Faut-il traquer les fautes ou les livres? Par Kamel Daoud

Faut-il traquer les fautes ou les livres? Par Kamel Daoud
Le Pouvoir reste encore sensible et irritable sur trois choses qu'il considère comme ses choses à lui: les images, les sons et les écrits. Pour les images, l'ENTV a réussi l'essentiel en gardant le monopole des images que l'Algérie se fait d'elle-même officiellement. On peut acheter une parabole et un démo, on finit toujours avec le même résultat: mille images sur le reste du monde, une seule sur son propre pays. Pour les sons, il s'agit du même: le Pouvoir ne produit qu'un seul son par le biais d'une seule image reproduite par une seule télévision. Vous pouvez hurler, crier, jacasser, commenter, critiquer ou protester, le son ultime reste propriété de l'Etat qui parle toujours plus fort et plus longtemps par le biais des meilleurs canaux qui lui appartiennent. On peut être une personnalité, un parti, un trou noir, un imam ou un fabriquant de guitares ou de haut-parleurs, il n'existe, au fond, dans ce pays que deux catégories: les gens audibles et les gens devenus inaudibles. Le Pouvoir est sourd mais parle beaucoup, le reste est muet mais est obligé d'écouter. Résultat: là aussi la bataille a été gagnée. Reste donc l'écrit: là le Système semble avoir cafouillé, puis perdu avant d'être dépassé et de réagir par le dépassement. Sachant plus parler qu'écrire, le système a perdu la bataille très tôt soit face à la presse indépendante qu'il contrôle très mal et abusivement ou grossièrement, soit face aux livres qui ne dépendent plus de l'Etat pour venir au monde mais dépendent un peu de lui pour disparaître. Presque sans pouvoir sur les livres qui y naissent, y entrent, en sortent où s'y écrivent, le Système a opté pour des méthodes du Moyen-Âge, démontrées lors du dernier salon du livre. Un comité de lecture anonyme, souverain, hors du contrôle du bon sens ou du parlement, capable de la sublimation ou de l'autodafé et désormais renforcé alors que tout le monde croyait que les comités de lecture avaient disparu avec le socialisme, le communisme et les polices secrètes. Ce comité filtre donc les livres en les lisant et les lit selon son filtrage. Cela permet, à la fois, de stopper des livres religieux dits subversifs qui entrent, quand même, au pays par le biais des satellites et de stopper des livres politiques qui ôtent le sommeil au lieu de l'assurer. La mécanique est invisible, comme une partie du pouvoir, se passe de contrôle, n'a pas besoin de loi, n'émet pas des communiqués, laisse peu de traces, n'a pas de noms connus, circule en voiture banalisée et décide de tout.

Une définition que les Algériens connaissent bien à propos d'autre chose. Cela va-t-il régler le problème? Non.

Les livres interdits sont toujours les meilleurs et les livres conseillés sont surtout barbants. Le système contrôle le son et l'image mais pas les livres. Pas même ceux des manuels scolaires, apparemment.

Comme pour la lutte antiterroriste des années 90, l'éradication des livres religieux subversifs sert, en même temps, à éradiquer les livres politiques indésirables. Qui gagne? Personne dans le tiers-monde. Le monde a déjà inventé une chose qui produit l'écrit, le son et l'image à la fois, pour pas cher, partout et sans possibilité de surveillance: l'Internet. Cela a servi en Birmanie et en Chine. Cela sert chez nous. Un pouvoir parler à votre place, lire à votre place mais pas écrire à votre place.

Il suffit d'une souris pour vaincre la montagne.

Quotidien d'Oran

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