La leçon de l’élection démocratique tunisienne pour les régimes du Maghreb

L'expérience tunisienne est pour le moment à méditer.
L'expérience tunisienne est pour le moment à méditer.

Le 23 octobre 2011 les Tunisiens pour la première fois dans leur histoire avec 111 partis politiques de différentes sensibilités (il y aura une décantation à l’avenir) éliront librement une Assemblée constituante qui comprendra 217 sièges.

La durée d'existence de cette assemblée qui ne dépassera pas une année désignera un président de la République, un Premier ministre pour cette période transitoire. En 2012, des élections présidentielles et parlementaires seront organisées selon la nouvelle Constitution. Ces élections, sous réserve qu’elles soient réussies, auront des conséquences géo-stratégiques sur tout l’espace de l’Afrique du Nord d’une manière particulière et sur les pays arabes d’une manière générale, du moins les pays à fortes populations et pas à court terme sur les micro-États du Moyen-Orient avec des revenus en hydrocarbures trois supérieurs à ceux de l’Algérie pour une population moindre que la wilaya d’Alger. C’est dans ce contexte qu’il serait hasardeux pour les régimes du Maghreb de considérer leur population sous l’angle strictement de tubes digestifs, des louanges de certains organismes internationaux qui d‘ailleurs reprennent souvent à la lettre des données statistiques préfabriqués des officiels déconnectés des réalités économiques et sociales. Le développement des espaces de libertés, la démocratisation des décisions conditionnent largement la lutte contre la corruption qui prend des proportions alarmantes au Maghreb avec une concentration du revenu national au profit d’une minorité rentière, des monopoles mafieux qui se substitue au monopole public du passé source de rentes, influant sur la détérioration du pouvoir d’achat de la majorité. Au moment de ces importantes élections de la Tunisie, il me semble utile de donner un aperçu de la situation et des perspectives des économies maghrébines.

Situation du Maghreb

Le Maghreb correspond à l’Afrique du Nord-Ouest, délimitée au Nord par la Méditerranée et au Sud par le Sahara. La superficie totale de l’UMA est de 5.8 millions km2 représentant 4,3 % de la superficie mondiale et dépassant de près de 80 % la superficie de l’Union européenne. Durant les cinquante dernières années, la population des pays de l’UMA a augmenté à un taux d’accroissement moyen de 3,2 % par an passant de moins de 30 millions en 1960 à 60 millions en 1989 et environ 90 millions en 2010 et les prévisions des Nations unies l’estime à 150 millions d’habitants à l’horizon 2050, encore qu’au cours des deux dernières décennies, les femmes du Maghreb ont vu leur fécondité chuter considérablement. Cette baisse de la fécondité a surpris par sa rapidité nombre de spécialistes des problèmes de population. Si le poids démographique de l’UMA est en légère augmentation, son poids économique est en régression. L’UMA a perdu plus de la moitié de son poids économique dans le monde entre 1980 et 2010, ses exportations qui représentaient environ 2% des exportations mondiales en 1980, représentent moins de 0,50% en 2010. Et cela n’est pas propre au Maghreb puisque la part de l’Afrique dans le commerce international représentant 12 % il y a 20 ans, est passée à 8 % dans les années 90 et actuellement, elle atteint à peine 2 %. Cette région est frappée actuellement par une récession économique avec un écart croissant, les pays de l’UMA ayant un revenu PNB par tête qui représente moins de 15 % de ceux de la CEE. Cette récession s’explique par différents facteurs dont le manque d’homogénéisation économique pour des raisons essentiellement politiques qui fait fuir les capitaux vers d’autres cieux plus propices à un moment où la concentration des échanges est dans le Nord, la Chine accaparant plus de 50% pour la zone Sud. Mais la raison essentielle est le retard pris dans les réformes micro-économiques et institutionnelles, biens que certains pays du Maghreb aient réussi la stabilisation du cadre macro-économique. Cette situation s’explique également outre les données politiques, par l’extension de la sphère informelle résultante du poids de la bureaucratie centrale et locale. Ainsi au lieu que l’intégration soit dominée par des économies contractuelles ou organisées, nous assistons à une dynamique informelle caractérisée par une identité culturelle qui permet à des milliers de Maghrébins de contourner la myopie des bureaucraties nationales.

Un produit intérieur global loin des potentialités

Le total du PIB du Maghreb en moyenne 2009/2010 est de moins de 400 milliards de dollars, montant dérisoire comparé à un petit pays comme la Corée du Sud dont le PIB a dépassé 1100 milliards de dollars. Le PIB du Maghreb représente environ 80% du PIB de la Belgique dont la population ne dépasse pas 10 millions d’habitants ou le PIB du Japon de plus de 4900 milliards de dollars pour une population un peu supérieure à celle du Maghreb de 127 millions d’habitants, sans compter le PIB des USA de 14545 milliards de dollars ou celui de la Communauté économique européenne de 18285 milliards de dollars. L’Algérie exporte sur le marché européen environ 62% et importe environ 60%, le Maroc exporte également 60% de ses échanges avec l’Europe, tandis que la Tunisie le taux atteint 78% ; et le Maroc et Tunisie importent plus de 72% à partir de ce même marché. Cette relation commerciale de l’Europe avec le Maghreb, selon le réseau Anima a été renforcée durant la crise d’octobre 2008 dans le retour des investisseurs européens dans la région. Après avoir été supplanté en 2006-2007 par les pays du Golfe qui investissaient surtout dans le tourisme les banques et l’immobilier (la crise de Dubaï en est un exemple), ces derniers sont en retrait en raison de la crise de liquidité (on estime à plusieurs centaines de milliards de dollars les pertes au niveau des places financières internationales), l’Europe a récupéré, entre 2009/2010, sa position en devenant le premier investisseur au Maghreb, avec des engagements en croissance de 24 % en glissement annuel. Cependant, le Maghreb suscite de plus en plus l’intérêt d’autres acteurs dont les Etats-Unis à travers l’initiative Eizenstat sans oublier la Chine.

Le Maghreb et le cout de la non-intégration

Selon les données de la conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced), le Maghreb s’avère ainsi l’une des régions qui ont résisté le mieux à la crise économique, puisque les IDE ont chuté en moyenne de 17% dans le bassin méditerranéen et de 35% à l’échelle mondiale. L’observatoire Anima note, toutefois, que la situation des pays du Maghreb n’est pas identique. Le volume global des échanges entre les Etats membres du Maghreb est très faible, ne dépassant pas 3 % en moyenne en 2008/2009, celui entre les pays arabes 6% et le commerce intra africain ne dépassant pas 10% dont pour l’Algérie 1% de ses échanges. Aussi, entre les discours et la réalité existe un large fossé. Une étude réalisée par le Secrétariat de l’Union du Maghreb Arabe (UMA) courant 2009 a montré que l’intégration économique dans la région lui ferait gagner 5 milliards de $ en investissement dont 3 en IDE/an et un nombre important d’emplois dans une zone où il y a trois millions de chômeurs qui constituent 12% des actifs, ce qui correspondrait en matière d’échanges aux transactions conclues entre 2000 à 3000 PME maghrébines par an. L’augmentation des exportations pour les produits agricoles pourrait atteindre les 45%, ce qui correspondrait à 170 millions de $, ce qui représente près de 1% du PIB net agricole du Maghreb arabe. Quant au secteur électrique, il pourrait économiser près de 25% de sa production si les centrales électriques maghrébines sont intégrées. Et à supposer que la capacité de production pour les 20 prochaines années doit passer à 26 gigawatts, l’intégration permettrait d’en économiser 6,6 gigawatt. En réalité l’impact négatif de la non-intégration est plus important si l’on tient compte des effets cumulatifs dus aux économies d’échelle et surtout le peu d’attrait des investisseurs potentiels intéressés par de grands marchés. Aussi, la dynamisation des relations entre les pays du Maghreb ne sera possible que si les dirigeants ont une vision commune du devenir commun de leur population, la région pouvant devenir une région économique pivot, intégrant l’émigration, ciment de l’inter-culturalité et des échanges, pouvant être un sous-segment de la dynamisation du continent Afrique enjeu du XXIème siècle qui habitera horizon 2025 plus de 1,5 milliard d’âmes dont son intégration selon une vision pragmatique et progressive est un défi majeur qui permettrait d’éviter ces images désolantes de jeunes fuyant tant le Maghreb que le continent Afrique à partir d’embarcations de fortune. Ce sera une condition sine qua non, afin de peser dans les grandes décisions internationales, les micros Etats en ce XXIème siècle n’ayant que peu d’impacts. Pour éviter sa marginalisation, le Maghreb doit quadrupler son produit intérieur brut entre 2015/2020 pour un PIB global d’au moins 1.600 milliards de dollars à prix constants 2010. Cela est possible pour peu que la volonté politique existe d’aller vers un Etat de droit, une gouvernance rénovée, la revalorisation du savoir loin des rentes, le mal étant avant tout en nous et les solutions existantes à notre portée. Cela passe également par des politiques, des réformes institutionnelles et micro-économiques, la stabilisation macro-économique étant éphémère sans réformes de structures.

La démocratisation nécessaire au Maghreb

Les gouvernements au Maghreb doivent à tout prix éviter d’avoir un mépris pour leurs peuple et notamment leur jeunesse, comme cette banalisation des harragas ces jeunes quia achètent la mort, mais attention les harragas ne touchent pas seulement les défavorisés, les enfants des dirigeants qui donnent d’ailleurs de fausses leçons , ou d'une certaine couche riche, installés à l’ étranger par leurs propres parents pour gérer leurs affaires, sont eux mêmes des harragas dorés qui n’ont pas risqués leurs vies. Mais également les jeunes filles du Maghreb qui ont connu un succès plus important à l’école et dont la frustration se manifeste sous d’autres formes. Il serait malsain pour les régimes du Maghreb de considérer leur peuple comme un peuple mineur la jeunesse maghrébine étant capable de miracles comme le montre l’expérience tunisienne, pour peu que les gouvernants lui tiennent un discours de vérité grâce à une nouvelle communication, une gouvernance rénovée, la valorisation du savoir et de l’intelligence et une réorientation de leur politique socio-économique conciliant l’efficacité économique et une profonde justice sociale ce qui suppose des réaménagement dans les structures du pouvoir car l’économie est avant tout politique. La vision dictatoriale des choix est dépassée étant à l’ère de la mondialisation et d’Internet (on a pu parler pour la Tunisie du renversement de l’ex président par Internet) comame le montrent, avec des régimes différents, la réussite des pays émergents qui construisent une économie de marché concurrentielle maitrisée, le monopole public ou privé étant néfaste, et ce grâce au rôle stratégique de l’Etat régulateur, l’économie de marché ne signifiant pas anarchie, tout monopole qu’il soit public ou privé étant néfaste à l’économie. L’important est le développement des espaces de libertés de la société civile, de nouveaux réseaux crédibles, la sécurité d’un pays étant l’affaire de tous. Il est de plus en plus nécessaire de moraliser les institutions et les pratiques par la démocratisation des décisions. La concertation et dialogue permanent deviennent urgents entre les véritables forces vives du Maghreb et non des organisations fonctionnarisées, aux ordres, figées incapables de mobiliser, vivant grâce au transfert de la rente, la jeunesse ayant exprimé d’autres aspirations, si l’on veut éviter d’accentuer le divorce Etat/citoyens, les derniers évènements ayant montré l’inefficacité des réseaux officiels. Sans intégration, les tensions sociales à toute la région à moyen terme seront inévitables. Pourtant, le Maghreb a toutes les potentialités pour surmonter cette crise et être un acteur actif au sein du bassin méditerranéen et surtout tracer son destin futur qui doit être en Afrique. Pour cela, face aux enjeux de la mondialisation, les régimes maghrébins doivent dépasser leur vision étroite pour une intégration maitrisée, un Etat de droit, une gouvernance renouvelée, une société plus participative et moins inégalitaire au profit de l’ensemble de la population de la région. Dans ce cadre, du fait des impacts géostratégiques, espérons pour la Tunisie une transition réussie.

Abderrahmane Mebtoul, professeur des Universités et expert international

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Commentaires (2) | Réagir ?

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hacene hamri

Cher Pr Abderrahmane.

Permettez moi dabord de vous saluer, et de vous remercier de la pertienance des données de l'article, qui sont très utiles aux lectrices et lecteurs. J'aimerais bien ajouter que la crise algérienne est due en grande partie par le fait qu'on ne veut pas consciemment ou inconsciemment nommer les choses par leurs noms.

Je vous donne un exemple : quand on dit "le système" en Algérie personne ne cite nomminement ce que c'est le systeme ? Est-ce que c'est l'armée ? Les politiciens mis par l'armée ? Les services de sécurité ? Les grands patrons des grandes entreprises ? Le petit voisin qui travaille au trésor et qui vous rend la vie amère ?

Parc que tant qu'on ne cite pas les gens par le nom ou leurs fonctions ou l'institution ou qu'ils représentent, le système restera comme un galaxie ou une nébuleuse impossible à faire bouger. Et toutes les tentatives de révoltes populaires ne seront qu'un coup d'épée dans l'eau.

La différence entre la Tunisie et nous, c'est que l'Algérie et tellement saucissonnée en groupes d'intérêts aussi différents que la moindre action commune relève de l'utopie.

merci

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laid baiid

Il y a une semaine je suis allé en Tunisie par route. Durant tout le trajet sur le territoire algérien il y a de quoi être dégouté... Que de saleté, des champs de sachets et de bouteilles en plastiques, des détrtus partout, des constructions rurales qui rappellent Kaboul, des barrages de gendarmerie qu'on n'arrive plus à compter tellement il y en a... Une population agressive, des échanges grotesques entre chauffeurs.

Halte forcée dans une station où il y avait une cafétéria déguelasse... La seule joie est à quelques km de la frontière à"El Kala"un paysage de verdure et de forêts grandioses, un lac magnifique que l'Etat doit absolument sauvegarder.

Poste frontière algérien, Oum T'boul : RAS, l'endroit est magnifique.

De l'autre côté en Tunisie, un Etat qui sort à peine d'une révolution... Aucun barrage, ni gendarmes, ni police.. seulement devant le ministère de l'intérieur sur le nd Bourguiba, rien d'autre.

Une Tunisie très propre, des jeunes bien éduqués, une discipline dans les transports, dans la circulation, une politesse remarquable, des gens accueillant.... Et pourtant on était comme ça... Un bel avenir les attend.. Je le leur souhaite de tout coeur.