Interview de Merzak Allouache : « Pourquoi un film sur les Harragas »

Interview de Merzak Allouache : « Pourquoi un film sur les Harragas »

Dans son dernier film « Harragas » Merzak Allouache aborde un sujet d’actualité, la « harga » ce pari frondeur et suicidaire qui consiste à s’embarquer sur des canots de fortune et à traverser la mer, en espérant atteindre les côtes de l’Europe, nouvel Eldorado des temps modernes. Malgré les risques considérables, ces jeunes sont prêts à tout pour fuir une vie condamnée d’avance, entre chômage et hogra.

Le Matindz : Comment avez-vous été amené à traiter un sujet tel que celui des harragas?

Merzak Allouache : Depuis quelques années je m’intéresse à ce sujet. J’ai travaillé d’abord sur le thème des Africains qui traversent clandestinement l’Algérie pour rejoindre le Maroc et l’Espagne. J’ai tourné un téléfilm pour ARTE. Et de là j’ai commence à m’intéresser à ce drame social qui touchait de nombreux pays. En Algérie, le phénomène des harragas est très commenté. On en parle quotidiennement. Avec les émeutes et les suicides il fait partie du paysage social. Je voyage régulièrement à Alger et comme je m’intéresse aux problèmes que vivent les jeunes de là-bas, j’ai eu envie de travailler sur ce thème.

Le film se situe à Mostaganem, pourquoi ce choix?

Il y a les régions de Annaba et d’Oranie qui sont des zones de départ des “harragas”. Ce sont les régions les plus proches des côtes européennes. J’ai choisi Mostaganem après être allé au festival de théâtre amateur pour faire mon premier casting. J’ai trouvé que l’endroit me convenait. Les acteurs et les décors étaient là… La région de Mostaganem, avec ses criques et ses forêts sert souvent de base de départ des “harragas”. En allant là-bas j’ai recueilli une somme d’informations et d’anecdotes incroyables.

Vous avez opté pour un traitement sobre et efficace d’un phénomène d’une ampleur inquiétante qui s’apparente à un suicide. Pourquoi une fiction plutôt qu’un documentaire?

Je ne suis pas spécialement porté sur le documentaire. J’aime écrire des histoires – en partant de la réalité, en me documentant – mais toujours en restant dans le champ de la fiction du récit. La fiction me permet, à travers l’écriture d’un scenario, l’élaboration des dialogues, le travail avec les acteurs, le montage, la musique… d’avoir une expression artistique et esthétique sur le sujet à traiter. Je me sens plus enfermé si j’opte pour la forme documentaire. C’est pour cela que je n’en tourne pas, sauf à de rares expressions… Mais c’est vrai que le phénomène de la harga qui prend cette ampleur inquiétante mérite qu’on y travaille aussi sur la base du documentaire, du reportage… Il faut en parler le plus possible… Et que soient trouvées les solutions.

Parmi les jeunes candidats à la « harga » il y a Imène, une jeune fille, qui choisit de partir pour, dit-elle, ne pas devenir folle. Les filles sont-elles nombreuses à emboiter le pas aux garçons?

Evidemment. Le phénomène de la harga touche toutes sortes de gens. Il y a souvent – lorsque les harragas sont interceptés – des jeunes filles qui font partie des groupes. La mal-vie et le manque de perspectives touchent aussi les femmes. Imène est un personnage qui symbolise la participation de la femme algérienne à cette aventure malheureuse. A travers elle, je montre aussi la volonté et le courage des femmes…

Pouvez-vous nous raconter comment vous avez pris contact avec les jeunes de Mostaganem, comment vous avez réuni les informations nécessaires au film?

Mostaganem est une ville qui a depuis très longtemps une forte tradition théâtrale. Il s’y déroule chaque année un festival de théâtre amateur qui voit la participation de jeunes qui viennent de toutes les régions du pays. J’avais envie pour mon film de travailler avec ces jeunes, cette nouvelle génération d’acteurs, pas encore gâchés par les séries télé. Je suis donc allé là-bas faire un casting. J’ai rencontré facilement de nombreux jeunes acteurs. Tous étaient enthousiastes à l’idée de travailler sur le film et sur un sujet qui leur tenait à coeur. Avant ça, j’avais déjà travaillé sur le sujet et écrit un premier scenario, sur la base de lecture d’articles de presse, de contributions d’universitaires, de sociologues, de psychiatres, etc. J’ai aussi fait des recherches sur Internet concernant le phénomène des migrations clandestines dans les autres pays du Maghreb et aussi d’Afrique subsaharienne.

Le phénomène des harragas est un vrai problème national, dont la presse rend compte régulièrement. Que faut-il faire pour endiguer un tel désespoir qui est aussi paradoxalement l’expression d’un désir de vivre intransigeant ?

Ce désespoir des jeunes, n’est pas le résultat d’un désir de vivre intransigeant. Ce qui les anime c’est le désir simple de vivre normalement dans un pays qui offrirait à ses enfants une part normale des richesses nationales. L’Algérie est un pays riche, mais hélas les jeunes sont laissés à l’abandon ce qui provoque la mal-vie, le désespoir. A travers mon film j’essaie de témoigner simplement de cette mal-vie qui pousse aux actes suicidaires. Je pense qu’il y a urgence à mettre en place une réelle politique démocratique en direction des jeunes . Les solutions sont simples : emplois, logements, culture, loisirs… Le bonheur en fait.

Votre film est sorti en avant-première le 18 février à Alger. Qu’attendiez-vous de cet événement ?

Comme pour mes autres films, je fais en sorte qu’ils sortent en Algérie et soient vu autant que faire se peut par les spectateurs. Donc tout d’abord j’attendais une rencontre entre mon film et le public, particulièrement les jeunes. Mes réalisations sont toujours vues (et critiquées ce qui ne me gêne pas) que ce soit dans les salles (il n’en reste pas beaucoup hélas) ou à la télé ou par les dvd pirates. Je ne suis pas un réalisateur qui se contente des avant- premières officielles. Un film est fait pour vivre dans le temps. Lorsque je sais que mon premier film “Omar Gatlato” continue à vivre sa vie dans des rencontres, des festivals, je suis heureux.

Vous vivez en France depuis plusieurs années et vous continuez à être très proche de l’Algérie et de sa jeunesse. Quels liens gardez-vous avec ce pays ?

Je garde un lien affectif avec l’Algérie. J’ai mon Algérie dans la tête et cette Algérie personne ne me l’enlèvera. Bien que vivant en France ma préoccupation est très souvent de l’autre côté de la méditerrannée. Je suis critique mais j’aime ce pays. Je n’y vis pas mais j’y suis par la pensée. C’est comme une schizophrénie. Chaque fois que je vais tourner en Algérie, je sais que ce sera compliqué car il y a une grande suspicion à mon égard, voire un rejet. Certains se demandent pourquoi “je ne leur fous pas la paix”. Hé bien ça ne m’empêche pas de récidiver. Dans tous mes films, même ceux tournés en France, en Espagne, au Liban, il est question quelque part de l’Algérie, des Algériens. Je n’y peux rien… Ma thématique principale, c’est l’Algérie.

Pouvez-vous nous dire quelques mots sur vos projets de tournage ?

Je viens de terminer le montage d’un film que j’ai tourné à Alger (encore) en été qui s’appelle “Normal”. Et je commence un tournage en avril, en France, pour France 2. Et encore une fois, bien que l’histoire se passe dans le Midi (Marseille, La Ciotat), il est question de l’Algérie avec des personnages qui viennent de là-bas et qui rencontrent ceux d’ici. Ca s’appelle “Tata Bakhta” et c’est un peu moins noir que “Harragas” et puis je travaille sur un projet pour le cinéma que j’espère tourner en Algérie.

Propos recueillis par Keltoum Staali

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Commentaires (12) | Réagir ?

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Ghanima

Le culot, le ridicule ne les encombre pas outre mesure, meme la honte ne les fait plus rougir. Au lieu de s'auto-dissoudre pour sauver l'honneur lors du dernier congrés du FLN, ils ont trouvé moyen de remettre sur selle les Vandales et fossoyeurs de l'Algérie indépendante. Les stockeurs et recelleurs des cageots de raisins secs (Zbib) et des thermos Chinois dans l'enceinte même des Kasmas à l'époque des pénuries de toutes sortes. On a pas oublié.

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I. Didou

J'ai eu la chance de voire Harraga à Montréal. J'ai été ému et consterné pour cette triste réalité... Quand les jeunes préfèrent mourir en mer que de subir la hogra sur terre, cela envoie un message très fort et plein de courage...

Merci M. Alouache de nous avoir fait voyager dans la triste réalité de notre pays.

Impuissant et profondement triste, j'ai quitté la salle de cinema Parc de Montréal sous la pluie tout en pensant qu'en ce moment là, il y a encore des harragas au large... Rabbi m3ahoum!

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