France : l'ombre du contre-espionnage plane sur le Carlton

Le Carlton, hôtel de luxe lillois, nord de la France.
Le Carlton, hôtel de luxe lillois, nord de la France.

Depuis quelques semaines la France des flics et politiques est agitée par l'affaire des prostituées de l'hôtel Carlton à Lille. Plusieurs noms de personnages hauts placés sont cités. Dont l'ancien SG du FMI, Dominique Strauss Kahn. L'enquête est à rebondiments.

Dans le répertoire téléphonique de René Kojfer figure le nom de Frédéric Veaux, le numéro deux de la Direction centrale du renseignement intérieur. Et si l'affaire du Carlton avait une face cachée... René Kojfer semble ne pas avoir tout dit sur ses relations étroites et privilégiées avec le gratin de la police française. On savait que le directeur des relations publiques du Carlton, par qui le scandale est arrivé, était un informateur de la police. Ce qui explique sans doute que celle-ci ait fermé si longtemps les yeux sur ses activités troubles dans le monde de la prostitution. Mais on ignorait que les contacts de René Kojfer au sein de la maison poulaga allaient bien au-delà de Lille et du commissaire divisionnaire Jean-Christophe Lagarde, patron de la sûreté lilloise.

En effet, dans le répertoire téléphonique de René Kojfer, mis en examen pour "proxénétisme aggravé en bande organisée", figurerait en bonne place le numéro de portable de Frédéric Veaux, numéro deux de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI). Ce que nous a confirmé Me Christophe Snyckerte, l'avocat de René Kojfer. "Je sais que mon client connaissait très bien ce grand flic, précise au Point Me Christophe Snyckerte. J'ai moi-même déjeuné une fois avec eux à Lille." Entre l'indic et le grand flic, les relations seraient presque amicales, selon l'avocat. Les deux hommes se connaissent depuis longtemps. Frédéric Veaux a commencé sa carrière de commissaire à Lille, en 1984, avant d'y revenir comme directeur de la PJ entre août 2000 et juin 2001. À cette époque, René Kojfer s'occupait de la gestion de la résidence Politel de Lille, un établissement réservé aux policiers en mission. Cet hôtel appartenait à la mutuelle du ministère de l'Intérieur avant d'être cédé au Carlton.

Intronisé par la police

"René Kojfer a été fourni à la direction du palace en paquet cadeau au moment de la transaction", précise un avocat dans le dossier. En clair, selon lui, c'est la police qui aurait intronisé René Kojfer dans l'hôtellerie de luxe, et notamment Frédéric Veaux, qui à l'époque était patron de la PJ de Lille. Depuis, le grand flic et l'indic ne se seraient jamais perdus de vue. C'est ce qu'affirme l'avocat de René Kojfer : "Lorsque mon client se rendait dans la capitale, il ne manquait jamais de passer un coup de fil au policier ou de lui rendre visite." Si ces affirmations sont exactes, Frédéric Veaux, numéro deux de la DCRI, pouvait-il ignorer les rendez-vous coquins tarifés organisés à Paris et à Washington avec Dominique Strauss-Kahn ?

Quoi qu'il en soit, dès le mois de mai, et l'incident du Sofitel à New York, il apparaît sur les écoutes judiciaires que René Kojfer, le directeur des relations publiques du Carlton, cherche à prendre contact avec Kenneth Thompson, l'avocat de Nafissatou Diallo, pour lui vendre des informations sur le comportement sexuel de DSK. Il demande des conseils tous azimuts. Par exemple à l'ancien chef des moeurs de la sûreté publique de Lille.

René : "Il doit y avoir du fric à gagner. Qu'est-ce que tu en penses ?" Réponse du policier : "Oui, peut-être. Mais, moi, j'ai une carrière à faire..." Selon les écoutes, René Kojfer en toucherait même un mot au fameux Dodo la Saumure, son ami de trente ans, mis en examen et écroué en Belgique depuis. Ce tenancier de maisons closes en Belgique, qui pourrait avoir livré certaines prostituées lors de parties fines tarifées avec DSK à Paris et à Washington, n'est pas convaincu par la démarche : "Qu'est-ce qu'en pensent tes amis (policiers) ?"

"Nuire à DSK ?"

Si elles se confirment, les relations étroites entre René Kojfer et le numéro deux de la DCRI font en tout cas gamberger certains avocats. Le dossier de proxénétisme du Carlton commence en effet en février par un mystérieux renseignement. Trois numéros de portable sont transmis à la PJ de Lille et aussitôt mis sur écoutes, en particulier le numéro de René Kojfer, et celui de M., 36 ans, une prostituée qui aurait participé au printemps 2010 à une partie fine tarifée avec DSK à l'hôtel Murano à Paris.

D'où vient ce renseignement ? Pourquoi est-il transmis à ce moment-là ? Tous les policiers lillois entendus dans cette affaire connaissaient les rendez-vous coquins tarifés au Carlton. Les avocats se demandent si l'on ne vise pas alors une autre cible ? "Et si l'affaire du Carlton avait été programmée pour nuire à DSK dans sa course à la présidentielle ?" s'interrogent-ils.

Grands flics

Selon nos informations, René Kojfer aurait en outre reçu, la veille de son interpellation, la visite d'un haut fonctionnaire de la police venu de la Place Beauvau. Le nom d'un autre grand flic apparaîtrait dans le répertoire de René Kojfer. Il s'agirait de celui de Christian Sainte, sous-directeur à la Direction centrale de la police judiciaire (DCPJ). Le policier est lui aussi passé par Lille, entre 1986 et 1996. Il était à la crim. Ni Frédéric Veaux ni Christian Sainte n'étaient joignables dimanche après-midi.

Christophe Snyckerte, l'avocat de René Kojfer, devrait déposer lundi une nouvelle demande de mise en liberté pour son client devant la chambre d'instruction. Inutile de dire que celle-ci sera examinée avec la plus grande attention...

Jean-Michel Décugis et Aziz Zemouri

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