Administration publique algérienne : la méforme de l'ordre en place

On est presque prié de croire les déclarations sur la e-administration ressassées par le ministre de l'Intérieur.
On est presque prié de croire les déclarations sur la e-administration ressassées par le ministre de l'Intérieur.

De toutes les orientations et mesures qui ont été expressément déclinées ou implicitement insinuées par le gouvernement, dans le cadre des réformes qu'il compte mener pour surmonter ou dépasser la crise actuelle, on ne retrouve presqu'aucune trace de projet de redressement de l'administration publique et des services qui lui sont liés, si ce n'est les "appels", répétés à l'infini, du ministre de l'Intérieur, à une "meilleure gestion des affaires publiques", à un "rapprochement de l'administration de l'administré" et à la "démocratie participative.

Des appels qui prennent l'allure de professions de foi sans suite et sans prolongement sur le terrain, hormis quelques légères améliorations dans le fonctionnement des services de l'état civil, avec la numérisation de quelques pièces; opération qui n'est pas exempte d'erreurs de transcription, ce qui a valu à des milliers de citoyens beaucoup de peine afin de procéder aux corrections nécessaires.

L'administration algérienne est malade de sa bureaucratie, de son hypercentralisation, du faible niveau de formation de ses agents, de la faiblesse de son rendement, de son déficit de communication et des pratiques de corruption qui s'y sont développées depuis des décennies.

Cette situation n'a pas manqué de déteindre directement sur la performance économique du pays, entendu que l'administration est supposée encadrer et encourager l'investissement productif.

Avec tout l'argent dépensé dans les investissements publics depuis le début des années 2000, l'administration n'a pas bénéficié d'une quelconque réhabilitation des ses services. Au moment opportun, des analystes et des experts nationaux (feu Abdelmadjid Bouzidi, Abdelhak Lamiri,…), avaient fait grief aux concepteurs des plans quinquennaux- qui ont consommé plus de 600 milliards de dollars-, de ne pas avoir intégré la modernisation de l'administration et de ses agents dans plans de développement. Est-il alors surprenant de voir ces mêmes plans, paradoxalement "managés" par cette même administration, claudiquer, foirer, ou, à tout le moins, manquer gravement leurs objectifs? En effet, les malfaçons techniques, les retards, les différentes réévaluations qui grèvent les milliers de projets ne sont pas des exemples de rigueur et de performance de la part des administrations maîtres d'ouvrage.

Ce fut ainsi, sous l'embellie financière du milieu des années 2000. Qu'en sera-t-il maintenant à l'ombre de la crise des finances publiques? Des coupes budgétaires ont été initiées dans l'administration depuis 2016, faisant que certains bureaux assurant des services publics manquent même de papier pour imprimer une décision ou un courrier ordinaire. Dans certains lycées, on a sollicités les élèves à cotiser pour faire photocopier des documents pédagogiques. Le projet de loi de finances 2018, présenté par dernièrement par le gouvernement Ouyahia, prévoit un budget de fonctionnement (salaires, carburants, véhicules, consommables, mobilier de bureau,…) de 4.584,46 milliards de dinars (contre 4.591,8 milliards de dinars en 2017). Quant au budget d'équipement (investissement dans les infrastructures et équipements), il est fixé à 4.043,31 milliards de dinars. Le gouvernement compte remettre ainsi en marche, du moins en partie, les projets gelés du temps des gouvernements Sellal et Tebboune dans les domaines de l'hydraulique, des travaux publics, du raccordement en gaz naturel, de la construction de logements, des infrastructures scolaires et universitaires,…etc.

Le regain de souffle dont bénéficie le budget d'équipement aura pour objectifs principaux, d'après Ouyahia, "le développement des communes et les des fonds spéciaux consacrés au Sud et aux Hauts Plateaux, ainsi que le payement des dettes envers les entrepreneurs".

Mais, l'on sait à quel prix une telle réactivation des investissements publics va se faire. La planche à billet sera mise à contribution pendant une durée de cinq ans. Le Premier ministre Ouyahia dit pouvoir "encadrer" cette opération et lui "éviter" des dérives inflationnistes par l'installation d'une commission spéciale de suivi de la création monétaire.

L'administration publique chargée de mener à bien ces investissements publics est toujours la même, c'est-à-dire celle qui géré les précédents plans quinquennaux. Pire, elle a même perdu de ses performances suite à une hémorragie historique consistant en le départ à la retraite- normale ou anticipée- de dizaines de milliers de cadres et d'agents expérimentés au cours de ces cinq dernières années. La relève n'est pas garantie. La formation universitaire étant ce qu'elle est- souffrant d'une baisse drastique de niveau-, la "soudure" risque de s'effectuer de façon bancale et trop partielle.

Diagnostic peu flatteur

Ce point d'achoppement n'est pourtant que la partie visible- et une aspérité ayant fait du boucan- d'un grand iceberg qui a pour nom "administration publique". Il est sans doute malaisé d'aller plus loin que ce vers quoi était allé en 2002 le rapport de la commission des réformes de structures de l'Etat et de ses missions, instituée par le président Bouteflika et présidée par Missoum Sbih, ancien directeur de l'École nationale d'administration (ENA) et ancien ambassadeur. Ce rapport avait relevé les divers dysfonctionnements de l'administration de l'Etat et leurs impacts sur qualité et le niveau des prestations des services publics fournis aux citoyens et aux partenaires économiques. Mieux, par certaines bribes d'information parvenues jusqu'à la presse, un diagnostic implacable a été dressé sur le pourquoi de ces dysfonctionnements (déficit de formation, retard technologique, organigrammes mal conçus, mode de rémunération obsolète, centralisation excessive du processus de prise de décision, corruption,…) et leurs incidences négatives, notamment sur la conduite des projets d'équipements qui, à l'époque, commençaient à "pleuvoir" dans le cadre du premier plan quinquennal décidé par le président, et qui sera suivi de deux autres plans et d'un quatrième qui n'a pas pu être mené à bon port à cause de la survenue de la crise financière en juillet 2014.

Plus de seize ans après ce constat- dont le rapport écrit n'a jamais été publié in extenso, ou mis à la disposition des institutions publiques ou de la presse-, et après que la machine administrative eut "broyé" plusieurs centaines de milliards de dollars dans des infrastructures et des équipements dont la qualité est loin d'être au-dessus de tout soupçon, l'on se retrouve presque au point de départ, si ce n'est pire, pour ce qui est du constat sur l'administration publique. On ne peut se contenter ou tirer gloriole, en 2017, du passage au passeport biométrique ou de la délivrance rapide d'un casier judiciaire. Sous d'autres latitudes, avec moins de moyens financiers, ce sont des formalités dont on ne traite même pas.

Ressources humaines : trois facteurs d'affaiblissement

Le passif de la contreperformance s'est assurément accentué, lorsqu'on considère trois phénomènes qui ont pesé d'un poids écrasant sur le destin de l'administration: la fuite des cadres et des cerveaux algériens vers des cieux plus "cléments", et surtout plus reconnaissants de la valeur des hommes et de leurs compétences; la retraite anticipée et la retraite proportionnelle qui ont vidé les structures administratives de la sève qui leur restait; c'est là une erreur fatale - pour ne pas dire un sabotage en règle - par laquelle sont libérés des jeunes cadres de 50 ans, pour peu qu'ils aient travaillé pendant 20 ans.

L'administration, et avec elle l'entreprise publique, ne se relèvera pas de sitôt de tels errements. Toutes les méthodes, les bonnes traditions du travail, sont mises au rebut; la maturité des cadres de 50 ans a été déclarée "inutile", voire "dérangeante".

Le troisième facteur, qui amplifie et aggrave les effets des deux premiers, c'est le niveau médiocre de l'Université. La relève ne s'opère ni dans l'administration publique ni dans les entreprises. Les cadres qui se rapprochent de la retraite se sentent de plus en plus seuls, ne partageant avec les nouvelles recrues même pas le jargon du métier. Souvent faibles en français et en arabe, seule une minorité de ces nouvelles recrues arrive à s'accrocher plus ou moins correctement.

En outre, les modes de recrutement dans la fonction publique ne sont pas au-dessus de tout soupçon. Pour un poste budgétaire disponible mis en compétition, des centaines, parfois des milliers de prétendants déposent leurs dossiers. N'oublions pas que l'Université "adoube" chaque année plus de 250 000 universitaires pour les mettre sur un hypothétique marché du travail. On peut imaginer alors toutes les interventions, magouilles et tours de passe-passe dont on se sert pour se faire recruter.

"Mettre à niveau" le cerveau algérien

En matière de formation, comme en fit mention le rapport de la commission de 2002, les personnels de l'administration ne connaissent pas encore ce que signifie la formation continue. Plusieurs administrations techniques, censées se mettre définitivement au numérique et aux technologies modernes, traînent encore la savate. Et ce sont les citoyens et les opérateurs économiques qui voient leurs affaires retardées, mal prises en charge ou carrément bâclées. Les administrations agricoles, le cadastre, les domaines, les services des forêts sont encore démunis des nouvelles technologies de quantification, d'arpentage et de planilmétrage. Stations SIG, logiciels de calcul, GPS, sont des nouveautés qui ne sont pas encore imposées et généralisées dans les pratiques quotidiennes. Comment alors se plaindre de la médiocrité ou du retard de la gestion du foncier ?

Sur le plan du foncier, l'Algérie est un pays sous-développé. Non seulement en raison du retard d'accès aux nouvelles technologies, mais, également, en raison de l'instabilité du statut juridique des terres et du manque de suivi de l'évolution de ce statut pour une même parcelle de terrain.

La grande question qui se pose aujourd'hui est de savoir comment réussir ce bond de la modernisation de l'administration algérienne, exigée par l'impératif de la diversification économique, dans un contexte de contraction des finances du pays, alors que, à l'ombre de l'embellie financière des passées, aucune avancée notable n'a pu être effectuée dans cette direction. Est-il alors surprenant d'entendre un expert algérien en management, Dr Abdelhak Lamiri en l'occurrence, parler de la nécessité que le cerveau algérien soit "mis à jour" et "upgradé", pour "entamer les réformes structurelles devant ouvrir à l'Algérie pour entrer dans le cercle des pays émergents d'ici 2020" ?

Amar Naït Messaoud

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Commentaires (76) | Réagir ?

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fateh yagoubi

merci

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fateh yagoubi

Merci

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