Les propositions de réformes politiques d'Ali Haroun

Les propositions de réformes politiques d'Ali Haroun

Après avoir rappelé dans quel contexte les précédentes constitutions et chartes furent votées, Ali Haroun avance, dans sa déclaration à l’Instance de consultations en vue des réformes politiques, huit propositions de réformes intéressantes à creuser.

Les réformes politiques projetées auraient pour but de remédier aux insuffisances de la Constitution et des lois organiques. Or, si la Loi fondamentale et les textes subséquents avaient été librement discutés, régulièrement votés puis loyalement appliqués, les réformes ne s’imposaient guère. L’on sait que les lois ne valent que par les hommes qui les appliquent et celles qui nous régissent n’ont été ni élaborées par un législateur crédible ni loyalement appliquées, mais au contraire, souvent dévoyées et parfois trahies. Ces considérations exposées, quels sont les maux et quels seraient les remèdes.

1 – La Constitution

A) La première, celle de septembre 1963, ne fut ni rédigée par l’Assemblée constituante ni librement discutée. Après avoir investi une «commission de rédaction du projet de Constitution», l’Assemblée désignée dans sa grande majorité par le chef de l’Etat fut poussée à perdre un temps précieux en discussions byzantines, pour permettre à notre premier président de la République de faire adopter, dans un cinéma de la ville (sic), un projet de Constitution que, bien entendu, une Assemblée aux ordres allait entériner. Telle fut la première Constitution qui devait régir l’Algérie. Pour l’honneur du pays, une vingtaine de députés osèrent se prononcer publiquement «contre», dénonçant ce «costume sur mesure» taillé pour faire du chef d’Etat un despote, par l’adhésion d’une prétendue majorité des «représentants de la volonté nationale». Texte apparemment légal dans sa forme mais totalement contraire à cette volonté nationale bâillonnée, il ne dura que 21 mois. Après quoi, les plus fidèles soutiens du président et partisans du «oui» à la Constitution allaient le destituer et l’emprisonner, sous l’accusation de «tyrannie». La justification de la destitution devait être fournie par un «Livre blanc» dont on promettait la publication imminente. Ce livre n’a jamais paru et le président demeura emprisonné sans jugement pendant 14 années.

B) Suite au 19 juin 1965, le second chef de l’Etat limoge l’Assemblée nationale et renvoie les députés dans leurs foyers. Après suspension de la Constitution, il allait pendant une dizaine d’années gérer le pays par ordonnances, un Conseil de la Révolution, nommé par lui et «épuré» par lui, constituait un organe de façade, incapable de discuter et encore moins de s’opposer à la volonté du chef.

C) La Constitution de novembre 1978

Inspirée de la Charte du 27 juin 1976 établie par le parti unique sous le contrôle vigilant et sourcilleux du chef de l’Etat, la Constitution qui optait pour un socialisme «irréversible», pour ne pas commettre l’hérésie de le déclarer éternel, fut votée le 19 novembre 1976 au score de 99,18% des voix. Et dans la foulée, le chef du Conseil de la Révolution se faisait élire président de la République le 11 décembre 1976 avec 99,38% des voix. Nous verrons plus loin comment qualifier ces scrutins manifestement fallacieux.

D) La Constitution de novembre 1989

Intervenant après les révoltes d’octobre 1988, elle allait abroger l’option irréversible du socialisme, proclamé par la Constitution précédente, mettre un terme au parti unique et ouvrir les perspectives tant attendues du pluralisme politique qui, en réalité, s’avéra être un leurre.

E) La Constitution de décembre 1996

Confirmant les timides avancées démocratiques, elle a eu le mérite remarquable de mettre un terme au pouvoir à vie du président de la République et d’instaurer l’alternance en limitant à deux le nombre de mandats présidentiels. Faisant exception à toutes les insuffisances et critiques adressées à nos pratiques électorales, il est à noter que le principe de l’alternance ainsi que la condamnation de l’accès ou du maintien au pouvoir par la violence avaient été proclamés lors des discussions de l’été 1993 et respectés par le Haut comité d’Etat à la fin de sa mission. C’est dans la paix et la sérénité que, pour la première fois, le pouvoir fut transmis par le HCE au président Zeroual comme, en 1999, il l’a lui-même retransmis au président Bouteflika.

F) L’amendement de la Constitution du 12 novembre 2008

A cette date, les deux chambres réunies en Parlement sont invitées à voter certains amendements, dont l’essentiel était l’abrogation de l’article 74 de la Constitution, les autres ne constituant que l’habillage accessoire pour faire passer le principal, c’est-à-dire la présidence à vie du chef de l’Etat alors en exercice. La proposition avancée par les trois leaders de l’Alliance présidentielle n’aurait pu se faire sans l’accord évident du futur candidat, tandis que l’acceptation fut donnée à main levée et sans discussion par l’ensemble des parlementaires. Ce ralliement, offert sans un seul geste même symbolique de refus pour témoigner du désir de préserver la démocratie, aura été ressenti par beaucoup d’Algériens comme une atteinte profonde à leur dignité d’hommes, de patriotes, de citoyens, et d’autres l’ont éprouvé comme un viol de la Constitution. Heureusement, sous la rafale de liberté démocratique balayant nos contrées, ceux-là mêmes qui étaient les promoteurs du mandat permanent, renient, aujourd’hui, ce à quoi hier encore ils avaient applaudi.
Ainsi, depuis l’Indépendance, nos Constitutions ont subi injures et dévoiements, si ce n’est violations et outrages.

2 - L’expression de la volonté populaire dans le système qui nous régit

Comme nous l’avons vu, les scores dans notre pays ne traduisent guère la réalité du scrutin, les relations Etat-citoyen étant dès 1962 des rapports de force et non de droit. Le pouvoir, qui par le biais de l’administration dirige en fait l’opération électorale, a d’abord fait usage de la violence d’Etat dont il dispose normalement. Il faut rappeler que l’expression initiale de la puissance publique n’a pu germer qu’après le cessez-le-feu intervenu le 4 septembre 1962, non entre Algériens-combattants et Français-occupants, comme le 19 mars, mais entre Algériens eux-mêmes opposés dans un combat fratricide. Aussi, les vainqueurs, n’ayant pas su dominer leur victoire, ont établi leur pouvoir sur les lauriers de leur succès. En définitive, le pouvoir s’est imposé par la force des armes, ce que l’on oublie aujourd’hui après cinquante années d’indépendance. Cette violence suscitait l’inhibition, et parfois la peur du peuple qui, pour préserver sa tranquillité, s’inclinait sous le joug du pouvoir et la crainte de ses services de sécurité.

Lorsque le prétendant au poste suprême était seul candidat et le résultat acquis d’avance, aucune violence n’était nécessaire, sauf qu’on avait tout le loisir de bourrer les urnes ou plus simplement en triturer les résultats, pour montrer combien l’heureux élu était adulé par ses électeurs. Par la suite, avec l’accès au pluralisme, il demeurait encore entre les mains de l’administration-pouvoir, la possibilité de manipuler les scrutins, pour distribuer les sièges promis à ses affidés. Il ne s’agit pas ici de critiques gratuites ou injustes, d’amertume ou de dépit. Car, comment croire que notre premier président de la République ait été élu avec 99,61% de voix favorables, le deuxième avec 99,38 % et le troisième avec 98,95% lors du 1er mandat, 95,30%, lors du 2e 98,91% et lors du 3e ? Ces scores staliniens n’ont jamais rien traduit d’autre que le résultat de l’indifférence, la résignation ou la peur face au magouillage du pouvoir tout puissant.

Ils n’ont certainement pu exprimer la réelle opinion de l’électeur trahi par cette évidente manipulation. Au-delà des campagnes présidentielles, ce mode opératoire fut également pratiqué lors des élections législatives et locales, où le système des «quotas» a permis aux manipulateurs de répartir les sièges à leur convenance au mépris de la volonté de l’électorat. Aussi, de telles pratiques néfastes sont-elles à exclure définitivement de nos moeurs électorales.

3 – L’article 2 de la Constitution et son interprétation ambiguë

Abrités derrière l’article «l’Islam religion de l’Etat», certains, par une interprétation dogmatique littérale et sectaire, ont pu exploiter la religion commune du peuple à des fins politiques exclusives, dans le but avoué d’accéder au pouvoir, pour substituer à la République «impie» l’Etat théocratique de leur choix. Ainsi, les partisans de cette distorsion de l’article 2 ont été à l’origine de l’une des plus noires périodes de notre Histoire, et le terrorisme de la «décennie rouge» qui entraîna la mort de dizaines de milliers de nos compatriotes et des ravages incalculables, traîne encore des «effets résiduels» qui n’en finissent pas de finir, tout en provoquant quotidiennement au sein de notre armée et nos services de sécurité d’incessantes pertes en vies humaines.
Aussi, une interprétation claire de l’article 2 ainsi que sa traduction incontournable par la Loi fondamentale doivent-elles affirmer le caractère intangible de l’Etat Républicain et Démocratique, mettant le pays à l’abri de toute résurgence d’un extrémisme destructeur.

Dans certaines démocraties, le droit à l’insurrection contre la tyrannie est reconnu dans la Constitution. Il importe donc que la nôtre inscrive, dans son préambule, le droit imprescriptible de s’opposer par tous les moyens à l’intégrisme, matrice du terrorisme dévastateur. A cette fin, tout parti qui entend inclure dans son programme, de quelque manière que ce soit, l’utilisation de la religion ne saurait prétendre aux autorisations légales pour participer à la vie politique.

La tolérance, vertu éminemment musulmane, semble disparaître de nos mœurs. Alors que notre première Assemblée nationale comptait 16 députés «français d’Algérie», dont l’abbé Berenguer qui, durant la guerre, fut le plus efficace des porte-parole du FLN en Amérique latine, aujourd’hui le mépris des dispositions de la Constitution, en particulier celle de l’article 36 déclarant la liberté de conscience et d’opinion inviolables, entraîne devant les tribunaux des citoyens accusés de détenir les livres de leur confession religieuse. Ce sont de telles méconnaissances de notre Loi fondamentale qui situent l’Algérie parmi les pays peu respectueux de la Convention universelle des droits de l’homme.

4 - L’unité et l’indivisibilité du peuple

Depuis des temps immémoriaux, des hommes ont peuplé le territoire de notre pays. Ce sont les paléoberbères dont l’histoire a retenu le nom et dont nous sommes les descendants. Que la souche initiale ait été enrichie, que la civilisation ait progressé par des efforts suivis et des enrichissements successifs, que l’Islam ait pénétré le cœur de nos populations avec le véhicule de la langue arabe…, tous ces facteurs ont contribué à forger l’unité multiface du peuple algérien. Et c’est cette indivisible unité que la Loi fondamentale doit préserver comme gage de notre personnalité éternelle. Il appartient à la Constitution de l’assurer non seulement comme affirmation de principe dans son préambule, mais encore dans ses articles en veillant à son application dans les faits. C’est pourquoi l’amazighité constituant l’un des trois fondements de notre personnalité, tamazight doit trouver auprès de l’arabe, le statut qui lui convient de langue nationale et officielle.

Avec le développement des relations internationales, pour des raisons économiques, sociales ou culturelles, récentes ou lointaines, du fait depuis ces dernières décennies du sous-développement que l’Algérie n’a pu transcender, une partie non négligeable du peuple vit désormais à l’étranger. Cette émigration, ou plutôt diaspora, constitue une force intellectuelle, artistique ou financière remarquable, qui n’a pas, au fond du cœur, rompu le cordon ombilical avec la mère patrie. Nos lois ne devraient pas l’ignorer, car elle ne l’a pas fait quoi qu’on en dise. Une autre partie, la plus importante de la population, est la jeunesse.

Désespérée depuis quelques années au point de préférer se voir «manger par la mer que dévorer par les vers», elle demeure tout de même confiante dans la vie, capable d’efforts renouvelés, compétente comme elle le prouve hors de nos frontières. Il est regrettable que ses représentants réels, capables de s’exprimer en son nom, n’aient pas été jusqu’à ce jour entendus. Enfin, la moitié de notre peuple a été progressivement réduite au silence. Alors que la première Assemblée nationale constituante comptait dans ses rangs sur moins de 180 députés 16 femmes, toutes issues de la guerre d’indépendance, leur nombre n’a cessé de décroître dans les assemblées suivantes, dénotant ainsi le mépris dans lequel les pouvoirs successifs les ont reléguées, jusqu’à en faire des mineures éternelles par le code de la famille en vigueur.

5 – La place de l’armée dans la République

Notre armée, comme son nom l’indique, est nationale et populaire. En ce sens, elle est constituée par les enfants du peuple émanant de toutes les couches de la nation. A ce titre, il n’y aurait pas lieu de craindre la voir utiliser les armes confiées par la nation contre le pouvoir politique émanant de cette même nation. Mais l’histoire en général, comme la nôtre en particulier, rappelle que parfois le détenteur de la force armée s’empare du destin du peuple au mépris et parfois contre l’opinion populaire. Cependant, corps discipliné par essence, l’armée est aux ordres de ses chefs et c’est leur ambition qui, quelquefois, l’entraîne à transgresser sa mission naturelle. Il faut objectivement le reconnaître, l’Algérie indépendante est née dans la douleur.

Sans doute l’état-major de l’armée de 1962, titulaire du pouvoir de fait, derrière le paravent d’un leader politique dont l’aura plus supposée que réelle se dissipera quelques mois plus tard s’est-il saisi du pouvoir par la violence. Cette accession aux commandes supérieures de l’Etat allait promouvoir la primauté des militaires dans tous les domaines de la vie quotidienne. Le peuple supportait péniblement ces privilèges et, parfois, douloureusement le comportement de certains officiers supérieurs. Ce qui pendant longtemps justifia sa réserve à l’égard de l’armée. Mais celle-ci, totalement désengagée de l’action politique après 1988, concevait désormais son rôle dans les bornes de sa mission de défense de la République, de l’intégrité du territoire et dans les limites définies par la Constitution.

C’est précisément dans ce cadre que l’armée a réagi en janvier 1992, conformément à l’option de ses supérieurs, préservant ainsi la démocratie menacée de se voir supplantée par une «chouracratie» d’un autre âge. Aujourd’hui et dans la mesure où la démocratie serait solidement instaurée, il ne paraîtrait pas nécessaire de confier à l’armée la mission de garantir les institutions. Ce devoir incombe tout naturellement au président de la République, qui tient son pouvoir irréfragable d’une élection dans la transparence, la sérénité et le respect du pluralisme politique. Soutenir la thèse contraire, serait craindre la suprématie d’un parti antirépublicain, qui, par hypothèse, ne devrait guère participer à la vie politique, dès lors que l’option républicaine démocratique irréversible aura été solennellement affirmée dans une Constitution émanant de la volonté nationale.

Les maux qui, depuis 1962, altèrent la santé du pays ayant été rapportés, franchement et sans acrimonie, il est à espérer que ce diagnostic, sans complaisance mais sans excès, justifie la thérapeutique qui s’impose. Elle pourrait se résumer en quelques points :

1. Déclarer solennellement l’adhésion irréversible et inaliénable de l’Algérie aux principes fondamentaux de la République, c’est-à-dire la démocratie, la liberté, l’égalité des citoyens et le respect des droits de l’homme.

2. Prendre les mesures adéquates pour interdire formellement toute manipulation des scrutins électoraux, cause des malheurs du peuple et respecter la volonté nationale, seule source de l’autorité légitime.

3. Prononcer la dissolution du Parlement dont on reconnaît que l’élection n’a été ni sincère, ni transparente, ni crédible.

4. Elire dans un délai maximum de 6 mois une nouvelle Assemblée chargée de procéder aux amendements proposés à la Commission de consultation en vue des réformes politiques, veillant particulièrement à assurer l’équilibre des pourvoir législatif, exécutif et judiciaire, ainsi que la liberté d’expression et d’information dans le cadre du respect des lois.

5. Permettre sans délai à tous les partis, y compris ceux en attente d’agrément, de préparer leur programme et le faire connaître aux électeurs, sous réserve qu’ils s’interdisent l’utilisation, quel qu’en soit le mode, de la religion à des fins politiques.

6. Permettre toute manifestation pacifique d’opinion par l’ouverture du champ médiatique et l’autorisation de tout moyen d’expression, tels les meetings, réunions, marches ou autres, sans exclusive concernant telle région ou ville du pays.

7. Assurer, pendant cette période, la primauté de la Force du Droit sur celle du Droit de la Force, dont le pouvoir a souvent fait usage, de façon à édifier l’Etat de droit auquel le peuple aspire.

8. Pendant ce délai, le président gère la période transitoire par voie d’ordonnances.

Messieurs les membres de la Commission

J’ignore quel sera, en définitive, le sort réservé à ces propositions par le président de la République, décideur final, mais il est à craindre encore une fois qu’elles soient poliment enregistrées mais concrètement ignorées entraînant de nouvelles déceptions. Pour notre part, nous avons été constamment à l’écoute du pays, surtout dans les moments de crise grave, sans autre ambition que celle de le servir et le défendre. Aujourd’hui, devant la tempête qui secoue le monde arabe et dont les retombées ne manqueront pas de nous atteindre, il est vital pour la sécurité, la paix, l’unité et la pérennité de notre pays, qu’il soit mis fin à la manière dont il a été géré depuis son accession à l’indépendance, pour consolider l’Etat républicain, assurer le progrès et consacrer la démocratie.

Ali Haroun

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Commentaires (10) | Réagir ?

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amir tata

Il faut pas se voiler la face. Le monde change sans s’arrêter et notre pays comme il est connu le dernier de la classe comme son peuple. L'Algérie est une bourgade peuples d’incultes et de corrompus (c’est comme ça que le autres pays qui se respectent nous voient malheureusement).

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amir tata

C’est l’heure des bonnes affaires pour la nouvelle génération, il reste plus rien des éléphants de la révolution, il est arrivé le temps de renouvellement. Forcé par la nature des choses il y a de la place vide à remplir mais qui sont les nouvelles têtes des nouveaux partis politiques ?

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