Le monde étrange de la censure Par Ahmed Halli

Le monde étrange de la censure Par Ahmed Halli

Les Arabes passent les deux tiers du temps à hurler leur spécificité face aux prétendues tentatives occidentales d’effacer leur identité. Ils consacrent le tiers restant à reproduire les comportements et les créations de cet Occident honni. Et quand je dis reproduire, j’entends plutôt mimer, voire singer tout ce qui est art d’accommoder les restes chez ceux d’en face.

Les Egyptiens reprennent sans vergogne les scénarios d’Hollywood, retaillés par une «hadja» Anastasie qui n’aime toujours pas les baisers. Les Libanais, eux, se spécialisent, avec l’argent saoudien, dans les clips et les talk-shows, non sans réussite. Les deux, ensemble, font quand même de la création originale avec le livre religieux, ou devrais-je dire superstitieux. Ils contribuent à faire prospérer ces étranges échoppes qui poussent comme des champignons et où l’on vend des tas de livres sur tout ce que le bon musulman devrait connaître pour mourir idiot.

C’est le «business islamique», comme on vous l’enseigne dans toutes les bonnes écoles de Londres sous la direction de ces professeurs, dont raffolent les éditeurs arabes. C’est sans doute pour ça qu’il faut être indulgent avec les organisateurs de nos salons du livre. En principe, ils devraient être dispensés de cette corvée dans un pays où la compétition entre les livres est si inégale. Littéralement assaillis par des tonnes de «littératures» venues d’ailleurs, nos gentils organisateurs ont essayé de se défendre mais en vain. Comme ils ont des comptes à rendre à l’opinion et à qui vous savez, ils ont dû trier au hasard des titres et des maisons d’édition. Comme le livre religieux constituait le haut du panier et le gros de la marchandise, ils ont opéré d’abord là. Comme le chiisme est le danger du moment, on a fait la chasse aux livres chiites comme celui consacré au «Coran de Fatima». Des publications portant le nom de Hassan Nasrallah ont été aussi retirées des étals.

Pour rappel, Nasrallah, c’est le monsieur qui aurait vaincu, il y a deux étés, Israël en attendant de l’anéantir tout à fait. C’est le «Saladin», idole des foules arabes qui a failli nous débarrasser des Juifs de Palestine sans ce maudit cessez-le-feu qui arrive toujours à point pour nous voler la victoire. Hélas ! Le «héros de la libération n’est plus en odeur de sainteté chez nous pour cause de chiisme. O gloire éphémère ! Pour montrer leur détermination, les responsables du Sila ont aussi fermé le stand de l’éditeur libanais, chiite bien sûr. Et comme le sunnisme n’est pas chauvin, on a aussi proscrit des titres faisant clairement référence à Ben Laden et au djihad. Ce qui n’a pas empêché d’autres titres aussi nocifs de se vendre par cartons entiers. C’est sans doute le présage d’une manifestation nouvelle, le Salon international du livre islamique. On en a eu un avant-goût avec l’interdiction des «Evangiles», aussi redoutés de nos jours que les grimoires chiites. Là aussi, l’explication est plausible : les «Evangiles» ont été falsifiés, tout comme le «Coran de Fatima». Point barre.

Seulement, les chrétiens y croient à leurs «Evangiles» et ils refusent notre vérité comme base au dialogue de sourds que nous voulons mener avec eux. Il faut alors souhaiter que nos archéologues mettent vite la main sur les textes authentiques, pour sauver l’âme de l’Occident chrétien. Toujours aussi peu chauvins, les organisateurs du Sila (SILIA ?) ont fermé le stand d’un éditeur algérien, «Inas» en l’occurence. Ce dernier n’exposait pas les «Protocoles des sages de Sion» ou les œuvres posthumes de Tahar Ouettar qui n’entrent pas dans le domaine du répréhensible.

Il s’agissait simplement du dernier livre de Mohamed Benchicou Les geôles d’Alger dans lequel il raconte sa détention à El-Harrach. Ce qui est son droit le plus absolu car deux années d’emprisonnement injuste, ça ne vous incite pas seulement à écrire mais à détruire. Toujours est-il que Benchicou n’avait pas les moyens physiques de prendre le maquis, ce qui n’est pas dans son caractère. Affaibli par la détention et la maladie, il a choisi la seule arme qu’il affectionne : l’écriture. En allant au salon, comme on monte au front, Benchicou ne savait pas qu’il allait en être la vedette extérieure, la «starguest», invitée par erreur. La décision de lui fermer les portes du Sila lui a ouvert le cœur des lecteurs algériens qui se sont précipités vers la librairie des Beaux-Arts pour acheter Les geôles d’Alger.

Quel monde étrange que celui de la censure ! C’est à se demander ce qui se passe dans la tête de nos gouvernants : ils chassent un auteur du Palais des Expositions pour lui offrir un morceau de la plus belle artère algéroise et la foule qui va avec. Ils apprennent aux enfants à ânonner une strophe contre la France qu’ils enlèvent et remettent dans l’hymne national, à leur guise et au gré des relations du moment. Et ils nous demandent d’aller voter et de faire comme si tout cela était sensé et rationnel. Voilà ce qu’on gagne encore à se contenter d’imiter les gesticulations de ceux d’en face et à chasser la proie pour l’ombre. Cette fascination pour ceux d’en face et cette obstination à passer pour ce qu’on n’est pas se retrouvent encore une fois dans les choix que nous faisons en matière de création.

Vous savez sans doute que Soha Arafat, la veuve du leader palestinien, s’apprête à publier ses mémoires. Que pensez-vous que cette dame arabe, soucieuse de son identité et de sa culture, ait choisi comme titre pour son prochain livre ? Eh bien, le livre qui racontera la tranche de vie de Soha avec son défunt mari Yasser, s’appellera tout simplement ! Au lit avec Arafat. Demandez-lui si le clip Au lit avec Madonna l’avait quelque peu influencée, et Soha répondra par la négative. Son récit comportera, certes, un recueil de confidences sur l’oreiller conjugal, mais il dévoilera surtout d’importants secrets sur les méthodes de Yasser Arafat et de ses collaborateurs directs. Quant au secret supposé touchant à la maladie de Yasser Arafat, il n’est pas près d’être percé et les spéculations reprennent de plus belle à chaque anniversaire de sa mort. C’est ainsi que son médecin personnel, le Jordanien Al-Kourdi, renouvelle ses accusations de complot d’assassinat de Yasser Arafat.

Ce médecin, qui dit avoir été tenu à l’écart lors de l’agonie du chef de l’OLP, affirme qu’on a inoculé le sida à Yasser Arafat. De là à suggérer que le livre Au lit avec Arafat est potentiellement dangereux… A moins qu’une fetwa d’Al- Azhar ne vienne trancher le débat comme la vénérable institution le fait à propos de tout et de rien. Le nouveau quotidien algérien Al-Nahar nous rassure sur ses intentions en publiant l’interview de Ahmed Chehaoui, le téméraire auteur du livre des préceptes amoureux en Islam. Intitulé Commandements ou recommandations pour aimer les femmes, l’ouvrage se réfère aux textes sacrés et aux chroniques de l’époque. Ce poète et journaliste, récemment invité en Algérie pour parler d’un tout autre sujet, a déjà publié en 2003 la première partie de cet ouvrage. Al-Azhar a répliqué en interdisant le livre et en jetant l’opprobre sur son auteur. Ce dernier avait répliqué en attaquant en justice Al- Azhar, devant les tribunaux civils, ce qui dénote une grande hardiesse. Dans cette interview, Ahmed Chehaoui compare Al-Azhar aux organisations extrémistes des années 1970 et 1980 en matière de censure. Comme un défi, il a entrepris de publier la deuxième partie de son ouvrage, accompagné d’un résumé de la fetwa prise à son encontre par Al- Azhar. En dépit de cela, Ahmed Chehaoui exerce toujours comme journaliste à Al- Ahram et il n’envisage pas de s’exiler. A moins que…

A. H.
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Commentaires (2) | Réagir ?

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bomkoo

je ne vous savais pas aussi fervent défenseur des occidentaux. Il aurait été préférable pour vous de vivre chez eux; au lieu de rester là à manger les fruits des arabes et à insulter leur race... chiche...

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nacera zergane

Voila quelqu?un qui sait relater nos méthodes. Mais il propose quoi ? J?ai fini de lire l'article sans connaître sa porte de sortie. Parce que, si la démarche scientifique nous a appris une chose utile c?est bien celle de finir l'analyse par, du moins, une tentative de proposition de solution. Cette analyse est belle mais m?a laissé sur ma faim, alors je vais tenter.

Je suis le résonnement et j?aurais presque tendance à dire : Alors, puisque l'orientale ne fait que « singer » l'occident à chaque fois qu?il ouvre la bouche ou bouge, c?est peut être une bonne raison de le censurer et pourquoi pas s?auto censurer!? El Azhar censure les écris et les manifestations publiques, l'individu musulman s?auto censure à profusion! C?est le cercle vicieux. Mais, ce que la pensée humaine universelle m?a appris, et que j?écoute comme un sage maître, c?est que le changement est comme tout ce qui boue. Il commence à la base, au niveau de l'individu et, pourquoi pas, souvent, très maladroitement.

Pensez vous qu?avec cette hypothétique production « purement orientale », dépourvue de toute « influence occidentale », El Azhar n?aurait pas censuré? La réponse est pour moi claire : El Azhar n?aurait pas eut toute cette notoriété. Il n?aurait pas existé sous la forme qu?il a aujourd?hui. Au mieux, il aurait eut un coin modeste d?un musé de la civilisation.

Il faudra admettre que la pensée orientale de nos jours est en mauvaise posture. A partir de quelle limite pourrait-on dire « ça, c?est la façon occidentale » « celle-ci, est la notre ». Cela fait des siècles que l'occident nous apprête tout.

Le problème du musulman est celui qu?il sait que trop bien ou va le mener s?il lâche du lèse à son esprit. Posez cette question autour de vous, au commun des musulmans. Vous verrez son angoisse sur la question. Pourtant là, à la base, les prises de position sont faciles à prendre. Il suffit d?être franc et honnête avec soit même et les autres. Il suffit d?accepter les conséquences après avoir fait du mieux que l'on peut. Là, je vous dirait qu?il y a beaucoup de travail sur la planche à faire sur soit même.

C?est ce que les occidentaux ont fait. Ils ont beaucoup pensé, beaucoup travaillé, ils ont fait du mieux possible, ils acceptent toutes les conséquences, et continuent de chercher des solutions à leur travers. Nous sommes de la même espèce qu?eux. Nous n?avons que ce chemin humain à faire. Et si nous les « singeons » quelquefois, et bien, tans pis.