Elimination de Ben Laden : la traque des collaborateurs de la CIA commence

Soldats pakistanais devant la maison où fut tué Ben Laden.
Soldats pakistanais devant la maison où fut tué Ben Laden.

Les services secrets pakistanais sont sur les dents depuis l'élimination du chef d'Al-Qaïda à Abbottabad au Pakistan. Ils ne cherchent pas à savoir comment il avait pu y séjourner pendant six ans, mais à débusquer ceux qui ont informé les Américains.

"Une fois que tous les médias sont partis, c’est là qu’on a commencé à avoir peur." Saniullah est Afghan. Les siens ont fui la guerre contre les Russes dans les années 1980. Voilà sept ans qu’ils ont quitté leur camp de réfugiés près de la frontière afghane. Sept ans d’une vie paisible à Bilal Town, un quartier résidentiel d’Abbottabad, qui a eu le malheur d’abriter le moudjahid le plus célèbre et le plus recherché au monde : Oussama Ben Laden.

Dans une petite ruelle terreuse, loin des regards, Saniullah confie à voix basse : "L’armée est venue quatre fois chez moi pour inspecter la maison et interroger tous les membres de ma famille." Kaser Mehmood, lui, tient toujours boutique. Il est l’épicier du quartier qui s’est targué devant les caméras du monde entier de vendre du Coca-Cola aux occupants de la maison de Ben Laden. "Ils ont arrêté beaucoup de gens. Quinze, vingt personnes sont toujours emprisonnées, on ne sait pas où." Ils? "Les services secrets ! Ils sont partout!" Les clients défilent dans le magasin de Kaser et pas un seul d’entre eux n’acceptera de répondre à un journaliste étranger.

Zaheem, lui, a bien voulu parler, mais à l’autre bout de la ville, loin de son quartier. Cet étudiant en informatique habillé à l’occidentale, tee-shirt rouge et jeans, était l’un des voisins directs du chef d’Al-Qaida. Pour rentrer chez lui, Zaheem doit montrer patte blanche aux check-points disséminés tout autour de la zone du compound de Ben Laden. "Mon oncle a voulu nous rendre visite et il n’a pas pu passer. J’ai eu beau aller à la barrière parler aux militaires, ils n’ont rien voulu savoir."

Qui a aidé les Américains à monter l’opération contre Ben Laden ?

Le téléphone portable de Zaheem sonne. C’est son père. Il s’inquiète que son fils ne soit toujours pas rentré de l’université. "Tous mes voisins ont été arrêtés, et ils sont toujours détenus. Mon plus proche voisin, Kaleem, a été emmené par l’ISI [Inter-Services Intelligence, les services secrets pakistanais]. Il avait abattu des
arbres quelques jours avant l’opération américaine, juste à l’endroit où les hélicoptères ont atterri", déclare le jeune homme terrorisé.

La première préoccupation des autorités semble être de savoir qui a aidé la CIA à monter son opération. La question de la présence depuis 2005 du chef d’Al-Qaida dans une maison située à deux pas de la principale académie militaire du Pakistan devient presque subsidiaire. L’homme de la rue, lui, veut savoir avant tout comment l’armée pakistanaise, en tête de liste des dépenses de l’État, a pu laisser les Américains faire ce qu’ils voulaient dans leur pays. Le gouvernement a nommé une commission d’enquête sur ce qu’on appelle ici, "l’incident d’Abbottabad".

"Nous détenons 30 personnes arrêtées à travers tout le Pakistan. Il y en a parmi elles qui sont des informateurs de la CIA. Nous allons agir avec elles comme on le ferait avec des services secrets amis, selon nos propres lois", a confirmé cette semaine sur les chaînes américaines Husain Haqqani, ambassadeur du Pakistan à Washington. Un major de l’armée, voisin de Ben Laden, serait l’une d’entre elles, selon des sources américaines. Une affirmation démentie par le service de communication de l’armée pakistanaise.

Le chef des armées sur la sellette

"Sans une complicité au sol, il est impossible de mener une telle opération. Il faut quelqu’un d’entraîné à cela, quelqu’un de l’armée", assure Sajid Sarwar, jeune retraité de 36 ans de l’armée pakistanaise. Dans sa maison d’Abbottabad, assis sous un grand tapis mural représentant La Mecque, le major ne décolère pas : "Des traîtres à la nation ont aidé la CIA à lancer une opération qui nous a humiliés, nous et toute la population pakistanaise, et qui a déclenché une série d’attentats sanglants au Pakistan", lance-t-il.

Sajid Sarwar tient aujourd’hui un garage dans le centre-ville. Si ses anciens collègues refusent de s’exprimer devant la presse, ils ne mâchent pas leurs mots quand ils se retrouvent autour d’un capot de voiture. "Quand Hillary Clinton [la secrétaire d’État américaine] vient nous faire la leçon ici, on a tous envie de sortir notre revolver. De toute façon, le responsable dans tout cela, c’est Kiyani!" conclut le major.

Le général quatre étoiles Ashfaq Parvez Kiyani, numéro un de la toute-puissante armée au Pakistan. En 2008, l’hebdomadaireNewsweek le classe parmi les 20 personnes les plus puissantes au monde. Un an plus tôt, il a succédé au général Musharraf, alors chef de l’État, qui lui a abandonné le pouvoir militaire dans le seul pays musulman doté de la bombe atomique. Tous deux sont diplômés de la prestigieuse académie militaire d’Abbottabad. Avant d’accéder au grade suprême, le général Kiyani est passé par la case services secrets, en tant que directeur général de l’ISI pendant trois ans.

Mais le chef des armées devra peut-être se contenter de diriger la Fédération pakistanaise de golf, dont il est le président. Les journaux américains le disent sur la sellette. Son leadership serait remis en question par les dix autres généraux qui forment le commandement central de l’armée. "Pure propagande!" dénonce Pervaiz Iqbal Cheema, président du département des relations internationales à la Defence University, un établissement chapeauté par l’armée. Le professeur a assisté à l’une des rares apparitions publiques du général avec ses officiers : "Il n’y avait aucun signe de tension entre eux. Toutes ces nouvelles venues des États-Unis visent à diviser et affaiblir notre armée!"

Les djihadistes étaient soutenus par l’État pakistanais

Vendredi, le quotidien américain New York Times fait une nouvelle révélation. Le répertoire du téléphone de l’homme de confiance de Ben Laden saisi dans le compound contiendrait des numéros de djihadistes appartenant au Harakat ul-Mujahideen (HUL), eux-mêmes en contact avec des membres des services secrets pakistanais. Sans impliquer directement l’ISI, cette découverte ouvre, pour les enquêteurs américains, une piste vers la complicité de certains de ses membres dans la planque du chef d’Al-Qaida.

"À l’origine, ces mouvements djihadistes étaient soutenus ouvertement par l’État pakistanais pour aller combattre l’Inde dans le Cachemire", explique Asad Muneer. Cet ex-responsable des services secrets pakistanais dans les provinces frontalières avec l’Afghanistan et dans les zones tribales reçoit sur sa terrasse à Islamabad, située juste en face du complexe ultrasécurisé de l’ambassade des États-Unis. "Ils ont été interdits à partir de 2002 au Pakistan. Le HUL a été classé terroriste par les Nations unies", poursuit-il. Quand on lui demande si les espions pakistanais pourraient avoir conservé des contacts avec ces djihadistes, l’homme se montre évasif : "Je ne peux pas répondre, ce serait pure spéculation."

Le Harakat ul-Mujahideen était lié à Al-Qaida bien avant d’entrer dans la clandestinité. En août 1998, les États-Unis lancent des missiles Tomahawk sur quatre camps d’entraînement d’Al-Qaida en Afghanistan, en représailles aux attentats contre les ambassades américaines au Kenya et en Tanzanie (224 morts). En réalité, l’une de ces bases terroristes était dirigée par ces djihadistes pakistanais. C’est ce groupe, aussi, qui s’occupe, jusqu’en 2001, d’organiser les interviews de Ben Laden.

Le mouvement est historiquement implanté à Abbottabad, point de passage obligé entre le Cachemire et les zones tribales. Ses camps étaient disséminés tout autour de cette ville. Dans la plus vieille mosquée d’Abbottabad, la plus vaste aussi, c’est grande prière ce vendredi. Les fidèles font leurs ablutions sous des voûtes abritant une source naturelle, puis montent prier entre les colonnes blanches de ce bâtiment construit en 1935. Le vieux Maulvi lit un prêche sur l’aumône qui doit être faite aux pauvres. Sa voix résonne dans tout le quartier, relayée par de puissants haut-parleurs. Il s’interrompt, puis élève la voix : "Il y a un étranger dans cette mosquée, un non-musulman ! Il faut appeler la police et les services secrets pour qu’ils le jettent en prison!" Les regards se tournent, la tension monte. Les étrangers ne sont plus les bienvenus à Abbottabad.

Envoyé spécial au Pakistan : Julien Fouchet, pour Le Journal du dimanche daté du 26 juin.

Plus d'articles de : L'actu en Algérie et ailleurs

Commentaires (1) | Réagir ?

avatar
Bey Mustapha BEBBOUCHE

Prenez trois photos; celle de Barak Obama, celle de Bush et celle de Ben Laden et dites-vous qui sont les criminels ?