Lettre ouverte d'un anthropologue à Khalida Toumi

Lettre ouverte d'un anthropologue à Khalida Toumi

Au cours du mois de juillet 2009, j’ai adressé à Mme Khalida Toumi, Ministre de la Culture, une lettre -en recommandé avec accusé de réception- dans laquelle je lui faisais part d’un projet original, dans le cadre de mes compétences. Mon intention était de révéler à nos enfants et au public algérien non familiarisés avec les composantes de notre histoire plusieurs fois millénaire, les myriades de stèles libyques (*) et phéniciennes faisant partie du patrimoine immémorial de l’Algérie

Les mois ont passé. Aucune réponse n’est venue de la part de la ministre de la culture. J’ai adressé une nouvelle lettre à Mme Toumi, restée également sans réponse. C’est alors que j’ai découvert le site Web du ministère de la culture, j’ai alors adressé cette fois un émail à Mme Yahi, la chef de cabinet de la ministre, en ces termes :

« Madame Yahi Zéhira. Si vous rencontrez Mme Toumi dans les couloirs, dans son bureau ou entre deux petits fours, soyez aimable de lui rappeler ma lettre du mois de juillet dernier, restée sans réponse à ce jour 14 décembre 2009, contrairement aux règles de la bienséance les plus élémentaires. Avec mes salutations chaleureuses. P.S : Je vous adresse en Pièces jointes la copie de cette lettre.

Ali Farid Belkadi, le 14 décembre 2009 à 15 heures.

Mme Yahi me répond quelques heures plus tard :

« Bonjour monsieur, Malgré le ton fort désagréable de votre email, j'ai lu avec intérêt votre courrier et, après recherches, vous affirme que nous ne l'avons jamais reçu. Afin de remettre votre lettre, dont le contenu est fort intéressant, à madame la ministre, je vous serais reconnaissante de bien vouloir m'envoyer les pièces jointes auxquelles vous faites référence. Parfaite considération, Zéhira Yahi ».

J’ai (re)envoyé par émail le courrier à Mme Yahi, auquel j’ai joint un épais fichier de plusieurs mégaoctets, qui incluait une série de photographies personnelles prises dans les réserves du Musée du Louvre. J’ai assemblé à mon courrier des extraits documentaires tirés de mes archives particulières, consacrées à l’antiquité. Ainsi que les copies de contributions à deux colloques, parues dans des publications spécialisées.

Cette fois-ci c’est une autre personne du ministère qui se manifeste par émail. Elle m’écrit :

« Bonjour M. Belkadi, Je suis désolée, je n'arrive pas à ouvrir vos documents, voulez-vous bien nous les renvoyer sous un autre format. Merci. (Mme H... Assistante de Mme la ministre de la Culture) ».

Quelques instants plus tard je reçois l’émail :

« Bonjour Monsieur, J'ai bien reçu vos documents. Merci. (Signé : Mme H...) ».

Depuis ce message électronique qui porte la date du 21/12/2009, je n’ai plus eu de nouvelle du ministère de la culture.

Ma lettre du 9 juillet 2009 à Mme K. Toumi disait ceci :

« Madame la ministre. Depuis quelques jours, grâce à l’obligeance de la Conservatrice générale, je fais un travail de dénombrement des inscriptions libyques et puniques de l’Algérie, qui sont conservées dans les réserves du musée du Louvre. Il s’agit des inscriptions Libyques (ancien-berbère) et celles puniques d’El-Hofra (Constantine). Ce site n’existe plus, des édifices modernes s’élèvent de nos jours sur son emplacement. Al-Hofra-Cirta la punique par son importance, vient juste après Carthage de Tunisie, par le nombre d’inscriptions qui y furent découvertes.

· Plus de mille deux cents (1200) inscriptions libyques dont certaines datant du V° siècle avant J.-C. ont été mises au jour en Algérie, contre seulement treize (13) en Tunisie, dont de très maigres fragments.

· Le site d’Al-Hofra qui date du III° siècle avant J.-C. et ses quartiers de Constantine renfermaient un millier de stèles puniques écrites ou anépigraphes.

Madame La ministre (...) En ce début du XXI° siècle, avons-nous des idées originales à réaliser sur cette terre algérienne ou alors sommes-nous moutonnant, toujours à la traîne de ce qui se vit en occident ? (...) Mon idée consiste à restituer l’ensemble des stèles Libyques et Puniques à notre pays. Il ne s’agit pas de faire revenir dans nos musées les monuments originaux disparus à jamais, détruits ou subrepticement soustraits par les collectionneurs de l’époque coloniale à notre pays (...) Les musées occidentaux sont les hauts-lieux de la rapinerie universelle, à grande échelle, cela est connu (...) Le travail que je vous propose aujourd’hui dépasse mes moyens financiers et il ne saurait être convenablement accompli que dans un cadre officiel, avec votre caution et les garanties indispensables (...) Très peu de pays dans le monde connaissaient l’écriture à la fin du néolithique, notre pays en est pourvu d’est en ouest et du nord au sud. Nos ancêtres étaient lettrés, c’est ce que mon projet proclame. La France analphabète il y a deux mille ans, ne renverra jamais ces monuments savants qui appartiennent aux algériens, il s’agit de prises de guerre, c’est aussi une façon de confisquer les fondements de notre culture nationale. Ainsi reproduites, ces stèles qui représentent une infime facette de notre patrimoine antique, iront embellir nos écoles et les salles de nos musées. Afin que les générations futures se rappellent qu’elles ne sont pas issues du processus de génération spontanée (...) Il faut sans cesse apprendre et réapprendre à nos enfants qu’ils sont des êtres vivants issus d’aïeuls lettrés, qui nous ont laissé des traces jamais égalées nulle part ou alors dans de rares pays, dont ils devraient être fiers. Nos ancêtres qui savaient lire et écrire, furent de grands créateurs du beau, des réalisateurs d’idées, des confectionneurs d’art culturellement motivés, leurs apports aux différentes civilisations du pourtour méditerranéen ont été légitimés par le temps depuis la préhistoire. Nos ancêtres ont participé magistralement à tous les siècles marquants qui firent l’humanité (...) Ces reproductions si elles sont exécutées, devront également toucher par la suite l’art rupestre et les inscriptions des différents Tassilis -de Djanet, et de Tamanrasset- il faut faire entrer l’art rupestre dans les écoles primaires et élémentaires, en les reproduisant au millimètre prés. De nos jours, ces sites prodigieux de l’histoire antique et de l’archéologie algérienne demeurent inaccessibles aux visites publiques, aux promenades scolaires ainsi qu’aux circuits touristiques. Le projet que je vous soumets est facilement réalisable, les techniques et les connaissances existent. Restent les moyens budgétaires. Je peux dors et déjà agir, si vous m’en donnez les moyens. Restant à votre entière disposition, dans l’attente de votre aimable réponse, je vous prie d’agréer Madame la Ministre l’expression de mes sentiments distingués ainsi que ma haute considération ».

Ali Farid Belkadi, le 9 juillet 2009

Tel était mon projet, exposé à la ministre de la culture, que je pensai sociable et prévenante dès lors qu’il s’agissait de la culture historique de l’Algérie. Une année plus tard, en janvier 2011, j’ai appris par inadvertance, par voie de presse la tenue d’une exposition sur les phéniciens « Les phéniciens et l' Algérie L’Empire de la mer » organisée par la ministre de la culture à Alger, avec l‘aide abondamment rétribuée de spécialistes italiens, cette exposition, fut annoncée ainsi par un journal : « A travers un parcours en zigzag, le visiteur peut découvrir une mosaïque d'objets en provenance des différents musées nationaux de plusieurs villes algériennes, qui traduisent la relation tissée entre les populations numides et les navigateurs phéniciens venus de l'Orient à la recherche de matières premières. Organisée dans le cadre de la coopération culturelle algéro-italienne »...

Je ne prétends nullement que mon, idée a été usurpée. Seulement Madame Toumi n’a jamais répondu à mes lettres, je n’ai pas eu d’invitation à cette exposition prétentieuse, onéreusement agencée.

Parlons phénicien ! À ma connaissance les chercheurs algériens, ne se bousculent pas aux symposiums qui traitent de ces sujets pointilleux. Pour ma part je n’en ai jamais rencontré, nulle part. Si ce n’est pas voie de journaux dans une exposition ministérielle algérienne accommodée au goût des latins. La culture git bel et bien dans des aires giboyeuses, euro-productives et de préférence rentables par dessus les eaux azuréennes de la méditerranée.

(*) Le mot libyque employé ici, désignait à l’origine l’ensemble des pays du Maghreb, et les phéniciens un peuple originaire de l’actuel Liban, de la Palestine et de la Syrie, qui fonda vers 3000 avant le présent de nombreux sites en méditerranée, dont la Carthage de Tunisie –il y eut plusieurs Carthage- au cours du IX° siècle avant J.-C.

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Commentaires (4) | Réagir ?

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laid baiid

Monsieur Belkadi

Persévérez,. vous faite un travaille grandiose que seuls les intellectuels apprécient. Vous pensez que nous avons un ministre de la Culture, culture de la chipa, peut être. Une ministre qui a ouvert une foire du livre sous des chapitaux pour faire travailler sa soeur. Alors que l'Algérie a construit des espaces spéciaux pour.

Ou réalisé un festival Panafricain passé inaperçu à coup de millions d'euros.

Je vous propose de vous adresser à notre voisin marocain Il vient d'officialiser le Berbère

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sam abed

Ce que vous ne comprenez pas, c'est que ce pouvoir avec la complicité de la majorité des Algériens fait tout pour faire disparaitre l'Algérie antérieure au septième siècle. La seule chose qui vous reste à faire est de récolter le maximum d'information et de la divulguer sans passer par le circuit officiel. Internet reste le moyen le plus efficace.

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