Un ballon d'oxygène Par Hassan Zerrouky

Un ballon d'oxygène Par Hassan Zerrouky

De Turquie où je me trouve, l’Algérie, grâce à l’internet, est toute proche. Toute proche quand on ouvre le site Algérie et qu’on découvre cette décision aussi grave et aussi stupide d’interdiction du livre de Mohamed Benchicou au Salon du livre. Et l’on ne peut s’interdire de penser encore une fois que décidément les démons de la censure ont la vie longue dans notre belle Algérie.
Et que depuis le début du XXIe siècle — bientôt on sera en 2008 — l’Algérie est entrée à reculons dans ce nouveau siècle. Elle n’est certes pas la seule dans ce cas. Il y a la Tunisie toute proche, la Libye, l’Arabie saoudite et de nombreux régimes arabes, et à plusieurs kilomètres de notre continent, la Birmanie. Dans ces pays, la censure, l’absence de liberté et de démocratie et la répression contre les opposants, et avec le sous-développement socioéconomique et culturel, constituent la règle et non l’exception. Mais à la différence de nombreux pays, dont les régimes arabes, qui n’ont pas payé un si lourd tribut pour leur libération, un si lourd tribut pour écarter une menace islamiste qui frappe de nouveau à notre porte, l’Algérie mérite mieux que s’aligner par le bas sur les pays arabes dits «frères» et que certains essaient de nous présenter comme des modèles à suivre. A ceux-là, il suffit de citer l’exemple des «harragas». S’est-on demandé pourquoi ces jeunes choisissent, au mépris de leur vie, de traverser la mer pour l’eldorado européen, et non pour se rendre dans les Emirats ? La réponse va de soi : ils savent qu’en Europe, ils peuvent, si la chance leur sourit, trouver du travail, mais surtout jouir d’une liberté de penser et d’agir qu’ils ne trouveront pas dans les pays arabes aussi riches soient-ils. S’est-on demandé pourquoi il y a des files immenses de gens devant les consulats occidentaux dans l’espoir d’obtenir un visa et qu’a contrario, on ne se bouscule pas devant les ambassades des pays arabes, notamment des plus riches d’entre eux, comme les monarchies pétrolières ? Là également, la réponse va de soi : ces pays, bien que riches, dotés de régimes autoritaires et semi-féodaux n’attirent pas nos jeunes qui aspirent avant tout à vivre leur temps, et ce, en dépit du matraquage politico-religieux auquel ils sont soumis. Bien sûr, une petite minorité, en situation de désespérance sociale accrue, se laisse attirer par les sirènes du djihad et accepte de partir en Irak ou en Afghanistan. Quant à ceux qui les recrutent après les avoir convaincus de la nécessité du djihad, ils restent tranquillement au pays. Passons. Au moment où s’écrivent ces lignes, le livre de Benchicou n’a finalement pas été interdit de vente. La vente-dédicace à la librairie des Beaux-Arts, qui a attiré des centaines de personnes, dénote du besoin des Algériens de s’informer à d’autres sources, de débattre, d’avoir une autre vision, contradictoire, de la réalité sociopolitique que celle véhiculée par le discours officiel et ses puissants relais médiatiques. Elle souligne que la partie vive de la société est toujours debout malgré les tentatives de faire opérer au pays un virage vers un passé que l’on croyait révolu et que l’aspiration au changement démocratique, à la modernité et au progrès social est toujours là et qu’elle n’accepte pas de voir l’Algérie se «talibaniser », même à doses homéopathiques. Mais, en même temps, le succès rencontré par le livre de Benchicou témoigne de la réalité dramatique des forces démocratiques, minées par des querelles internes plus ou moins suscitées par le pouvoir politique, et qui, de ce fait, n’arrivent toujours pas à capter cette aspiration au changement démocratique pour en faire une force matérielle capable de changer le cours des choses. Pour toutes ces raisons, ce livre dérangeant pour les islamo-conservateurs peut constituer un ballon d’oxygène pour cette partie de la société algérienne qui ne s’est pas résignée à la réalité présente du pays.

H. Z.

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Arezki Chihab

Je ne pense pas que la jeunesse algérienne soit attirée uniquement par la liberté d'expression qu'on retrouve en Europe et dont parle Hassan Zerrouki. Ce qui pousse les jeunes algériens (les harragas en particulier) à mettre leur vie en danger pour regagner l'Europe, n'est nullement motivé par la simple envie de vivre en Liberté avec un grand majuscule. C'est plutôt, comme l'a dit un autre internaute, par l'idée faussemnt répandue selon laquelle "En Europe, on travaille peu et on gagne beaucoup". Les immigrés contribuent eux-mêmes à accréditer cette fausse idée ne serait ce que par le signal qu'ils donnent aux algériens restés sur place à l'occasion de leur retour en vacances dans le pays et en exhibant un modèle de vie qui, pourtant, ne correspond pas à la réalité des choses. Les Algériens vivant en France sont les plus touchés par la crise du chômage. Mais quand ils retournent au pays, par le fait du change parralèle, ils font des envieux. Voilà tout ce qui motive nos jeunes à aller s'expatrier ailleurs. ILs s'en fichent de la liberté d'expresion et encore moins de la découverte de la science ou de la culture... Alors M. Zerrouki de graâce cessez d'idéaliser à ce point notre jeunesse.

Quant à ton questionnement sur pourquoi les jeunes algériens ne se bousculent pas devant les ambassades des monarchies pétrolières, la réponse est simple. Ils savent que là-bas, ils seront mal payés comme le sont d'ailleurs tous les immigrés asiatiques ou autres considérés comme des "sous-hommes".

IL y a également une autre raison qui pousse nos jeunes à s'exiler. Ils pensent "tous" trouver des femmes à leur descente d'avion, de préférence "des blondes aux yeux bleus" qu'ils pourront assouvir sexuellement et en contrepartie celles-ci s'occuperaient de leur trouver des papiers, un logement, de l'argent et une situation. J'ai entendu certains jeunes dire que tel est parti en Suède et il a rencontré une jolie blonde qui se trouvait patronne d'un hôtel. Il l'a séduite en quelques minutes et aujourd'hui, c'est lui le patron. Combien de fois, j'ai entendu ce genre de boubards! Il ya des idées fausses ancrées dans les têtes de nos jeunes que même des tonnes d'acide ne pourront pas effacer. En Algérie, ce n'est pas seulement le système qui est corrompu, mais cest l'esprit algérien lui même qui est corrompu. Un bébé de deux ans ne pense qu'à s'enrichir et qu'importe le moyen. C'est dans les gênes comme disait Fellag.

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Khelaf hellal

Le dernier livre de Mohamed Benchicou : Les Geôles d'Alger vaut son pesant d'or, c'est un leg inestimable pour la posterité. Vous vous rendez compte, des procureurs et des juges qui pataugent dans la mare de toutes les indignités et qui se laissent prendre en fragrant délit de servilité, avec le téléphone collé à l'oreille attendant les ordres d'en haut, quelle déchéance ! Boris Vian écrivait ceci : "Si la justice nous a été rendue, c'est qu'elle nous a été prise. "

Chez nous, en Algérie, il y a plutot lieu de dire : Si la justice ne nous a pas été rendue, c'est qu'elle a été sûrement téléphonée.

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