Algérie le maillon faible

En remettant au goût du jour l’infaillible recette de la «main-perfide de l’étranger lançant une armée de mercenaires à l’assaut-du-pays», tant de fois exploitée en son temps par le FLN pour faire diversion et «ressouder l’unité nationale» dans des moments de crise majeure ou de dissidence mettant en péril son hégémonie, M. Bouteflika visait un double but : Un, assurer le sauvetage de sa «réconciliation nationale» qui prend l’eau de toutes parts, en brouillant autant que possible la piste islamiste et en déchargeant ses organisations armées de leur implication dans la recrudescence des attentats ; deux, suggérer, en seconde lecture de cette version publiquement assumée de «l’ennemi extérieur» cause de toutes nos épreuves, une autre, sous entendue celle-là, donc confidentielle et confinée à un cercle d’initiés, d’une terreur fomentée par des «éradicateurs» de l’armée algérienne opposés à sa politique de réconciliation avec les intégristes, appuyés par des éléments de la société civile.

Convaincu qu’a force d’être martelé et répété un mensonge peut devenir vérité, ou tout au moins s’imposer comme norme auprès de la population, le pouvoir sert à l’opinion nationale, en fonction de la conjoncture et des rapports de force à l’intérieur du système, sa thèse sur les commanditaires du terrorisme, en privilégiant le premier niveau de lecture, moins contestable, plus flatteur de l’ego national : pensez donc, des capitales étrangères complotant pour nous déstabiliser… voilà la preuve du prestige et de l’autorité du pays !

Sitôt émise, la théorie présidentielle fait son chemin et s’installe dans le discours officiel. Dès le lendemain de l’attentat de Batna, on a entendu la partition mise en vogue par Bouteflika reprise en chœur par ses ministres, bien évidemment, mais aussi par ses nombreux courtisans, en particulier les adeptes du «Qui tue qui», une astuce mise au point au plus fort de la terreur pour blanchir l’islamisme de ses crimes et accabler l’ANP, désignée auteur de cette violence, donc ennemie à abattre.

Le lobby du «qui tue qui», à une certaine époque le meilleur défenseur qui soit l’armée islamique et de ses avatars, MIA, GIA, pourrait aussi bien entonner aujourd’hui ce nouveau credo. C’est que la formule par laquelle le pouvoir tente désormais d’occulter l’implication des groupes islamistes armés − quels que soient les noms qu’ils s’attribuent, GSPC ou Al Qaïda, quels que soient ses modes opératoires, ses cibles, les moyens employés pour détruire et semer la mort −, a toutes les apparences d’un nouveau «qui tue qui». Elle remplit déjà les mêmes fonctions, joue le même rôle que celui-ci qu’elle semble en être une nouvelle déclinaison, une manière de «qui tue qui» version Bouteflika en somme. Il faut donc à l’avenir nous attendre à ce qu’on nous la débite à chaque fois qu’une bombe explosera dans le pays.

Chaque jour qui passe montre que le pouvoir n’a rien à proposer pour la sécurité du pays, il n’a aucune riposte à opposer à l’ennemi quel qu’il soit, mercenaire au service de «puissance étrangère» ou autochtone converti à une cause, ni stratégie de lutte, ni ébauche d’un front anti-terroriste, rien de tout cela, surtout pas cela. Un tel front, une pareille stratégie impliquent une démarche anti-islamiste qu’il n’est pas prêt à mener. Non, rien de tout cela : juste des formules incantatoires, genre «la main de l’étranger», des faux-fuyants, des subterfuges qui risquent de mener le pays droit contre le mur. Et du reste, nous y sommes presque, contre le mur. Le terrorisme qu’on prétendait vaincu a repris du poil de bête et le pays au «prestige restauré» est devenu terre de parcours d’Al Qaïda, Al Qaïda obsession des USA, au prétexte duquel ils n’ont pas hésité à envahir, mettre à sac et maintenant dépecer l’Irak. Car pendant que l’alliance des réconciliateurs rassemblés autour de Bouteflika, s’acharne à occulter la filiation et les sources de ce regain de terreur ; pendant que les assassins réinvestissent la maison Algérie, y confortent leurs positions et recrutent à loisir des kamikazes à peine sortis de l’enfance qui iront se font exploser sur les places de nos marchés, pendant ce temps-là, Bush, ses faucons belliqueux et tous les s’en-va-t’en-guerre occidentaux intéressés par une part du gâteau s’apprêtent à fondre sur le Sahel − le butin irakien étant déjà partagé.

Pour le Pentagone, Al Qaïda n’est pas une fiction. Pour lui, elle existe et elle est même l’inspiratrice voire l’animatrice d’une internationale terroriste dont la branche maghrébine est particulièrement active en Algérie, un Etat déliquescent. Le maillon faible d’une région stratégique qu’il faut placer sous surveillance.

Voilà le loup US à nos portes, n’attendant qu’une occasion pour y pénétrer. Prenez garde, M. Bouteflika à ne pas la lui offrir !

Ghania Hammadou

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Commentaires (1) | Réagir ?

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ali elmenfi

Le Professeur Moutarem a developpe un scenario realiste. L'analyse geopolitique qu'il propose est vraisemblable mais la solution qu'il preconise (le reveil du nationalisme) est aujourd'hui obsolete.

Le nationalisme a certes permis de lancer la dynamique d'independance, mais ce courant a ete rapidement phagocyté par des opposants de toutes sortes pour en arriver a faire des integristes (islamistes) des interlocuteurs privilegies qui adorent etre caresses dans le sens du poil et qui se sont mis a rever du Pouvoir. Contre ce courant planetaire, les novembristes n'ont pas ete en mesure de proposer autre chose qu'un frileux replis, laissant le champ libre a une expression fanatisee par une conviction de (droit divin (!?)).

C'est pourquoi il serait utile de se débarrasser de cet habit devenu trop etroit, et transcender ce nationalisme qui pollue toutes les composantes de la societe.

Ceci peut choquer et on pourrait y trouver des similitudes avec les arguments avances par les integristes.

Il n?en est rien naturellement. Ce que je dis c?est qu?il est capital de remettre en marche une revolution arrêtee en 1962 en l'actualisant et en l'adaptant a notre epoque pour nous orienter vers la modernite et ce futur a notre portee alors que d?autres sont figés dans un passe eteint.

C'est lorsque nous n'aurons plus peur de notre ombre et que nous commencerons a croire en nous que nous pourrons renvoyer dos a dos FRANKESTEIN et son CREATEUR, comme vous dites Professeur ! L'ennemi est donc plus (interieur qu'exterieur). Ne serait pas plutot la que se trouve le MAILLON FAIBLE ?

elMenfi