Je viens de lire le long, très long entretien de Yasmina Khadra au Quotidien d’Oran. Et je vous le dis tout de suite : il n’est pas question, ici, de dénigrer un écrivain algérien qui dit publier en 32 langues et qui, pour ne rien arranger, se dit un « ami » de mon directeur. Je laisse à Mohamed Benchicou le soin d’en dire plus, quand il le jugera opportun. Non, ce qui m’a frappé dans ce long, très long entretien, c’est cet éloge incongru du président Bouteflika à propos de l’audience qu’il eut l’amabilité d’accorder à Yasmina Khadra un mois après la publication de la pourtant virulente tribune de ce dernier dans El Pais : « Il m'a accueilli avec humilité. Il m'a montré à quel point il avait du respect pour moi, pour mes convictions. Le Président m'a donné une véritable leçon de démocratie. Dans la tradition de la souveraineté nationale, quand un écrivain dépasse les bornes, on le faisait taire d'une manière ou d'une autre. »

Alors là, je me suis demandé : parle-t-on du même Président ? Le compliment était déjà gênant, s’appliquant à un président dont Yasmina Khadra décrivait, un mois plus tôt, un « système en total décalage avec la mondialisation » et dont il dénonçait « les dépassements, les injustices et les humiliations quotidiennes. » Il devient complètement compromettant quand il l’absout de ses propres exactions. Parce qu’enfin, M. Khadra, sans parler des 9 journalistes emprisonnés sous le règne de ce « Président qui a donné une véritable leçon de démocratie », il y au moins un écrivain qui a « dépassé les bornes » et qu’on a « fait taire d'une manière ou d'une autre », c’est votre « ami » Mohamed Benchicou ! Deux ans de prison pour avoir « dépassé les bornes » sous la forme d’un livre : « Bouteflika une imposture algérienne » ! C’est plutôt une belle « manière » de faire taire un écrivain, vous ne trouvez pas ? Ou plutôt si, c’est ce que vous pensiez avant d’être au CCA. Je relis ce que vous avez écrit le 17 juin 2004, trois jours après l’emprisonnement de Mohamed Benchicou : « « N’aurait-il pas été juste, après avoir pardonné aux ennemis de la nation, d’en faire autant avec les adversaires des gouvernants ? Je n’ai pas applaudi Benchicou à la sortie de son brûlot contre le président. Cependant, peut-on reprocher à quelqu’un de clamer ce qu’il pense, en son âme et conscience, être la vérité ? Et puis, c’est quoi la vérité ? Depuis que le monde est monde, il n’y a jamais eu de vérité vraie, mais seulement des choses auxquelles on croit et d’autres auxquelles on ne croit pas. Raison pour laquelle j’ai du mal à admettre, qu’après tant d’infortunes et de prières gâchées, la rancœur continue de supplanter la plus inespérée des présences d’esprit.-Benchicou est en prison. Est-ce bien sa place ? »

Je me dispense de tirer une quelconque conclusion à propos de votre trou de mémoire mais je ne peux m’empêcher de m’extasier devant la merveilleuse imagination du romancier qui fait d’un président capable de « rancœur » en 2004 un gentil professeur de démocratie en 2007 !

Ce nouveau personnage de votre nouveau roman n’est pas le plus génial que vous ayez créé. Aussi, je pense que je ne vous lirai plus. Une plume qui abandonne sa spontanéité est bonne pour le marché aux puces.

Je vous préférerai désormais celui qui a osé écrire, l’été dernier, cette formule endiablée : « Nos gouvernants ne pensent qu’à leurs fonds de commerce, leurs petites magouilles et leur trafic d’influence : ils doivent comprendre que leur place est au musée de la Bêtise humaine ou bien à la fourrière. »

Il s’appelait Yasmina Khadra

Zaouèche