Les obstacles à une contagion de la contestation au Maghreb

Les obstacles à une contagion de la contestation au Maghreb

Depuis la fuite du président Zine El-Abidine Ben Ali, chassé de son pays par la rue, les utilisateurs marocains de Facebook ont remplacé leur profil par un drapeau tunisien. "Car ce qui s'est passé en Tunisie, c'est de l'actualité marocaine", explique l'un d'entre eux.

Les Marocains ne sont pas les seuls à se sentir concernés. En Algérie également, au sein de la communauté des "facebookers", le drapeau tunisien est omniprésent, comme un signe de ralliement de la jeunesse. Avec, depuis les premiers pas de la démocratie, un mot d'ordre sur les réseaux sociaux : "Il faut aller passer ses vacances en Tunisie." Non pas pour récupérer la recette d'une révolution victorieuse mais, plus prosaïquement, pour aider au redémarrage d'un pilier de l'économie tunisienne.

L'emballement des sites sociaux contraste avec la frilosité des médias officiels. En Algérie, la fuite du chef de l'Etat tunisien a été rendue publique par la télévision nationale de façon détournée, par l'annonce de la nomination - qui n'allait durer que quelques heures - du premier ministre, Mohammed Ghannouchi au poste de chef de l'Etat. Encore la nouvelle n'a-t-elle pas fait la "une" du journal télévisé. Et elle a été traitée avec une brièveté qui a laissé pantois les Algériens. Ils se sont reportés sur la chaîne qatarie Al-Jazira. "Nos responsables ont volontairement raté un événement historique", accuse un journaliste.

Comportement identique de l'autre côté de la frontière, au Maroc. Alors qu'une chaîne, Medi 1 TV, se targue d'être la "chaîne de l'information" du Maghreb, sa couverture de la "révolution du jasmin" a été minimaliste alors que rien ne lui avait échappé de la révolte des jeunes en Algérie en décembre. Tirant le bilan de vingt-trois années de "bénalisme", Medi 1 TV a retenu de Ben Ali qu'il a "incarné la stabilité, l'émancipation de la femme ou encore une politique sociale basée sur la solidarité. Mais, précise la chaîne sur son site Internet, ces avancées s'accompagnent d'un ton ferme vis-à-vis de l'opposition ou encore d'une marge étroite pour les libertés".

Ce mode de traitement de l'éruption de la démocratie dans le monde arabe donne la mesure de la crainte d'une contagion. Les dirigeants des pays arabes le savent : les ferments qui expliquent le changement soudain de régime à Tunis se retrouvent alentour.

Tous les ingrédients y sont, à commencer par la jeunesse de la population. En Tunisie, où elle a constitué le fer de lance de la révolte, les moins de 18 ans représentent 30 % de la population. En Algérie comme au Maroc, la proportion est encore plus élevée : un habitant sur trois est âgé de 18 ans ou moins (34 %). Le chômage des jeunes, en particulier des jeunes diplômés, est une autre plaie commune aux pays de la région. En Tunisie, près du tiers des jeunes est sans travail. Au Maroc, le chiffre est de 18 %. En Algérie, trois personnes sans emploi sur quatre ont moins de 30 ans.

La croissance économique est partout insuffisante ; et l'enseignement inadapté pour pouvoir absorber les nouvelles générations qui arrivent sur le marché du travail : 120 000 personnes chaque année pour la seule Algérie

Résultat, au Maroc, depuis dix ans, des dizaines de diplômés chômeurs campent en permanence devant les grilles du Parlement, à Rabat. Fin 2007, quatorze d'entre eux avaient tenté de s'immoler par le feu. Ce n'était pas les premiers. D'autres ont suivi depuis. Idem en Algérie où un jeune, marié et père d'un enfant, est décédé après avoir mis le feu à ses vêtements, le 15 janvier, par désespoir, faute d'obtenir un logement et un emploi.

Les trois pays du Maghreb partagent aussi un autre trait : un système politique verrouillé. Les Tunisiens vivaient sous un régime policier ne laissant aucun espace de liberté à la société civile. Les Marocains doivent composer avec une monarchie absolue. Et les Algériens avec un système opaque dominé depuis des décennies par les militaires. "La démocratie est présentée par nos gouvernants comme un objectif lointain, qui demandera beaucoup de temps pour être atteint", analyse un intellectuel algérien.

Pourquoi le changement politique est-il venu de la "petite" Tunisie ? Des jacqueries sur fond de malaise social agitent périodiquement le royaume chérifien. En Algérie, les affrontements entre jeunes et forces de l'ordre sont monnaie courante. Ils embrasent une ville pour un oui ou pour un non : une attribution de logements, une hausse de prix...

Si ces révoltes ne se propagent pas, c'est pour des raisons différentes. Les dirigeants algériens savent acheter la paix sociale avec l'argent du pétrole. Lorsque des troubles éclatent, l'Etat est là qui apaise les colères. Au Maroc, le Palais royal a l'intelligence de laisser subsister des corps intermédiaires - associations, partis religieux... - à même de canaliser les revendications. Autant de recettes qui ont permis jusqu'à présent de contrôler les contestations.

Mais la "révolution du jasmin" est là qui montre que l'émergence d'une démocratie au Maghreb peut être beaucoup plus rapide que ne le souhaitent les dirigeants actuels.

Jean-Pierre Tuquoi

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Preuve

Entretien téléphonique entre Ben Ali et Bouteflika.

Bouteflika: Salam alikoum mon frère. Il faut me comprendre quand j’ai refusé de te donner asile en Algérie. Je ne peux prendre ce risque qui m’aurait emporté, à coup sûr, moi aussi. Déjà que mon peuple vit les mêmes ferments explosifs que le tien! Mais, dis-moi un peu, est-ce que tu t’es remis de ton malheur?

Ben Ali: Ouaâlaykoum Salam Abdelaziz. Je t’avoue que je me suis fait baisé comme un… et je suis toujours sous le choc! Heureusement que mes frères saoudiens sont là! Ils m’ont conseillé vivement de commencer à faire ma sallat (prière) et d‘aller demander pardon à notre prophète Mohamed pour l‘avoir trahi pendant 23 ans. Je me sens mieux maintenant.

Bouteflika: Tiens, tu réponds maintenant comme un bon musulman! Un musulman que tu aurais dû être depuis bien longtemps déjà, avant que ce malheur ne te tombe que sur ta seule tête trop moderniste! Oui, tu as trop occidentalisé ton peuple. Mais, ne t’inquiète pas, tu es maintenant entre de bonnes mains. Les Saoudiens sauront l’éduquer pour peu que tu les mettes en contact et que tu reconvertisses tes réseaux relationnels en Tunisie. Et surtout, sache que tu as, ici, deux fidèles amis sur qui tu peux toujours compter; Maâmar Kadafi et moi-même. La Tunisie sera prise entre l’enclume libyen et le marteau algérien. Nous avons déjà commencé à extirper de nos jardins le moindre plant qui risquerait de rappeler la senteur du jasmin.

Ben Ali: Je suis un naïf et un imbécile! Mais qu’est-ce qui m’a pris de ne pas écouter mes frères présidents du Maghreb arabe quand ils me demandait de tempérer les expansions modernistes de mon peuple? Un peuple, mon propre peuple que, décidemment, je ne connais pas assez. Et aujourd’hui, c’est bien trop tard pour toute ma dynastie. Je suis pris à mon propre piège.

Bouteflika: Non mais vraiment! Tu donnes plus de droits aux femmes plutôt qu’aux hommes. Tu n’as même pas pensé à édifier un code de la famille. Tu n’as jamais osé claquer la porte du cercle de la francophonie. Tu fais du français la première langue de l’école et de recherche au détriment de l’arabe. Tu réprimes trop les islamistes pour plaire à tes amis de l’Europe. Tu n’as jamais pensé à réhabiliter les Lumières religieuse de la Zeitouna. Mais, où vas-tu comme ça mon frère? Tu es seul responsable de ton malheur! De plus, tu n’as jamais pensé à la stabilité politique de nos régimes arabes que tes initiatives perturbent dans la mesure où ton peuple, trop éveillé, est un mauvais exemple à suivre pour les nôtres.

Ben Ali: C’est à cause des appétits, impossibles à assouvir, de ma femme que mon peuple s‘est soulevé. C’est à cause de cette ignorante coupeuse de cheveux et ses frères que je me retrouve aujourd’hui humilié!

Bouteflika: Accepte ton malheur et cesse de faire de ta femme un bouc émissaire. Si cela peut te calmer, un moment, que ta femme devienne ton soufre douleur, alors soit! Mais les véritables causes de ton déclin sont ailleurs mon ami et tu le sais bien. Sais-tu qu’aucun chef arabe n’est capable de gouverner un peuple cultivé, instruit et dans une langue vivante en plus, le français? Qu’est-ce que tu reproches à la langue arabe, la langue du Coran, allez dis moi? Pourquoi, juste après ta prise du pouvoir, n’as-tu pas pensé à l’arabisation général de l’école tunisienne? Ne sais-tu pas que ton malheur vient de ton choix imbécile porté sur l’éducation laïque des enfants tunisiens plutôt que religieuse? Et puis, dis-moi, combien de mosquées as-tu construit depuis ton accession au pouvoir? As-tu pensé à restaurer tes zaouïas? Pourquoi n’as-tu jamais pensé à exiger de tes ministres de la culture et du tourisme de travailler toujours de paire avec celui des affaires religieuses? N’as-tu pas compris pourquoi, chez nous, en Algérie, nous avons toujours exigé de mettre un islamiste du MSP à la tête du ministère du tourisme? De cette façon, l’on est sûr qu’il n’ y aura jamais trop de contacts avec l‘Occident. C’est vrai qu’il y a cette diaspora kabyle qui nous pose quelque problèmes. Mais, nous avons réussi à diaboliser leur région aux yeux des arabes algériens. Et elle ne pourra jamais réussir à les conscientiser contre nous. Et puis, pourquoi n’as-tu pas pensé à légaliser tous les partis de ton opposition pour les infiltrer et mieux les contrôler?

Ben Ali: J’ai pensé qu’ils seraient plus inefficace dans la clandestinité plutôt que dans la légalité. Je croyais qu’en les poussant à l’exil, je les couperais de mon peuple. Et en jetant le reste dans mes prisons, je finirais par les contrôler. Mais, force est de constater que c’est un échec total! J’aurais mieux fait de bien observer et analyser les convulsions politiques algériennes des années 80 et 90 pour en tirer des leçons à ma gouvernance!

Bouteflika: Tu as bien fait de me rappeler cette période politique marquée par l’emprisonnement massif stupide de tous les opposants à notre régime. En effet, on croyait que Lambèze était une solution. S’il est vrai que notre SM a fait un remarquable travail d’infiltration de l’opposition politique, il n’en demeurait pas moins qu’il était impossible de la contrôler totalement. L’idéal fut que cette infiltration se fasse dans l’esprit même des opposants. Et comme cela fut et demeure toujours impossible de contrôler de l’intérieur l’esprit de nos ennemis, alors, il fallait passer à l’étape d’une démocratie de façade qui les ferait sortir de leur terrier clandestin vers la scène public. Et ça marche! Il est plus facile de dénigrer et d’abattre un opposant dans la légalité politique que dans l’incontrôlable clandestinité où il reste toujours un myth. Regardez ce que nous avons fait de Saadi, d’Ait Ahmed et de Ferhat! Des ennemis avérés alors qu’ils étaient très proches quand ils furent dans la clandestinité.

Pour les intellectuels et les artistes qui ne voulaient pas se salir en se structurant dans les partis politiques, et comme il n’était pas facile de les contrôler, alors nous avons tout fait pour leur éviter la prison. Nous avons plutôt opté pour les thèses des accidents, des suicides et des assassinats terroristes. Imaginez un certain Mouloud Mammeri et Tahar Djaout Vivants! Pas facile à Ouyahia de réussir à contrôler les aârouches en 2001. Imaginez encore si c’est le rebelle Matoub Lounes vivant qui aurait appelé aujourd’hui ses fans à l’autonomie de la Kabylie. C’est la déferlante totale de cette vieille région rebelle!

Tu comprends maintenant comment il fallait faire pour s’assurer la pérennité du pouvoir? Et dire que les rendez-vous mondains pris, avec la Jet Set du monde, par ta bourgeoise te bouffait tellement tout ton temps que tu as même négligé de lire Prince de Machiavel! Si tu avais été fin prévoyant, tu n’aurais jamais mis, par exemple, le journaliste Ben Brik en prison après l’avoir exilé. Il fallait l’amener à se battre sur le terrain d’une légalité contrôlée. Imbécile que tu es! Et maintenant tu viens me pleurnicher ton sort! Tu nous a créé suffisamment de problèmes comme ça. Et dire que c’est à nous de gérer maintenant, en plus, ton peuple comme si nous n’avons pas suffisamment de pain sur la planche avec les nôtres.

Ben Ali: Ah, si je l’avais su mon frère! Et ce n’est pas les ingrédients pour la division de mon peuple qui manquent en Tunisie. Si j ’avais su, j’aurait fait de la communauté juive de Djerba un réceptacle idéal pour canaliser la déferlante de mes désoeuvrés. Si je l’avais su, j’aurais même réhabilité la petite communauté amazigh qui reste dans mon pays pour faire brandir à mon peuple arabe et musulman et même aux islamistes le spectre du retour de l’identité berbère. Ah, si j’avais su tout cela, j’aurais toujours été aux commandes de mon pays. Mais, selon le Sultan de mon pays d’accueil, il n’est toujours pas trop tard pour bien faire et promesse m’a été faite de remettre mon peuple dans le droit chemin arabe et musulman.

Bouteflika: Alors, je te conseille de bien l’écouter pour notre salut à tous. De toute façon, je passerai te voir à mon prochain voyage pour la ômra. Nous aurons amplement le temps pour discuter de tout cela. Au revoir mon frère.

Preuve.

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Mille et une nuit

Louli, je partage votre analyse à tout point de vue. Comment des hommes se disant plus musulmans que d'autres pratiquent le massacre en quantité industrielle et comment un gouvernement brandit le spectre de ses dégénérés pour faire régner la peur. La crise mondiale aura le mérite de réveiller les consciences même les plus petites et voir l'Occident ne défend que ses intérêts et se fout royalement des autres et de marteler que la démocratie c'est eux.... (en Iran elle est indispensable et en Côte d'Ivoire. Mais c'était sans compter sur la Tunisie: le peuple les a pris au mot et au dépourvu. Aujourd'hui il y a une leçon à retenir qu'il vaut mieux avoir un petit chez soi qu'un grand chez les autres et se battre pour un mieux être. Le monde est à un tournant et il ne faut pas rater le coche

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