Opinion : Algérie-Egypte et la fin de la "communauté arabo-musulmane"

En plein cœur du pseudo-débat électoral sur l'identité nationale, la victoire de l'équipe algérienne de football contre l'Egypte, le 18 novembre dernier, et les bouffées d'enthousiasme qui ont suivi dans la France urbaine résonnent encore dans l'hexagone. Partout où cette communauté est visible, l'espace public a été le lieu d'expressions identitaires qui jusque-là, dans le football, n'avaient jamais connu pareille résonnance et envergure. On a noté pêle-mêle la présence importante de filles, de femmes et de familles, de très jeunes gens aux côtés de seniors, de religieux et de laïcs, de barbus et de rasés, de femmes voilées et découvertes, celle d'innombrables drapeaux algériens aux balcons comme entre les mains des manifestants, un slogan de victoire de l'équipe nationale ‘one, two, three, viva l'Algérie !', en anglais-espagnol-français…

Ici et là, des journalistes ont parlé de milliers d'Algériens dans les rues : c'est inexact. C'étaient à peu près tous des Français. De nationalité. C'était la France. Une incroyable énergie flottait au-dessus de ces manifestations de joie. Elle exprimait à quel point la question de l'identité nationale est dynamique, vivante, étonnante, voire inquiétante pour les tenants d'une vision conservatrice et fixiste. Il faudrait demander aux Français issus de l'immigration italienne vers quelle équipe a penché leur identification lors du match France-Italie en finale de la coupe du monde de 2006.

Le match Algérie-Egypte révélait aussi d'autres fulgurances identitaires. En effet, une bonne partie de l'équipe d'Algérie sont des joueurs issus de clubs français et/ou qui évoluent dans des clubs européens ; ils ne parlent pas l'arabe et échangent en français avec les ‘nationaux' et les dirigeants. Ils sont issus de l'immigration. Ironie de l'histoire, ils forment aujourd'hui la force de frappe du retour de l'Algérie sur la scène mondiale sportive. Autre ironie du sort, dans l'équipe de France qui s'est qualifiée contre l'Eire le même soir, le seul joueur né de l'immigration algérienne était le lyonnais Karim Benzema, mais il est resté sur le banc de touche ! D'aucuns de penser qu'il aurait été plus utile dans l'équipe d'Algérie…

Autre ironie, la victoire algérienne a été unanimement saluée comme celle du panache, de l'énergie, du courage et du fair-play, contrairement à celle de la France pour laquelle un coup de main a été décisif. On peut imaginer, que dans le registre de la double appartenance, les Français issus de l'immigration algérienne disposent ainsi, avec leurs deux équipes qualifiées pour l'Afrique du Sud, d'une alternative identitaire. Cette double appartenance devient ainsi une ressource et non une source de conflits.

Mais pourquoi donc, ici, chez nous, en France, des dizaines de milliers de jeunes, garçons et filles, sont sortis pour crier leur joie et leur fierté, laisser éclater leurs sentiments pour une équipe nationale étrangère ? Quels sentiments, du reste, on se le demande. Pour certains observateurs, on revivait les moments d'indépendance de l'Algérie en 1962, avec klaxons et drapeaux verts ! Et pourtant, très peu de ces jeunes, nés dans les années quatre-vingt, quatre-vingt-dix, soit pendant les années de plomb, ont dû déjà se rendre dans le pays d'origine de leurs… grands-parents ! Alors sentiments de quoi, au fond ?

Avec le recul, il apparait qu'une nouvelle libération, émancipation, était en jeu ce soir-là : une indépendance d'un autre type, qui réconciliait plusieurs générations sur le même trottoir, dans un même élan, celui de se mêler après quatre-vingt-dix minutes de suspens à des ‘semblables'. Cette ressemblance, c'est l'histoire commune d'une relégation identitaire, qui perdure peut-être depuis 1830, et qui se réactive dans des circonstances inattendues. Indépendance, libération, émancipation : comment ne pas avoir vu qu'à l'issue du match, le gardien Algérien est symboliquement, monté au dessus de sa cage !, comme ‘déchaîné', en ôtant son maillot comme une camisole. Comment ne pas penser à la fierté, dignité, estime de soi, identification positive… et d'autres mots encore pour légender l'euphorie de ce soir-là.

Prenons garde, il serait erroné et dangereux d'y voir une manifestation contre la France. Non, c'est autre chose, un ‘aspect positif', de la question. Nous avons assisté à une expression, joviale, de la redoutable énergie que recèle le volcan identitaire, quand pendant des décennies, une minorité nationale avale collectivement un sentiment amer d'être mal aimée, disqualifiée, abandonnée, moquée, insultée, refoulée, humiliée. Utilisée comme bouc-émissaire dans des stratégies électorales. Il est urgent d'utiliser ce type de déclenchement d'énergie identitaire, parti en feu d'artifice, sans direction, ni organisation, pour le canaliser au profit du pacte républicain français. On se souvient, il y a quelques années, du match France-Algérie dans lequel jouait Zidane, idole planétaire de deux peuples, mais joueur d'une seule équipe. A cette époque, c'était cet icône de l'entre-deux qui cristallisait les confusions identitaires de ces millions de jeunes en porte-à-faux entre la France et l'Algérie. Ils ont sifflé la Marseillaise, puis envahi la pelouse. Que ce soient de jeunes Arabes qui l'aient fait et qui brandissent des drapeaux algériens nourrit le rejet racial et la thèse du ‘racisme à l'envers'.

Beaucoup doivent en effet voir dans ces indices la preuve de l'existence d'âmes de destruction massive menaçant notre identité nationale. Et pourtant. Un dernier point mérite d'être relevé. Cette victoire contre l'Egypte casse un mythe : celui de la ‘communauté arabo-musulmane'. Les violences qui ont entaché le match aller au Caire (caillassage du bus de l'équipe d'Algérie, blessés…) ont montré qu'autour du ballon rond, il n'y a plus de ‘frère' qui compte, arabe ou musulman.

Ne subsiste qu'une seule religion, celle de la victoire : chacun pour soi et Allah pour tous ! Cette confrontation sportive entre deux anciens pays frères qui se sont porté assistance dans des conflits armés par le passé, reconfigure la géographie de ‘l'ancestrale fraternité naturelle' entre ces pays méditerranéens. A tel point qu'on n'ose même pas imaginer ce qui aurait pu se passer si l'Algérie s'était qualifiée au soir du match joué au Caire. L'exacerbation du recours identitaire, chez les uns comme chez les autres, est à prendre avec des pincettes. Sur les stades comme dans l'arène politique.

Azzouz Begag est chercheur CNRS et ancien ministre et Christian Delorme est prêtre Lemonde.fr

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Commentaires (95) | Réagir ?

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jojo

Ecoutez messieurs les internautes. Nul ne peut se prévaloir être plus kabyle ou plus arabe que l'autre. Nous sommes tous des Algériens avec toutes les diversités culturelles de notre cher pays- un point c'est tout. Il est clair et indéniable que les autochtones sont des amazighes dont le territoire s'étendait de l'Atlantique à la mer rouge;mais n'oublions pas l'apport des autres civilisations qui ont envahi l'Algérie tour à tour:les phéniciens;les romains, les arabes, les morisques chassés d'Andalousie les turcs, et enfin les Français. On ne peut renier leur influence;et je peux vous dire moi qui suis de JIJEL (théoriquement petite kabylie) j'utilise dans mon dialecte beaucoup de termes berbères, arabes, turcs français et même italiens. Alors peut sur ces critères me classer kabyle ou arabe? non, je suis tout simplement Algérien et le seul critère de langue ne peut suffire à définir une race à lui seul. Nous avons vu comment la pseudo fraternité Arabe a volé en éclats à la suite du match Algérie Égypte, car fondée sur la seule langue ARABE (baathistes) qui n'est qu'un moyen de communication et nous n'avons rien de commun avec l'egypte si ce n'est la religion (même pas la langue). Je crois qu'il serait plus judicieux d'utiliser le critère de sol pour unir les gens dans leurs différentes cultures et religions. On sait bien que depuis la nuit des temps les musulmans, les chrétiens et les juifs vivaient en symbiose dans notre pays. Nous savons aussi que le vaillant TARIK IBN-ZIAD était un berbère islamisé désigné à la tête des troupes arabo-berbéro-musulmanes a conquis le pays d'EL-Andalus avec tout ce que l'on sait comme rayonnement civilisationnel sur le monde entier durant plus de 07siècles;et ce grâce à la synergie et complémentarité des berbères et des arabo-musulmans. Alors de grâce messieurs les sécessionnistes et autres illuminés qui renient l'apport des autres cultures, arrêtez de polémiquer sur l'identité des Algériens, et conjuguons plutôt nos efforts pour vivre ensemble en harmonie dans ce beau pays avec toutes nos différences culturelles et cultuelles, dans le respect et la fraternité. Et luttons ensemble pour "redresser" les politiques qui nous dirigent et qui sont la cause de nos malheurs, car eux, ils se partagent le magot sans distinction de race ou de religion. Alors mes chers compatriotes unissons nous pour mieux faire face aux défis du 21ième siécle. (L'heure est aux regroupements régionaux.) Salut à tous, vive l'Algérie avec toute sa dimension berbéro-arabo-andalou-musulmane. Vive les Algériens quelque soit leur dialecte, leur religion ou leur couleur.

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Bey Mustapha BEBBOUCHE

@ ines, Euréka ! tu as trouvé ! le Brésil parle le portugais, l’Australie parle l’anglais et ton Chili parle l’ espagnol etc.. de même que l'Algérie parle l’arabe ; c’est aussi simple que ça ! Et pourtant, dans tous ces pays, c’est plein de minorités. Ne soyons donc pas plus royaliste que les rois !

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