Les Etats-Unis, les islamistes et le contrat de Rome

Abassi et Belhadj
Abassi et Belhadj

Depuis les attentats du 11 septembre 2001 et dans un contexte marqué par une immense crise économique, financière, politique et morale, les États-Unis sont intervenus en Afghanistan contre Al-Qaïda et ses alliés talibans, puis contre l’Irak de Sadam Hussein.

Dans le même temps on assiste depuis 2004-2005, à une nouvelle posture géopolitique et à un redéploiement mondial des forces américaines. Mais depuis le choc des "révolutions arabes", le Moyen-Orient est redevenu un problème majeur de la politique américaine avec la redéfinition d’une politique d’endiguement de la vague islamiste. Elle déstabilise en effet tous les équilibres politiques précédents dans les pays d’Orient, fondés sur deux piliers complémentaires : le contrôle de la vie politique par des régimes autocratiques et celui de la société par des partis religieux financées par l’Arabie Saoudite. Il nous a semblé utile de reproduire un article sur le Contrat de Rome (Cirta n°1 de février 1996) et de l’actualiser avec notes et références à quelques ouvrages importants pour éclairer la politique américaine et française sur la "révolution arabe".

Le FIS dans la stratégie américaine en Algérie

Depuis la dislocation de l'ex-URSS et la guerre du Golfe, les États-Unis doivent assumer seuls, la stabilité d'un Moyen-Orient élargi, du Golfe à l'Iran, de l'Égypte aux Républiques musulmanes d'Asie Centrale, du Caucase et des Balkans (Bosnie). D'où la priorité accordée à la solution de l'éternel conflit israélo-arabe, par l'élargissement du processus de paix initié à Camp David en 1979 et aux Palestiniens en 1994, en attente de l’accord des Syriens. Cependant, Israël restera l'allié privilégié, plus encore après son intégration dans le nouveau Moyen Orient avec la Turquie appelée à redevenir la puissance ottomane du XIXe siècle. La menace communiste ayant disparu, c'est désormais le radicalisme islamique qui émerge comme le facteur majeur de déstabilisation en Égypte, en Turquie, Syrie, Jordanie et la péninsule arabique, de façon plus affirmée depuis la Conférence islamique de Khartoum, en 1995.

Dans cette politique générale, l'Algérie n'occupait qu'une place secondaire, malgré le réchauffement des relations diplomatiques entre les deux pays, suite au voyage de Chadli aux États-Unis. L'intérêt pour l'Algérie devient plus grand après 1988, par suite de quelques faits marquants : la victoire du FIS aux élections locales de 1990 et aux législatives de 1991, la crise du régime algérien depuis la destitution de Chadli jusqu'à la désignation du général Zeroual comme "Président d'État", l'adoption de la nouvelle loi en 1992 sur les hydrocarbures, qui a libéralisé le marché algérien et permis aux sociétés américaines de s'implanter fortement au Sahara. Dès la fin 1993, le Washington Post et le Los Angeles Times révélaient en s'appuyant sur des sources sûres que les États-Unis s'attendaient à un effondrement du régime algérien "dans les dix-huit mois à venir". À la base de cette affirmation, la certitude d'une prochaine dislocation de l'État-Armée, suite à la conjugaison de trois facteurs : la situation de non-paiement de l'Algérie vis-à-vis de ses créanciers, une grave crise économique et l'entrée dans la lutte armée des islamistes. C'est après l'arrivée de Bill Clinton à la Maison Blanche que le tournant est pris dans l'approche de l'islamisme au Maghreb et au Moyen-Orient. Pour éviter que le FIS une fois au pouvoir ne transforme l'Algérie en second Iran doté de la puissance nucléaire, (grâce à un transfert des technologies des républiques musulmanes de l'ex-URSS), il ne fallait plus considérer tous les islamistes comme des adversaires et s'entendre avec les plus modérés.

Cette orientation valable pour l'Algérie et pour tout le monde musulman a été clairement exposée par le sous-secrétaire d'État Robert Pelletreau, ancien ambassadeur au Proche-Orient et ami des monarchies pétrolières. Il expliqua, en mars 1994, à la Commission des Affaires du Sénat, puis à la Chambre des représentants, que l'arrivée au pouvoir du FIS en Algérie, dominé par une tendance modérée, ne constituait pas une menace pour la Tunisie et le Maroc. Anthony Lake, conseiller en politique étrangère de Clinton recommanda dans une conférence prononcée à Washington, le 17 mai 1994, de rechercher une entente entre Liamine Zeroual et les islamistes. Cette stratégie a été précisée dans un rapport "Top Secret" sur l'Algérie, rédigé en juin 1994 et soumis au Conseil de sécurité américain. "Ses rédacteurs préconisaient un partage du pouvoir entre une frange de l’armée algérienne et le FIS. L'essentiel, estimaient-ils, consiste à mettre fin à l'instabilité politique en Algérie, nuisible à terme aux intérêts américains et de barrer la route aux radicaux islamistes du GIA. Ces derniers étant considérés comme manipulés par l'Iran via le Soudan." Dans ce contexte, le FMI est intervenu pour imposer les choix de la diplomatie américaine à Zeroual. En avril 1994, il signe un accord, assorti de sévères mesures d'ajustement structurel. En juin 1994, il consent un rééchelonnement de la dette extérieure algérienne (estimée à 26 milliards), allégeant de 5 milliards les remboursements immédiats, en vue d'inciter Zeroual à négocier avec "l'opposition" réunie à Rome, en novembre 1994. Par ailleurs, Anouar Haddam est un joker très précieux pour mener cette politique à Rome. Ce dignitaire, élu député de Tlemcen au premier tour, est issu d'une famille de notables ? son oncle Tijdini Haddam a été recteur de la Mosquée de Paris. Docteur ès-sciences formé dans les universités américaines, il est très proche d'Ali Belhadj et le porte parole du GIA. Ainsi s'explique le quasi-statut diplomatique que lui a accordé Washington : "Anouar Haddam campe littéralement au Département d'État et dans les bureaux des membres du Congres" admet un haut fonctionnaire. Car au sein du State Department, nombreux sont ceux qui, comme Robert Pelletreau, secrétaire d'État adjoint pour le Proche-Orient et ex-ambassadeur en Tunisie, estiment que "le mouvement islamiste est une lame de fond qui a des racines populaires et avec lequel il vaut mieux commencer à traiter dès aujourd'hui". C'est dans ces conditions que Washington charge le Vatican de préparer Rome I et Rome II et, au lendemain du 13 janvier, Michel Mac Curry, porte-parole du département d'État trouvera l'accord "intéressant". De son côté, James Baker, candidat républicain aux élections présidentielles de 1996, justifiera le soutien apporté par son pays au FIS en distinguant les intégrismes :

"L'Arabie saoudite est incontestablement un État musulman intégriste, et pourtant c'est à la fois un ami et un pays important pour les États-Unis. J’irai même plus loin : il n'y a pas de pays musulman plus intégriste que l'Arabie saoudite, et pourtant elle a elle-même des problèmes avec d'autres intégristes. Il convient donc à mon avis de distinguer entre l'intégrisme extrémiste - c'est-à-dire un mouvement qui est catégoriquement hostile à l'Occident, à l'économie de marché, aux valeurs démocratiques - et le reste... Nous ne devons nous opposer à l'intégrisme que dans la mesure exacte ou nos intérêts nationaux l'exigent". C'est enfin Robert Pelletreau qui explique le rôle essentiel joué par les États-Unis dans la création du Front de Rome et sa critique de Zeroual, pour son refus de négocier : "Nous nous sommes employés à promouvoir un dialogue entre le pouvoir et les principaux partis d'opposition, ce qui à notre avis offre une meilleure perspective pour une solution non violente...

Cette stratégie offre la meilleure chance de renforcer les ailes pragmatiques du mouvement islamiste et de marginaliser les extrémistes les plus violents. En communiquant nos points de vue aux parties concernées, nous leur avons demandé de renoncer à la violence et de dénoncer la terreur. Nous nous sommes sentis encouragés par la plate forme signée par les principaux partis d'opposition à Rome au mois de janvier. Cela devrait servir de point de départ à des discussions avec le régime. Le rejet catégorique de cette initiative par le gouvernement est regrettable".

Lire la suite de l'analyse ici : http://www.freealgerie.com/avis/222-les-etats-unis-les-islamistes-et-le-contrat-de-rome.html

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ali chemlal

Jadis un fumeur de hachich "h'chaichi" avait un singe et un chien, il leur a demandé de faire une sieste, en faisant un voeu. Le premier, ce fut le singe qui raconta que Dieu a exaucé son vœu et qu'il était devenu un Calife, lequel disposait d'une immense richesse, en or et en argent, de la nourriture en abondance. Vient ensuite le chien, qui lui est devenu un grand vizir tout autant riche que le singe, enfin les deux compères demandent à leur maitre de raconter le sien. Moi, répondit le hachaichi, j'ai fait un vœu, en demandant à Dieu de m'épargner de vivre dans un pays gouverné par un singe devenu calife et un chien comme vizir.