Kadhafi et Ben Laden : morts en "martyrs" ?

Kadhafi et Ben Laden : morts en "martyrs" ?

En échappant à la justice internationale comme Ben Laden, la mort de Kadhafi dont l’ONU demande une enquête, produira-t-elle l’effet contraire aux scènes de liesse ayant suivi l’annonce de sa fin tragique : l’image positive du « martyr » chère aux islamistes…

Paradoxalement, l’Afrique la plus touchée par des régimes dictatoriaux générant des massacres au sein des populations, le dernier en date, l’épisode Laurent Bagbo, est, à lire Le journal Afrika.com dans sa revue de presse d’hier, vendredi, sous le titre La mort de Kadhafi vue d’Afrique des quotidiens du Burkina Faso, de Guinée Conakry, de la Côte d’Ivoire, du Mali et du Sénégal, la moins euphorique à l’annonce de la mort du dictateur libyen. Ces journaux s’interrogent sur la mort d’un homme, d’un dictateur : mort en "martyr" ou en "traître" ? Sa fin est-elle devenue un mythe. Les quotidiens s’interrogent également sur les "leçons" à tirer de cette fin tragique de Kadhafi dont ils soulignent l’image du « martyr » qu’il aura laissé pour l’histoire, rappelant qu’il avait promis de ne pas quitter son pays et d’y rendre l’âme. Cette mort « mythique » de Kadhafi effacera-t-elle les 42 années de dictature subies par le peuple libyen ? Est-il mort en héros ? C’est ce que laisse entendre le quotidien burkinabè L’Observateur Paalga. "Kadhafi a disparu, l’homme est mort, le mythe est vaincu, mais on gardera de lui qu’il a tenu promesse ne serait-ce que sur un point : il avait promis qu’il ne quitterait pas son pays et qu’il avait choisi d’y mourir en martyr ; il aura rendu l’âme en Libye". Le quotidien rappelle que de l’ex-président ivoirien Laurent Gbagbo a eu « de la veine en échappant à cette furia qui s’est déchaînée contre la personne du Guide ». Ironisant sur la mort du "Guide", il reste perplexe quant à sa valeur d’exemple sur d’autres dictateurs avide de "la folie des grandeurs" : "La mort de Kadhafi aura fait œuvre utile si elle parvenait à convaincre timoniers, pères des nations et autres présidents bien-aimés, de sagement savoir réviser leurs folies des grandeurs"! La pertinence de la question est relayée par le quotidien malien Le Républicain qui s’interroge : « si le coup de feu » a tué un dictateur, il peut bien avoir donné naissance à un martyr ». Le quotidien qui ne cache pas son admiration devant le « martyr » de Kadhafi qui, selon le journal, n’arriveront pas à effacer l’image ensanglanté de Kadhafi propagée par les médias : « l’image du Guide au visage ensanglanté est dure à voir mais il faut bien plus qu’une annonce du CNT, une photo de l’AFP ou un communiqué de l’Otan pour que Bamako, Ouaga et bien d’autres capitales africaines, acceptent la mort de leur héros ». Car, pour le quotdien, "l’efficace fabrique de légendes que sont nos chaumières avait, de toutes façons, décerné toutes les palmes au Guide. Celle de l’invincibilité, celle de l’ubiquité, celle du courage". Le quotidien malien est également très critique à l’égard de l’OTAN : "La propagande qui veille à ce qu’il ne soit pas un martyr prétend qu’il s’était mis à genoux pour demander pardon aux Libyens. Mais il n’a pas été capturé dans un trou de rat comme Saddam Hussein. Il n’a pas succombé à un duel d’honneur contre Jibril. Il a été pilonné par l’Otan". Serait-ce "la frappe de trop ?", questionne le quotidien... Possible, car, indique le journal. Dans ce cas là, ce ne sont pas les déclarations faussement apaisantes et circonstancielles qui régleront le problème. Le fait est qu’après Kadhafi, les martyrs ce sont le Niger, le Tchad et le Mali". Guinée Konakry info (site internet) se fait plus explicite. Il considère que le "martyr" du dictateur signifie un échec de la rebellion et de son représentant le CNT qui n’auront pas ainsi "le plaisir grisant de l’humiliation d’un procès à la Moubarek".

L’élimination de Kadhafi est ainsi loin d’être, pour la presse africaine, le détonateur de la victoire. Pour deux raisons : Kadhafi échappe à la justice, à un procès pour « crime contre l’humanité » sachant que le TPI avait lancé un mandat de recherche à son encontre et que le CNT avait également lancé une mise à prix pour sa capture, mort ou vif. Or, en échappant ainsi à la justice de son pays et au TPI, Kadhafi n’aura pas son procès et c’est bien là l’échec de la justice internationale qui joue un rôle idoine dans les chutes des régimes dictatoriaux. Imaginons un instant qu’il n’y ait pas eu le procès de Nuremberg et que les tortionnaires nazis aient été tués par « hasard » dans la rue, lynchés, sans procès ? L’exemple de l’ex dictateur roumain Nicolae Ceau?escu procède des mêmes effets négatifs que celui de Kadhafi pour un procès en règle qui sert d’exemplarité de la justice dans l’Histoire. Idem pour Ben Laden. La justice n’aura donc pas eu le dernier mot. Est-ce pour cette raison d’ailleurs que les réactions euphoriques qui ont immédiatement suivi l’annonce de la mort de Kadhafi viennent des partis islamistes qui ont crié « victoire !» dans la mêlée. L’image du « martyr » mise en exergue par la presse africaine serait-elle alors un échec politique l’ONU qui veut une enquête sur les circonstances exactes de sa mort? Les forces de l’OTAN disent ignorer que Kadhafi se trouvait dans le convoi qu’elles ont bombardé. D’ores et déjà, Kadhafi, mort, préoccupe l’Occident. Cette image du « martyr » est à la gloire des islamistes qui ont auréolé la fin de Ben Laden qui a sans doute préféré partir en « martyr » que d’être livré à la justice internationale. Il a été tué dans sa demeure, parmi les siens en « héros ». Pourtant, les deux auraient pu être pris vivants. Kadhafi a été capturé blessé mais vivant comme en témoignent les vidéos qui ont fait le tour du monde. Qui a donc intérêt à éviter sa condamnation par la justice et à transformer le bourreau en une figure de « martyr » mythifiée.
Selon Bernard-Henri Levy, très impliqué avec les forces du CNT dont il a été le médiateur auprès du Président français, Nicholas Sarkozy et qui réagissait, hier vendredi, sur France Inter, la mort violente de Kadhafi doit être mise au compte des rebelles et non à l’Otan, relevant que la fin vulgaire du dictateur n’est pas à l’image de la Révolution libyenne : « La manière dont il a été mis à mort n’est pas conforme à la grandeur et à l’exemplarité de cette révolution qui se déploie en Libye depuis huit mois» juge le philosophe français « Ca aurait été mieux s’il avait été arrêté, déféré à la Cour pénale internationale.» M. Zuma, le président sud Africain qui a effectué deux voyages en Libye en 2011 pour tenter de trouver une solution à la crise, abonde dans le même sens. D'après la South Africain Press Association (SAPA), il a déclaré, jeudi dernier, à Prétoria, que Kadhafi n'aurait pas dû être tué, et qu'il aurait dû être arrêté puis jugé par la Cour pénale internationale, compte-tenu du fait, a-t-il précisé, qu'il y avait un mandat d'arrêt émis contre lui.
La presse africaine, contrairement à ses consœurs du monde arabe qui ont salué unanimement la victoire du peuple libyen, traite de cette question cruciale : Kadhafi, comme Ben Laden, a échappé à la justice internationale et les conditions tragiques de sa mort qui n’honorent pas l’insurrection légitime du peuple libyen partie de Benghazi, produiront-elles l’effet contraire : l’image du héros mort en martyr, défiant la justice jusque dans sa mort par ces : « Nous ne fuirons pas. Nous mourrons ici », comme le clame à sa place, Guinée Conakry info ( site internet) qui rappelle que « Kadhafi comme il l’avait promis, se sera battu jusqu’à la mort. Guinée Conakry Info, très critique à l’égard de l’OTAN, prédit même que "les Libyens regretteront un jour Kadhafi » car selon le quotidien « L’Otan tôt ou tard s’en ira, les rebelles se retrouveront face à leur destin, le prochain gouvernement face à son devenir, les tribus à leur avenir, les divergences à la réalité » Mettant en avant le respect des droits de l’Homme dans la mise à mort du dictateur, sous son titre sans détour, « Un crime signé OTAN », le quotidien sénégalais Sud Quotidien accuse sans ambages l’OTAN qui a piétiné les droits de l’homme : « l’OTAN, qui a permis au CNT de renverser puis tuer Mouammar Kadhafi, a porté un combat plus économique et idéologique que de défense des droits de l’homme ». Le journal, va plus loin et désigne l’OTAN comme une « propagande ennemie » qui « avait tout fait pour présenter la situation sur le terrain, comme un des épisodes de ce qui a été hâtivement baptisé de "révolution" dans le monde arabe ». Considérant que « l’Egypte de Hosni Moubarak et, surtout, la Tunisie de Zine el Abidine Ben Ali, n’avaient quasi rien de commun avec le pays de Mouammar Kadhafi.» en ce sens que, estime-t-il , sans apporter aucune preuve tangible « le fondateur de la Jamahiriya Arabe n’avait pas oublié son peuple dans les retombées du pétrole dont regorge le sous-sol libyen. .. »
Le quotidien malien Le Pouce tire à boulet rouge sur les «forces impérialistes» représentées à ses yeux par l’OTAN qui, écrit-il sont enfin « arrivé(es) à terme de la mission qu’(elles) se sont assigné(es) depuis la fameuse résolution 1973 du conseil de sécurité des Nations Unies » : « A la vue de ces scènes de liesse, l’impérialiste occidental se rira toujours de la naïveté de l’Africain qui se glorifie de la perte d’un des leurs qui plus est natif de la patrie pour laquelle le CNT dit se battre. On aurait aimé que le sort de Kadhafi soit décidé par les libyens sans aucune ingérence quelconque ». Et le quotidien de conclure : « En tous cas, tous les assassins du guide libyen se souviendront que le printemps arabe a mis plus de temps pour se dénouer en Libye qu’ailleurs en Tunisie et en Egypte. (…) ils auront éperdument une mort sur la conscience quoique leur victime ait été pire dans sa vie » laissant suggérer la mort de Saddam Hussein capturé par les forces de la coalition et pendu sous les caméras du monde entier après une « justice expéditive » tout comme le procès de Hosni Moubarak déchu et jugé par les siens mais transformé en un spectacle médiatique.
A rebours de ses confrères qui agitent l’image du « martyr » et non de « traitre », le Connectionivoirienne ( site internet) détruit cette image « mythique » de la mort de Kadhafi en écrivant « Dans l’émotion, nous avions voulu voir hier Kadhafi en héros, jusqu’au bout : un leader authentique, assumant ses engagements et ses révoltes contre l’ordre injuste, comme le font tous ces révoltés qui défient la mort, et qui s’immolent (clin d’œil fait au jeune à Mohamed Bouazizi, mort en vrai martyr de la Révolution !) Un leader se tirant une balle dans la tête ou faisant exploser son bunker, pour éviter l’humiliation des images de sa mort, comme tout humain. Or, Kadhafi n’est rien. ». Il nuance ses cependant ses propos en estimant qu’il ne suffit pas de critique l’Europe, l’Occident et la France, le journal critique l’Union africaine qui n’a pas dénoncé en son temps son ex-leader dans son « refus de partage des pouvoirs » Plus que le CNT, Kadhafi en sa qualité de président en exercice ( de l’Union africaine) , avait la responsabilité de la paix ». Rappelons que Kadhafi a été élu pour un an à la tête de l’organisation panafricaine en 2009 par les chefs d'Etat et de gouvernement de l'Union africaine (UA), réunis à Addis Abeba en 2009. A peine élu , Mouammar Kadhafi s’est octroyé le titre de « roi des rois traditionnels d’Afrique ». Lors du 17e sommet de l’UA qui s'est déroulé au début du mois de juillet 2011 en Guinée Équatoriale, les chefs d’État africains n’avaient pas demandé le départ de Mouammar Kadhafi, comme le souhaitait le CNT. L’Algérie avait ajourné sa reconnaissance du CNT Libyen et voté avec la ligue arabe contre l’intervention de l’OTAN. Ce n’est qu’un mois après la prise de Tripoli par les insurgés, que l’Union africaine, voyant son leader perdu à jamais, décide in extrémis, fin septembre dernier, la reconnaissance du CNT.

R.N, Afrika.com et Agences

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Commentaires (2) | Réagir ?

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ali Foughali

Cher Ben Laden bientôt vous ne serez plus seul au fond de l'océan. Votre ami Khadafi va venir vous rejoindre.

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akli ath laarat

"Mort en martyr" ? Ca veut dire quoi au juste ? Il n'y a que la mort ou en héros ou la mort en chien. Je penche, concernant ces deux individus, pour la deuxième. Regardez ce "sourire" de chrysalide de Ben Laden, à mi-chemin entre le sourire d'un homme et celui d'une courtisane. Effiminé, castré par et pour son seigneur. Un être comme mes ami, ça peut-il être un héros ?