Election en Tunisie : "Les femmes tunisiennes n’accepteront pas un retour en arrière"

Fatma Bouvet de la Maisonneuve,
Fatma Bouvet de la Maisonneuve,

Dimanche, les Tunisiens se sont déplacés en nombre pour cette élection historique, neuf mois après la révolution du Jasmin qui a mené à la chute de Ben Ali.

Si le taux de participation en a emballé plus d’un, que dire des résultats ? Les islamistes du parti d’Ennahda sont en tête. Fatma Bouvet de la Maisonneuve, psychiatre, installée en France, est porte-parole du parti tunisien Ettakatol France, un parti progressiste membre de l’Internationale socialiste. Cette féministe revient pour nous sur les élections qui se sont tenues dimanche en Tunisie. Et sur les conséquences sur les droits des femmes.

Que dire de la participation estimée à 90% en Tunisie ?

Cette participation énorme est une victoire pour la démocratie, et positionne la Tunisie comme le premier pays démocratique du Maghreb. Les déclencheurs de la Révolution étaient plus de justice économique et sociale mais également la liberté d’expression. Pour autant, il faut replacer ce résultat dans son contexte, car on n’a pas voté pour des élections présidentielles et un gouvernement durable, mais pour une assemblée constituante, qui aura pour but de rédiger la prochaine constitution. C’est une responsabilité immense : durant un an, il va falloir prendre le temps de rédiger le socle d’un pays avant des élections législatives. Si le poids des islamistes est autour de 40%, il faut espérer que le poids des progressistes atteindra 60%... Les petits partis vont-ils se rallier au parti islamique ? Cela serait dangereux…

Quelles sont vos craintes aujourd’hui ?

On peut craindre que le sort des femmes soit remis en question. L’égalité hommes-femmes est acquise dans les mentalités en Tunisie, je ne peux pas croire que les femmes aient voté pour le parti islamiste en parfaite connaissance de cause. Il y a probablement eu des voix perdues dans les votes pour les multiples listes indépendantes. Mais après tout, comment priver la population d’un choix de vote alors que pendant 50 ans, elle ne l’avait pas, ce choix, puisqu’elle n’avait pas le droit de créer des partis politiques. Sur le plan politique, les membres d’Ennahda sont des opposants de longue date, très bien organisés par rapport aux nouveaux partis. Est-ce que la bigoterie érigée comme bouclier contre l’islamisme par Ben Ali est le terreau de ce qui se passe aujourd’hui ? Le niveau d’éducation s’est considérablement dégradé sous Ben Ali, est-ce que cela a permis à des idées rétrogrades de prospérer ?

Ce serait une période de transition post révolutionnaire normale selon les historiens mais j’ai des craintes pour les femmes. La femme tunisienne est présente dans la société, elle a les mêmes compétences, la même instruction que l’homme, plus même. Avant ces élections nous pensions nous battre pour acquérir plus de droits. Aujourd’hui, nous allons devoir défendre ces acquis du Code du Statut Personnel qui assure aux femmes l’égalité : l’accès à l’éducation, la possibilité de divorcer, l’interdiction de la polygamie, de la répudiation, le statut de citoyen majeur sans besoin de tuteur, comme cela existe encore dans les pays voisins au 21e siècle ! Je les connais, ce sont des femmes qui ne se laissent pas marcher sur les pieds. Par exemple, rester à la maison pour permettre aux hommes de travailler, comme l’a prôné le parti Ennahda, elles ne l’accepteront pas. Il y aura une résistance, je ne crois pas que les femmes tunisiennes accepteront un retour en arrière.

Comment expliquer ce vote ?

On a vu des gens qui pleuraient dans les bureaux de vote, qui se sont écroulés en larmes en entendant ces résultats. Les Tunisiens ont-ils voté pour l’islamisation de la société, je ne crois pas, est-ce un vote sanction, par exemple contre la corruption (slogan des islamistes) ou contre ceux qui les ont oubliés ? C’est possible. Je n’imagine pas en tout cas la Tunisie se transformant en Iran. Au fond, personne n’a perdu. Peut-être qu’on a gagné en démocratie. Il n’y a pas eu de sang, pas de bagarre. Les Tunisiens portent une responsabilité énorme, ils vont devenir un modèle pour d’autres pays, comme l’Egypte. J’espère que les progressistes vont s’allier et j’espère que la démocratie sera le grand acquis de cette période.

Emilie Poyard

Plus d'articles de : Maghreb

Commentaires (4) | Réagir ?

avatar
ranaferhanine bezafbezaf

Quand j'ai lu le title de cet article ma cervelle et mes souvenirs se sont réveillés pour me ramener aux années 1979 quand Ayatollah Khomeini débarquait à Téheran en Iran à bord d'un avion d'Air France et que la révolution islamique d'Iran fut enclenchée, je me rappelle comme si c'était il y a quelques heures, quand Khomeini déclarait que la loi sera totalement islamique.... une grande dame lui rétorque dans une déclaration que les femmes iraniennes refusent le diktat des islamiste.... et qu'elles refuseraient de se plier à mettre le tchaddor..... Je me rappelle de la marche des femmes iraniennes à Téheran montrée a la Tv algérienne et pourtant quelques mois plus tard tout rentra dans l'ordre toutes les femmes iraniennes ont mis le tchaddor et la vie est devenue triste depuis.

avatar
Kacem Madani

@Atuelpa Yupanqui : Bonjour mon ami ! Voici un petit régal de lien qui pourrait donner de belles idées aux femmes tunisiennes pour leur éviter tout retour en arrière.

http://www. youtube. com/watch?v=RFN8ahYN1b0

Si Khalida Toumi était restée cette Algérienne debout des années 90, elle aurait invité Wafa Sultan à la conférence Islamique de Tlemcen !

Cheers my friend and so long !

visualisation: 2 / 4