Les militaires égyptiens ne partagent pas le projet démocratique des révolutionnaires

Les militaires égyptiens ne partagent pas le projet démocratique des révolutionnaires

Depuis vendredi 8 juillet des dizaines de milliers d’Egyptiens manifestent de nouveau pour rappeler à l'armée au pouvoir les idéaux du mouvement qui a entrainé la chute du président Hosni Moubarak en février. Entretien avec Jean-Noël Ferrié, directeur de recherche au CNRS, spécialiste de l'Egypte.

Nouvel observateur : Comment se fait-il que l’Armée égyptienne, adulée par les révolutionnaires au lendemain de la chute du président Hosni Moubarak, soit aujourd’hui la cible des critiques ?

Jean-Noël Ferrié : Les révolutionnaires sont redescendus dans la rue pour dénoncer l’impunité dont jouissent les policiers soupçonnés d’exactions pendant et avant la répression orchestrée par Hosni Moubarak. C’est l’élément déclencheur. Mais depuis plusieurs mois déjà, ceux qui ont manifesté pour la chute de Moubarak sont en plein désenchantement : ils se rendent compte que les militaires n’ont jamais partagé leur projet démocratique et qu’il y a eu quiproquo sur leur rôle.

L’Armée a eu la sympathie des manifestants, mais n’a jamais été révolutionnaire. Les militaires, qui ont toujours été un sous-bassement du régime, ont tout simplement fait un coup d’Etat contre Hosni Moubarak, mais la structure même du pouvoir est restée la même. Les révolutionnaires veulent faire pression sur le pouvoir pour que la réforme de la constitution ait lieu avant les élections législatives prévues pour l’automne. Dans le cas contraire, ils craignent que les votes donnent le pouvoir aux notables et aux Frères musulmans. Ces derniers signeraient une Constitution conservatrice.

Les manifestants sont donc conscients du fait que la majorité silencieuse égyptienne pourrait préférer l’ordre et la continuité au changement ?

La grande majorité de la population égyptienne ne partage pas les revendications des manifestants. Ces Egyptiens de la majorité silencieuse pourraient en avoir ras-le-bol. Le pays vit une crise économique depuis la chute de l’ex raïs. La vie quotidienne devient de plus en plus difficile. Le pouvoir va donc jouer sur l’essoufflement du mouvement de la place Tahrir. Pour mobiliser, les manifestants se contentent à présent de demander ce qui fait consensus au sein de la population égyptienne: que justice soit faite contre les coupable d’exactions. Les objectifs révolutionnaires sont mis de côté. Leur difficulté aujourd’hui est de trouver des demandes mobilisatrices pour l’ensemble des Egyptiens.

Samedi soir, le Premier ministre Essam Charaf a annoncé le limogeage des policiers accusés de violences durant la révolution. Il a aussi promis une justice plus rapide pour les coupables d’exactions sous l’ancien régime. Pourquoi les manifestations ont-elles continué ?

Ces annonces sont faibles. Le Premier ministre a promis que les policiers impliqués dans des exactions seront renvoyés. Mais ce que veulent les manifestants, c’est que ces policiers soient jugés. Mais en réalité, les poursuites en justice ne sont pas dans les cordes du Premier ministre. Ce dernier se retrouve dans une situation gênante car ses capacités d’actions directes sont limitées. Il a proposé ce qu’il pouvait faire : renvoyer les policiers impliqués dans des exactions. Mais son pouvoir s’arrête là.

En outre, les manifestants demandent à Essam Charaf que les civils ne soient plus jugés par des tribunaux militaires mais par des juridictions civiles. En même temps ils veulent que la justice soit plus rapide. C’est impossible. Le Premier Ministre peut juste espérer que le procès d’Hosni Moubarak début août calme les esprits.

Le gouvernement et l’Armée n’ont donc aucun intérêt à répondre aux revendications des manifestants en enclenchant le mouvement de Justice, et ne le feront pas?

La situation est la même que sous Moubarak : le régime a besoin d’une police qui fonctionne et qui puisse assurer la sécurité. Il n’a pas intérêt à ce que la police soit "nettoyée". D’autre part, les dirigeants actuels de l’Egypte étaient déjà à la tête du pays sous Moubarak. Ils ne sont pas portés par la vague révolutionnaire et ne souhaitent pas que le mouvement de justice et de nettoyage ait lieu car ça pourrait directement les concerner un jour.

Jusque où aller dans le nettoyage ? C’est une des questions majeures qui se pose à la Justice au lendemain de toute révolution. Le maréchal Mohammed Hussein Tantaoui, qui dirige le Conseil suprême des forces armées égyptiennes, a par exemple appartenu au régime du raïs pendant trente ans. Les révolutionnaires sont coincés. Le maréchal Tantaoui est, après Hosni Moubarak, le nouveau cristallisateur de la colère des manifestants. Mais il représente l’Armée. S’il s’en allait, un autre militaire prendrait sa place et agirait comme lui.

Entretien réalisé par Léonor Lumineau

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Commentaires (2) | Réagir ?

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Simply

Les généraux égyptiens proches de Moubarak, donc d’Israël est en affaire avec eux, ont vu le comportement du cabinet noir en Algérie. Alors ils souhaitent s'en inspirer pour mettre la main sur les richesses et la souveraineté de l’Égypte, comme l'a fait le cabinet noir algérien, pour l'Algérie. Le cabinet noir algérien a été placé dans les plus hautes institutions très sensibles de l'Etat algérien, par la France, la veille de l'indépendance, pour protéger ses intérêts au détriment de ceux du peuple Algérien, appliquer son agenda politico-économique et bloquer le développement de l'Algérie, par tous les moyens. Tout cela est avéré et corroboré par la publication d'ouvrages de qualité. Il en est de même pour l'Egypte, les généraux au pouvoir en Égypte sont télécommandés par Israël.

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ramdane chenoui

Sans l'intervention de l'oncle Sam, le soulèvement des populations égyptiennes serait terminé par

un massacre car les militaires, encadrés par des officiers choisis par Moubarak, n'auraient pas renoncé

facilement à leurs privilèges, leur attentisme n'a été possible que grâce à l'injonction du gouvernement américain en les menaçant de passer devant le TPI en cas d'intervention. L' Égypte, prise en otage par des frères musulmans fortement structuré contrairement à une population divisée, comme d'ailleurs chez nous en Algérie doit se résigner à choisir entre la peste et le choléra.