Un nouvel an de cinquantenaire dans le monde de Bouteflika

Abdelaziz Bouteflika
Abdelaziz Bouteflika

De quelle malédiction est-il permis à un pays qui a inauguré dans les luttes pour les libertés et pour la dignité, de se retrouver année après année, décennie après décennie, parmi les tout premiers dans le malheur de la planète à cultiver son mépris, le reniement de son histoire, le dégoût de son présent et, enfin, la panique générale pour le devenir de ses enfants ?

Mais depuis au moins deux décennies, d’abord à la révolte d’octobre 1988, ensuite au retour de Bouteflika dans les affaires, la situation de psychologie globale est telle que désormais toutes les valeurs admises pour faire admettre au regard du monde la figure d’un semblant d’Etat ne tiennent plus la route.

Comptabilité du diable

Le document officiel algérien est le sujet planétaire de toutes les suspicions ; le passeport vert est partout traité comme un bulletin de recherche et le diplôme tel une farce. La seule paperasse prise au sérieux est celle qui comporte des chiffres destinés à l’exportation du patrimoine monétaire. Les livres ayant des plus-values intellectuelles sont édités à l’étranger et les extraits de naissance les plus prometteurs se retirent dans les mairies européennes, pour ne pas dire françaises. Les dirigeants dans le pays calculent leurs salaires sur la base du smic français et ceux des contribuables sur le tarif des produits alimentaires subventionnés.

Dans cette comptabilité du diable, il faut deux salaires acceptables en sus d’un petit business familial dans un foyer intermédiaire pour faire la classe moyenne et ressembler à l’espèce humaine, sans perspective d’avenir pour les enfants qui vont dans une école qui enseigne des moyens d’existence dans une autre galaxie.

Mais en même temps, s’il ne se trouve pas un parent influent et généreux dans le FLN, le RND, le MSP ou les moudjahidine, les "quatre cavaliers de l’Apocalypse", il y a forcément un gros risque de fêter le réveillon ouvrant le cinquantenaire de l’Indépendance et la reprise du cycle scolaire avec une patente probabilité de faire arrêter les études aux progénitures les plus âgées en les envoyant rejoindre les tables et les parkings de Bouteflika, la seule promesse jusqu’à présent accordée aux générations montantes.

Faites un saut à l’Académie d’Alger-centre, escaladez jusqu’au bureau du directeur de l’Education et mettez-vous dans la salle d’attente à regarder les immenses effigies des chefs de l’enseignement d’Alger alignées dans le mur depuis l’indépendance jusqu’à la dernière en date, la treizième, me semble-t-il : toute la lignée des saboteurs de la matière grise nationale qui vous regarde les yeux dans les yeux comme fière de l’implication de chacun sur le gâchis dans l’éducation de la capitale depuis le départ de Joseph !

On dit que Vaclav Havel, pourtant élégant homme, s’insurgeait contre ses photos qu’on affiche officiellement. Il n’en avait pas besoin, le littérateur, l’homme de culture et de sagesse, l’humble citoyen de son pays qui n’a jamais baissé les bras pour se hisser au niveau des aspirations de ses compatriotes ; il a été dans le sens de la civilisation de combat intellectuel dans la même verve que Vladimir Holan, Franz Kafka, Viteslav Nesval ou Milan Kundera ; mais il a hérité aussi de la tradition humaniste tchèque qui se démarque de la pensée slave par sa permanente ouverture à l’Europe anglo-saxonne et gréco-romaine de la science et de la modernité.

Bouteflika ne cesse de répéter qu’il est de l’école française, histoire de "diplomater" dans une francophonie senghorienne passée de mode pour des desseins de sympathie dans les premières loges de l’Europe qui le prendrait au sérieux du mot, au demeurant fort approximatif par rapport à la recherche linguistique dans l’arabe qu’il met à faire peaufiner dans ses discours de la valeur intelligible des années de la gloire nassérienne, en le prouvant seulement en baillant les portes des universités françaises à la maffia administrative qui le porte à bras le corps vers le summum du désastre, pendant que les enfants du peuple s’abrutissent dans tous les paliers du savoir et de l’apprentissage.

La sagesse complice n’est pas une loi…

Le pari est l’ennemi dans les métiers de la communication mais je lance, ici, un défi à ceux et celles qui répondent par l’affirmatif sur ce site que quelque part il existe un ministre algérien de la République de Bouteflika possédant un héritier qui fait des études dans une faculté algérienne. Mieux, ces mêmes ministres provoquent des situations d’extraordinaires mouvements de textes de loi et de réglementation qui font hisser les plus médiocres de la société vers des privilèges moraux et matériels jamais réinvestis dans la fabrication de la connaissance dans le pays.

Ça promeut dans le plastique, dans l’importation dans des cartons de pseudo-usines de denrées alimentaires ou cosmétiques , dans les interminables garages dans le rez-de-chaussée d’un château – pour la supérette, la quincaillerie, le salon de beauté, la pizzeria, parfois même toute un bâtiment pour une panoplie de soins médicaux, et cetera – et dans l’enseignement privé chargé, l’un dans l’autre, de préparer les apprenants des favorisés du régime pour les futurs diasporas estudiantines qui reviendront plus tard succéder aux postes d’asservissement sur les anciens élèves de Boubeker Benbouzid ayant réussi en Algérie leurs études ou non. Observez déjà de quelle manière un enfant de l’école privée parle les trois langues de l’enseignement fondamental que l’étudiant entamant un magister balbutie.

Les étudiants sautent de joie quand, par exemple, ils dégotent un travail de veilleur de nuit ou d’agent de sécurité dans une salle des fêtes, la pitoyable bourse, soit à peu près 10 euros par mois, l’équivalent d’un paquet de cigarette et d’un café, ne leur permet pas de renouveler les chaussettes et les slips; je ne parle pas de l’autre besoin incompressible pour les filles, celui-là physiologique.

"A quelle sauce voudriez-vous être raccommodés ?" pour reprendre la fameuse formule des caricaturistes après la Révolution française, confisquée par les fausses élites militaro partisanes, nous dit clairement le chef de la triangulation diabolique qui ne ménage aucun subterfuge dans les institutions publiques pour conforter son pouvoir malgré la déliquescence de l’Etat reconnue comme tel par le monde entier dont les parties intéressées dans sa fréquentation ne le font que parce qu’elles participent un peu plus au dépeçage dans le corps des populations de jour en jour un peu plus désoeuvrées.

Les plus sages, aujourd’hui, parmi les plus pauvres, en vérité la majorité, sans logement décent, sans ressources alimentaires adéquates, sans moyens de transport convenables, incapables de financer son eau, son électricité et son chauffage, qui s’habillent dans les friperies en se faisant soigner chez les internes des hôpitaux débordés, toujours dépressifs, et qui pourtant tentent de rêver dans le virtuel, ces sans voix que les vociférations bluffeuses et mensongères d’un Belkhadem, Ouyahia, Soltani et toutes les bandes de sangsues qui font leur soutien dans de sinistres regroupements claniques narguant les patiences, insultant les besoins primordiaux et crachant sur les moindres aspirations citoyennes légitimes chez les jeunes, ceux-là qui montent silencieusement vers le bord du vase, ne demandent rien de plus simple aux décideurs que de cesser immédiatement le carnage : "Qu’est-ce qui reste que vous n’ayez tenté ?" dit tout doucement cette sagesse.

Le "bouteflikologisme" a tout essayé depuis le 5 juillet 1962. Cette doctrine des sauveurs sortis du maquis ou des roseaux, des prophètes sachant lire et écrire, qui ont tiré à balles réelles sur les parachutistes de Bigeard ou déposé des bombes dans les brasseries pieds-noires, transporté des armes d’un endroit vers un autre pour continuer la guerre de libération, ont-ils assez fait aussi contre l’intérêt de leur peuple durant un demi-siècle malgré, ici et là, des volontés affichées de bien faire.

C’est bon ! Basta ! De la nationalisation des fabriques de couscoussières, au socialisme scientifique en pays inculte et enfin à la mondialisation avec pour seuls bagages identitaires nationaux la rente pétrolière, ce modèle d’économie politique pour lequel le chef de l’Etat se destine la pérennité, il a la signification démontrée de la "chèvre quand bien même elle volerait" au seul examen des trois dernières lois adoptées pour renouveler la spirale tyrannique au profit des castes toujours aux aguets du contrôle sur les patrimoines naturels, les citoyens compris, les citoyennes aussi, ya el khawa.

L’An 2012, le terme de la fin du monde chez les Amérindiens, sera-t-il la fin de la sagesse algérienne longtemps admise et comptabilisée chez les plus démunis n’ayant hélas plus rien à perdre ? Sauf si les dirigeants et leurs apprentis daignent admettre que c’est cette sagesse justement qui a pété les plombs en novembre 1954.

Beaucoup d’Algériens risquent de bien confondre souverainement et légitimement dans la commémoration de ce cinquantenaire !

Nadir Bacha

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Commentaires (6) | Réagir ?

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oziris dzeus

Les hommes n'ont pas les mêmes valeurs, y en beaucoup qui n'ont pas du tout ni valeurs ni honneur. alors comment peut on assassiner boudiaf le père de la guerre de libération de l’Algérie? et pourquoi les six qui ont lancé cette guerre et dont boudiaf était le n° 1, n'ont jamais osé toucher le père du nationalisme algérien Messali? Boudiaf Mohamed est un homme d'honneur, il à était lâchement assassiné.

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laid baiid

Le passeport vert est partout traité comme un bulletin de recherche et le diplôme tel une farce. Le "bouteflikologisme" a tout essayé depuis le 5 juillet 1962.

De la nationalisation des fabriques de couscoussières au socialisme scientifique en pays inculte et enfin à la mondialisation avec pour seuls bagages identitaires nationaux la rente pétrolière.

En effet M. Nadir Bacha.. et merci pour cet article.

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