algérie ne va-t-elle pas perdre des parts de marché ? Comme il y aura lieu de tenir compte de la donne libyenne qui avec des réserves de 1500 milliards de mètres cubes gazeux non exploitées peut devenir un sérieux concurrent.

La stratégie offensive de Gazprom à travers Northstream et Southstream

Le 8 novembre 2011 a été inauguré en Allemagne le gazoduc Nord Stream, qui permet l’acheminement de gaz russe en Europe. GDF Suez a investi quelque 240 millions d’euros dans le projet, et d’autres groupes du gaz y participent, notamment le géant russe Gazprom, les allemands EON, BASF et le néerlandais Gasunie. C’est un projet stratégique dont le tracé, d'une longueur de 1 224 km, doit à terme permettre de transporter 55 milliards de mètres cubes de gaz par an de Vyborg jusqu'à la ville allemande de Greifswald en traversant les eaux territoriales de la Russie, de la Finlande, de la Suède, du Danemark et de l'Allemagne. "Le volume de gaz fourni (sera) comparable à l'énergie produite par onze centrales nucléaires", a expliqué Vladimir Poutine lors de l’inauguration. La première conduite, d'une capacité de 27,5 milliards de mètres cubes, a été achevée en mai. Une deuxième est en cours de construction et doit être entièrement posée d'ici à la fin 2012, doublant la capacité de la liaison. Le vice-premier ministre russe, Igor Setchine, a indiqué que le montant du projet s'élevait à 8,8 milliards d'euros en tenant compte des coûts de financement.

Quant au projet de South Stream, concurrent direct de l’Algérie, afin de le mettre en œuvre, le russe Gazprom et Eni ont créé en 2008 la compagnie South Stream AG. En juin 2010, ils ont signé un mémorandum visant à associer le groupe français EDF au projet. En mars 2011, Gazprom et Wintershall Holding GmbH ont signé un mémorandum d'entente sur la participation de la compagnie allemande à la construction du tronçon sous-marin du gazoduc. Tout comme Nord-Stream, il doit permettre à la Russie de contourner l'Ukraine, principal pays de transit. Fin décembre 2011, le Premier ministre russe, Vladimir Poutine, a exigé que les travaux du gazoduc South Stream, destiné à livrer du gaz russe à l'Union européenne via la mer Noire, commencent dès fin 2012 et non plus en 2013 comme prévu initialement dans le projet pour se terminer en 2015. Lors de cette rencontre le feu vert a été donné par la Turquie à la Russie pour faire passer South Stream dans ses eaux territoriales en mer Noire, cette dernière ayant signé un accord avec l'Autriche sur South Stream, dernier document nécessaire pour lancer le projet. Auparavant, Moscou la Russie avait déjà signé des accords intergouvernementaux avec la Bulgarie, la Serbie, la Hongrie, la Grèce, la Slovénie et la Croatie.

Long au total de 3.600 km, (la longueur du tronçon sous-marin sera d'environ 900 km et sa profondeur maximale de plus de 2.000 m), South Stream doit alimenter en gaz russe l'Europe occidentale, notamment la Bulgarie, la Serbie, la Hongrie, la Slovénie et l’Autriche, la Grèce et l'Italie, via la mer Noire et les Balkans. Il doit permettre à la Russie de contourner l'Ukraine, principal pays de transit. Le groupe français Electricité de France devrait recevoir 20% des parts du gazoduc South Stream et ce gazoduc acheminera environ 35% du gaz russe destiné à l'Europe. D'une capacité de 63 milliards de m3 de gaz, le tronçon sous-marin doit entrer en service en 2015, le coût estimatif du projet étant évalué à 15,5 milliards d'euros. L’ensemble de ces projets remettent en cause le projet Nabucco. Rappelons qu’en décembre 2011, simultanément la Turquie et l'Azerbaïdjan annoncent la mise en place du gazoduc transanatolien qui absorbera le gaz de Shah Deniz initialement envisagé pour Nabucco qui est un projet de gazoduc reliant l’Iran et les pays de la Transcausasie à l’Europe centrale. Soutenu initialement par l’Union européenne (UE), il devait permettre, dès 2017, de diversifier les sources d'approvisionnement énergétique de l'Europe, notamment d'un pays comme la Hongrie, qui dépend à 80 % du gaz russe. D'une longueur de 3300 km, il aurait une capacité maximale de 31 milliards de mètres cubes de gaz. Son coût, initialement prévu à 7,9 milliards d'euros s'élèverait à 12-15 milliards. Sa position au cœur de la Turquie devait permettre au gazoduc d'être éventuellement relié, à terme, aux réseaux de transport syrien et surtout irakien. Dès lors Nabucco est en concurrence directe avec le projet South Stream. Avec les récentes tensions avec l’Iran et comme mis en relief précédemment, la Russie et la Turquie ayant annoncé un accord sur la traversée des eaux territoriales turques par South Stream, cela rend la construction de Nabucco peu probable à moyen terme.

Le projet algérien Galsi fortement remis en cause ?

Devant relier directement l’Algérie à l’Italie via la Sardaigne pour un investissement de 3 milliards d’euros, le projet de gazoduc Galsi, dont la mise en service est prévue pour 2014, avec plus de deux années de retard est actuellement en phase d’études techniques toujours selon le ministère de l’Energie. Rappelons qu’un accord intergouvernemental relatif à ce projet a été conclu en novembre 2007 entre l’Algérie et l’Italie. Ce gazoduc doit relier Hassi-R’mel à El Kala dans sa partie "On shore" sur une longueur de 640 km. Dans sa partie "off shore", le projet reliera El Kala à Cagliari en Sardaigne sur une distance de 310 km. Le niveau de participation de Sonatrach est de 36%. Une fois concrétisé, il devant acheminer, directement en Italie, un volume annuel de 8 milliards m3 de gaz. Dans le cadre de l’arrêté du 15 décembre 2009 relatif à la programmation pluriannuelle des investissements de production d’électricité, publié au Journal Officiel du 10 janvier 2010 français, il est prévu que pour la Corse, les nouvelles centrales thermiques fonctionneraient au gaz naturel, dès lors que le raccordement de la Corse au gazoduc Algérie-Italie via la Sardaigne (Galsi) serait réalisé. Or, contrairement à la majorité des élus Corse qui sont favorables au projet Galsi, il semblerait que la majorité des élus de la Sardaigne s’oppose pour l’instant à la réalisation de ce projet du moins dans le tracé traditionnel pour des raisons écologiques et autres et du fait de l’autonomie de cette région, le gouvernement central italien ne pouvant rien faire sans l’aval des élus locaux. Contrairement aux affirmations officielles algériennes, pour le maire de la Sardaigne, dans une récente émission à la télévision française France 3, je le cite "jamais le projet Galsi ne passera en Sardaigne dans son tracé initial". Il faut-il voir la main russe car dans la pratique des affaires il n’y a pas de sentiments ? Et c’est là qu’entre en scène la concurrence du géant Gazprom.

Quelles perspectives ?

L’Algérie est le troisième fournisseur de gaz de l’Europe après la Russie et la Norvège. Pour l’Algérie, en dépit d’un redressement de situation en 2010 – 55,28 milliards de mètres cubes de gaz naturel exportés contre 52,67 milliards de mètres cubes en 2009, elle peine toujours à maintenir le niveau des volumes exportés au-dessus de 60 milliards de mètres cubes, un seuil qui était bien conservé entre 2001 et 2008. Selon le gouvernement, la production de gaz naturel de l’Algérie, qui a connu en 2010 un recul de 2,4 % par rapport à 2009, devrait croître nettement d’ici à 2014 avec l’entrée en production de nouveaux gisements gaziers. Ces exportations peuvent être renforcées par la mise en production de nouveaux gisements qui devraient renforcer les capacités de production de gaz naturel de près de 25 milliards de mètres cubes d’ici 2014 ce qui nous donnerait 80 milliards de mètres cubes gazeux pour 2014. Les économies d’énergie supposent un nouveau modèle de consommation énergétique, une politique des prix plus rationnelle et le développement de sources alternatives d’énergie (le solaire) pour les besoins du marché national. Ce qui permettrait d’alléger la pression de la demande sur l’offre de gaz et donc pour l’Algérie d’honorer ses engagements internationaux.

Il ne faut pas seulement comptabiliser les exportations mais également la consommation intérieure. Ne pouvant pas compresser la demande intérieure en deçà de 50 milliards de mètres cubes gazeux entre 2011/2020, le raisonnable étant 55/60 milliards de mètres cubes gazeux, au risque de freiner le développement, compte tenu compte des exportations prévues et de la consommation intérieure. Enfin il y a lieu de prendre en compte la concurrence du gaz non conventionnel. La production à un rythme rapide des gaz non conventionnels aux USA et en Europe (les statistiques internationales, le gaz non conventionnel devant représenter environ 25% de la production mondiale en 2020) explique en partie cette situation avec un coût de 4/5 dollars le MBTU aux USA et légèrement supérieur en Europe et en Asie (7/8 dollars) en Europe et Asie depuis la catastrophe nucléaire au Japon. Pour l’Algérie le prix rentable du gaz conventionnel par canalisation devant se situer à 9/10 dollars et 13/14 dollars pour le GNL. Le projet Nigal pourra-t-il permettre d’accroître les capacités d’exportation ? Dans ce cade, se pose le problème de la rentabilité de ce projet où suite au mémorandum d'entente qui avait été signé en janvier 2002, entre Sonatrach et la Nigerian National Petroleum (NNPC), réunis à Abuja au Nigeria, les ministres du Pétrole et de l'Energie d'Algérie, du Niger et du Nigeria avaient également signé le 3 juillet 2009 un accord pour construire un gazoduc baptisé Trans Saharan Gas Pipeline (TSGP),de 4128 kilomètres (dont 2310 km pour le territoire algérien) qui devrait servir à alimenter l'Europe en gaz( 20/30 milliards de mètres cubes) puisé dans le delta du Niger au sud du Nigeria. Avec un coût prévu initialement à 5/6 milliards de dollars, il aurait dépassé actuellement les 13 milliards de dollars soit 10 milliards d’euros. Ce projet financé pour partie par l’Europe avec la crise d’endettement est-il réalisable avec un coût supérieur presque du double de South Stream ?

En résumé, la demande extérieure des hydrocarbures pour l’Algérie d’une manière générale sera fonction d’une reprise ou pas de l’économie mondiale, de l’évolution du cours du dollar, des investissements dans les énergies substituables qui détermineront l’évolution du prix international. Rappelons la chute des cours en 1986 avec toutes les ondes de chocs politiques, économiques et sociales entre 1988/1994 (rééchelonnement) et de près de 45% des recettes en devises de Sonatrach après la crise de 2008/2009. Comme se pose cette question stratégique : quelles sont les réserves prouvées du pétrole et du gaz, sachant que l’Algérie aura 50 millions d’habitants dans 25 ans, les coûts d’exploitation, le bilan devises des investissements de Sonatrach réalisés à l’étranger et la rentabilité du projet Galsi ? Et ce, d’autant plus que le coût de Galsi ramené au volume desservi est de loin moins compétitif par rapport au projet South Stream que le projet North Stream évalué à 8,8 milliard d’euros pour 55 milliards de mètres cubes gazeux, South Steam, 15 milliards d’euros pour 63 de mètres cubes gazeux et pour Galsi 3 milliards d’euros (tracé initial) pour 8 milliards de mètres cubes gazeux donnant par rapport au premier projet russe un surcoût de 16% et de 11% par rapport au second projet, le taux réel étant en réalité plus important. Cela n’implique-t-il pas face aux nouvelles mutations énergétiques mondiales, un nouveaux management stratégique de Sonatrach (1)

Abderahmane Mebtoul, expert et professeur d'université

(1) "Face aux mutations énergétiques mondiales, pour un nouveau management stratégique de Sonatrach" – contribution d’Abderahmane Mebtoul revue HEC Montréal Canada novembre 2010

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