Procès en appel de l’affaire Sonatrach/Safir : "Qui a donné l’ordre pour le gré à gré ?"

Sonatrach au centre d'un énième procès de ses anciens responsables.
Sonatrach au centre d'un énième procès de ses anciens responsables.

Telle a été la question directe posée hier, mercredi, par le juge en charge de l’affaire Sonatrach/Safir, jugée en appel.

La question s’adressait à l’un des cinq accusés dans cette affaire, à savoir Hanni Mekki, en sa qualité, à l’époque des faits, de DG des études et du développement de Sonatrach. Pressé par une autre question plus directe, posée par le juge : "Donnez-moi un nom !". L’accusé répond : "C’est le P-dg de Sonatrach, M. Meziane qui a la prérogative de donner un tel ordre".

Le procès en appel de l’affaire Sonatrach/Safir qui devait se tenir le 21 septembre 2011, avait été reporté à la demande de la défense en raison de l’heure tardive de sa programmation. Hier, la demande de la défense semble avoir été prise en considération puisque l’affaire fut appelée à la barre dès 13h30 pour durer toute l’après-midi et, probablement, tard dans la soirée, tant les débats et les interrogatoires étaient long et détaillés.

Pour rappel, ce procès en appel fait suite au double appel interjeté par les accusés d'un côté, et le ministère public, de l'autre, l'affaire des transactions de "gré à gré" conclues entre le groupe Sonatrach et la coentreprise algéro-française d'engineering et de réalisation Safir SPA, impliquant les ex-numéros 1 et 2 de la compagnie pétrolière nationale, Meziane Mohamed et Feghouli Abdelhafid, devait être réexaminée dans le fond, hier par la cour d’Oran. Dès le début, le juge donne le ton du déroulement de ce procès en appel, d’abord en rappelant les faits concernant cette affaire, ainsi que les condamnations prononcées en première instance. Jugée en première instance par le pôle pénal spécialisé d'Oran, au mois de mai dernier, le tribunal avait condamné Meziane Mohamed, l’ex-P-dg de la compagnie pétrolière nationale, à deux ans de prison dont un an ferme. Le vice-président du groupe et Pdg de la filiale activité Aval à la période des faits, Feghouli Abdelhafid, avait écopé d’un an de prison dont quatre mois fermes, au même titre que les trois autres accusés : Benamar Touati (P-dg de la filiale Sonatrach: Cogiz), Hanni Mekki (DG des études et du développement de Sonatrach), Nechnech Tidjini (DG de la coentreprise algéro-française Safir).

Ces peines étaient assorties d’amendes, 500 000 dinars pour Meziane Mohamed, 200 000 dinars pour les quatre autres. En vertu de ces décisions, ils (à l’exception de Meziane Mohamed qui était en liberté sous contrôle judiciaire depuis le déclenchement de la procédure) avaient pu quitter la prison le jour même, ayant déjà purgé leur peine. Au cœur de l’affaire ? Un marché de réalisation d’un complexe de stockage d’azote, composé de deux stations, une à Arzew d’une capacité de 1,5 million de litres (10 bacs de 150 m3 chacune), l’autre à Ouargla, d’une capacité de 600 000 litres (4 bacs). Le coût global du marché : près de 680 millions de dinars. Il est reproché aux gestionnaires de ce projet de l’avoir scindé en deux tranches, la 1ère a été octroyée à la compagnie India Inox par voie d’appel d’offres et la 2e à Safir (coentreprise algéro-française spécialisée en engineering et réalisation) par la formule du gré à gré. Le lot II, relatif à l’étude et la réalisation du complexe d’azote, a été confié par Sonatrach, via sa filiale Cogiz spécialisée dans la commercialisation des gaz (principalement l’azote et l’hélium), à Safir par gré à gré, quatre mois avant la réception du "OK" de l’état-major du groupe Sonatrach, représenté par son Pdg Meziane Mohamed.

Hier, le juge a tenu à ce que l’ex-DG des études et du développement de Sonatrach explique à la cour le recours au gré à gré sans avis d’appel d’offres, d’où en a résulté le choix direct, de l’entreprise Safir et ainsi un coût du projet estimé à 66 milliards de centimes. "En l’absence de concurrence, comment peut-on savoir si le coût de ce projet est juste ou exagéré ?" demande le juge et d’ajouter "Sonatrach est le poumon de l’Algérie, pensez-vous que la baisse de 1 milliard 800 que vous avez obtenue de Safir ait une quelconque valeur pour un entreprise comme Sonatrach ? Une Audi vaut aujourd’hui 2 milliards !". Hanni Meki expliquera au juge qu’à l’époque des faits, il avait dépêché une expertise pour s’assurer du bon coût de ce projet. Le juge a également relevé avec insistance le procédé de lancer le projet avant même la signature du contrat et de dire : "Il n'y avait aucune protection juridique et c’est de là que le doute concernant cette affaire persiste, il y a eu préférence pour Safir, dites-moi, trouvez-vous ce procédé logique ?". La réponse ne se fera pas attendre : "Un esprit sain vous dira que sans contrat, il ne peut avoir de lancement de projet, mais je pense qu’il devait y avoir une lettre d’intention…".

Son interrogatoire a duré plus d’une heure et demie, puis la parole fut donnée à Nechnech Tidjini (DG de la coentreprise algéro-française Safir) qui défendra les compétences de la société Safir en rappelant plusieurs projets importants qu’elle avait réalisés depuis sa création en 1991. Quant à la préférence ou non de Safir pour obtenir le contrat, l’accusé dira : "Nous avons été choisis pour notre compétence, nous sommes une petite société mais une société de qualité". Le juge appelle ensuite à la barre Benamar Touati (P-dg de la filiale Sonatrach : Cogiz), il sera suivi des deux accusés les plus attendus dans ce procès en appel à savoir les ex-numéros 1 et 2 de la compagnie pétrolière nationale, Meziane Mohamed et Feghouli Abdelhafid. Les débats promettent d’être longs et denses.

Amel Bentolba

Le procureur général demande l’aggravation de la peine

Questionné sur l’octroi de gré à gré, sans recourir à un avis d’appel d’offres du projet, Mohamed Meziane, ex-P-dg de Sonatrach, dira au juge : "J’ai donné mon accord pour le gré à gré suivant la proposition de Feghouli." Le juge répliquera : "Puisque vous dites que c’est suivant la proposition de Feghouli, dites-moi : est-ce lui qui a donc proposé le gré à gré ?" Meziane répond : "Oui c’est Feghouli." A cet instant, le juge rappelle Feghouli Abdelhafid à la barre : "C’est vous qui avez fait la proposition du gré à gré ?" L’intéressé hésite, réfléchit quelques instants puis répond : "Oui, mais j’avais fait deux propositions, celle de recourir au cahier des charges, et à l’avis d’appel d’offres ou bien au gré à gré." Prenant la parole, le procureur général adresse cette interrogation à l’ex-P-dg de Sonatrach : "Saviez-vous que le projet avait démarré avant la signature du contrat ?" Il répond par la négation tout en précisant que la responsabilité incombe au responsable du projet. Une autre question du procureur général à l’adresse de Meziane Mohamed : "Feghouli devait motiver l’urgence pour justifier le gré à gré, or il n’en est rien et en donnant votre accord, vous avez engagé votre responsabilité." L’ex-P-dg de Sonatrach répond : "Oui j’ai engagé ma responsabilité mais il (Feghouli, ndlr) a dû sentir l’urgence, il était vice-président de l’activité Aval. Il était nommé au même titre que moi et avait estimé qu’il y avait urgence pour recourir au gré à gré." L’audition des cinq accusés a pris fin après 17h. Suite à quoi, la parole fut donnée au procureur général qui demandera l’aggravation de la peine. Ensuite, les avocats de la défense ont pris la parole pour de longues plaidoiries. Le verdict devra être connu la semaine prochaine.

A. B.

Plus d'articles de : Actualité

Commentaires (1) | Réagir ?

avatar
elvez Elbaz

La fortune de Chekib Khelil et de son épouse palestinienne, qui aimait bien l'appeler le prince du pétrole algérien, lors des réceptions, où le champagne coulait à flots, offert par le service événementiel de la Sontrach et de leurs garçons, aussi employés de la vache à lait Sonatrach, se chiffrerait à des millions de dollars avec des résidences et appartements en Amérique et en Europe, à Paris notamment.... Fortune amassée durant presque une décennie à la tête de la Sonatrach.

Est-il encore besoin de se poser la question de savoir qui a donné l'ordre pour le gré à gré, dans l'affaire SH/safir, lorsque tout passait par lui... ?lui qui revendiquait pour montrer ses appuis et ses relations claniques, appartenir au clan présidentiel... !

Tout un programme..... n'est-ce pas?