"Amazigh", "Arabes", "musulmans" ... attention aux mots ! (II)

"Amazigh", "Arabes", "musulmans" ... attention aux mots ! (II)

Évitons un malentendu ou une manipulation de ces réflexions.

Efforçons-nous à raisonner

Les catégories générales (ethniques, spirituelles, biologiques et physiologiques) existent ; elles ont respectivement leurs spécificités comme telles, notamment leurs droits humains inaliénables sur les plan social, économique et culturel. En particulier, ce texte ne veut en aucune manière diminuer ou nier la problématique amazighe ; le but est uniquement de prendre conscience de ne pas tomber dans un piège, qui devient clair : la manipulation de la question amazighe par une oligarchie (existante ou en formation) se réclamant de cette ethnie, mais dont les intérêts coïncident avec ceux de l’impérialisme et du sionisme. Qui prendrait cette dernière affirmation comme une manière hypocrite de soutien aux gouvernements en place, soit ne comprend pas le texte présent, soit est un manipulateur au service de ce qui est précisément dénoncé ici.

| Lire la première partie : "Amazigh", "Arabes", "musulmans"... Attention aux mots

Ceci étant dit, dans chaque peuple, n’y a-t-il pas des bons et des méchants, j’entends par là des personnes visant à vivre au détriment de leurs semblables, et d’autres désirant uniquement vivre ensemble dans le respect et la solidarité réciproque ?… Où existerait un peuple tout entier composé uniquement de bons ou de méchants ?… Alors, pourquoi parler d’ « Arabes » ou de « Amazighes » en général, pour faire l’éloge des uns et dénigrer les autres ?

On rétorquera qu’en Algérie, en particulier, et dans la zone allant du Maroc au Moyen-Orient, les Amazighes sont dominés par les Arabes. Le fait est indéniable.

Toutefois, posons la question : par les « Arabes » seulement ?... La réponse est donnée par un commentaire à l’une de mes contributions précédentes. De celui-ci, nous constatons qu’une frange d’Amazighophones et d’Arabophones sont toutes les deux unies comme membres de la même caste dominante, et que cette domination s’exerce sur le peuple, quelle que soit la composante ethnique.

Il est arrivé même ceci : « le réflexe de nos ancêtres, depuis des siècles, de porter au pouvoir ceux qui préparent notre propre négation et destruction », écrit Aumer U Lamara.

Examinons l’aspect spirituel. Existerait-il des gens totalement bons et d’autres totalement méchants, parce que les uns sont religieux et les autres pas, ou, au contraire, parce que les uns sont laïcs et les autres religieux ?

Dans l’histoire humaine comme celle algérienne, ne trouvons-nous pas des bons et des méchants dans les deux camps ?

Et cette constatation ne doit-elle pas nous convaincre d’éviter d’utiliser les mots « laïcs » et « religieux » pour distinguer entre les bons et les méchants ?

J’emploie le terme « religieux » et non pas « islamique intégriste », parce que, comme je l’ai précisé au début de ce texte, je m’intéresse non pas aux manipulateurs déclarés mais aux intellectuels idéologues qui se présentent sous le masque de défenseurs du peuple opprimé.

En effet, en Algérie, s’il est facile de voir un « islamiste intégriste » et un « laïc » s’opposer, il est plus difficile de se rendre d’une réalité plus grave. Je l’ai constatée à plusieurs reprises : j’ai vu des laïcs mépriser des religieux pour le seul fait qu’ils soient religieux.

La religion serait-elle uniquement, selon l’expression consacrée, un « opium du peuple » ?… Dans ce cas comment expliquer que dans certains cas, elle fut un instrument idéologique de libération : en Algérie, pendant la guerre de libération, et en Amérique latine avec la « théologie de la libération » ?

Venons aux jeunes présentés comme plus valables que les vieux.

Certes, en Algérie, je l’ai dit, les détenteurs du pouvoir ont un âge très avancé. Mais est-ce que leur incompétence dans la solution des problèmes du pays est causée par ce facteur ?

En Algérie, la ministre des Postes et Télécommunications est jeune. Accomplit-elle correctement sa mission ? Le peuple français, en se voyant présidé par le plus jeune homme de toute l’histoire de la république, Macron, se trouve-t-il mieux traité ?

Le peuple grec a, lui aussi, un jeune premier ministre, de gauche, celui-ci : Alexis Tsípras. Seulement voilà, peu de temps après, il renia ses engagements électoraux, en livrant son pays au Fond Monétaire International. Conséquences ? Diminution des retraites, des salaires et autres injustices sociales, bien entendu uniquement contre les citoyens les plus faibles.

Remontons dans le passé. Au Viet Nam, Nguyen Giap, le vainqueur contre le colonialisme français puis l’impérialisme états-unien, une fois la paix rétablie et devenu vieux, s’est retiré du pouvoir. Il l’a laissé à des jeunes pour reconstruire le pays. Mais assez rapidement il s’aperçut que ces jeunes construisaient un capitalisme d’État où le peuple laborieux (ouvriers et paysans) était tombé sous la domination d’une nouvelle caste, formée de ces jeunes. Le vieux leader les critiqua durement, hélas! inutilement. Cette oligarchie était désormais devenue forte, avec ses soutiens dans la nouvelle classe moyenne. Giap mourut dans la plus grande amertume.

Quant au dernier problème exposé, l’opposition entre hommes et femmes, je pense qu’il appelle seulement les remarques suivantes. Les « intégristes islamistes » ont au moins le mérite de revendiquer publiquement l’inégalité et le mépris dans lesquels ils soumettent la femme. Mais combien de « laïcs » algériens traitent leurs mère, sœur, épouse, camarade de classe ou de travail avec le respect qui se doit à leurs droits humains ?

Concluons.

A propos des ethnies.

La première guerre mondiale fut causée par l’opposition des chauvinismes nationaux, opposant peuple à peuple, chacun des deux prétendant représenter la « civilisation » et l’adversaire la « barbarie ». Dans cette boucherie, des deux côtés, le gagnant fut la caste financière-industrielle, et le perdant le peuple laborieux, tué et mutilé sur les champs de bataille.

Il en fut de même lors de la seconde guerre mondiale.

A notre époque, après l’écroulement du bloc de l’Est, comme par hasard sortirent comme best-sellers les ouvrages suivants : en 1996, « The Clash of Civilizations and the Remaking of World Order » (Le choc des civilisations et la réorganisation de l'ordre mondial), de Samuel Phillips Huntington. Voilà comment l’impérialisme a trouvé la nouvelle justification de sa domination planétaire. Dès lors, faut-il s’étonner que cet auteur, universitaire états-unien, fut, en 2004, invité au Forum mondial de Davos, autrement dit la réunion de la nomenklatura financière mondiale ? Et faut-il être surpris que ce même personnage publia, en 2005, « Who are We? The challenge to America's national identity » (Qui sommes-nous ? Le défi à l’identité nationale américaine », où celle-ci est déclarée menacée par l’immigration, notamment latino-américaine ?

A propos du problème palestinien, qui a provoqué et profite de sa présentation comme conflit entre Arabes et Juifs, et non pas entre colonisateurs sionistes (dénoncés comme tels par des auteurs juifs antisionistes, tels Shlomo Sand) et colonisés palestiniens (également dominés par les castes arabes moyennes-orientales) ?

Concernant les visions spirituelles, posons la question : au Moyen-Orient, qui a provoqué et qui profite des actuelles divisions entre Sunnites et Chiites ?… Dans la création de l’organisation des « Frères Musulmans », quel fut et demeure le rôle des services secrets britanniques et états-uniens ?

Toutes ces considérations ne doivent-elles pas nous porter, en Algérie, à employer les mots en fonction de leur contenu exact, ni plus ni moins. Par conséquent, faisons attention aux amalgames, auxs simplications, aux affirmations, provoquées par la volonté manipulatrice ou par l’ignorance. A ce sujet, trop d’artistes et d’écrivains feraient mieux d’étudier avant de proférer leurs affirmations péremptoires sur les problèmes d’histoire et de société. Leurs déclarations ne trompent que les ignorants.

Prenons conscience d’un fait. Certains intellectuels, non seulement algériens mais dans le monde entier, apparemment nourris des meilleures intentions, sont au mieux des ignorants, au pire des démagogues. Ils se présentent comme des opposants au pouvoir en place tout en jouant son jeu. En effet, revenant à) l’Algérie, à qui profite l’emploi des mots Arabes / Amazighes, laïcs / religieux, jeunes / vieux, hommes / femmes, de manière INDÉTERMINÉE, dans le seul but de les OPPOSER ?

Cette ségrégation ne profite-t-elle pas uniquement à la caste dominante ? Son intérêt n’est-il pas dans ce genre de présentation de conflits sociaux ?

A quoi sert cette manière particulière d’employer les mots, sinon à occulter totalement l’opposition existante dans chacune des catégories indiquées par ces mots ? L’opposition principale et déterminante ne réside-t-elle pas dans la distinction entre une minorité de privilégiés et une majorité de démunis, au sein des ethnies, des croyances spirituelles, des différences biologiques ou physiologiques ?

Par conséquent, l’auto-proclamation par un intellectuel, ou l’attribution par ses adorateurs, de l’étiquette de « progressiste », de « révolutionnaire », ne devrait plus aveugler les citoyen-nes honnêtes et intelligents. Rappelons-nous que « tout flatteur vit au dépens de celui qui l’écoute », et ne perdons pas de vue l’opposition FONDAMENTALE qui divise les êtres humains. Elle est dans l'exploitation-oppression des uns au détriment des autres. Supprimez-la, et les autres différences n’auront plus aucun effet négatif.

Cette conception sociale est la seule qui peut légitimement prétendre à la défense non pas d’une ethnie au détriment d’une autre, non pas d’une conception mentale contre une autre, non pas d’un âge contre un autre, non pas d’un sexe contre un autre, mais à la libération des opprimés-exploités quelque soit leurs autres caractéristiques.

Pour convenir de cette orientation, il est vrai que doivent exister l’honnêteté et l’intelligence, capables de déceler où se trouve l’équité collective, pour toutes et tous, sans exception ni distinction.

N’oublions jamais un fait. À l’époque actuelle, pour une puissance impérialiste (notamment France, Angleterre, États-Unis, Israël), quand les circonstances ne permettent pas l’agression directe de son armée contre un pays convoité, la solution utilisée est la manipulation des divisions sociales internes au pays, pour provoquer une crise. Son but est l’élimination non pas uniquement du gouvernement qui dirige ce pays, mais de l’ÉTAT qui en assure l’UNITÉ. Alors, la nation morcelée en mini-« États » est totalement à la merci de la caste financière du pays manipulateur, avec, bien entendu, les collabos de service. Et, encore une fois, les victimes sont les peuples, quelque soit leur ethnie, leur croyance spirituelle, leur âge et leur sexe.

Imaginons donc l’Algérie divisée en « États-nations » sur base « ethnique ». Oh, il n’y aura pas seulement « Arabophones » d’un coté, et « Amazighophones » de l’autre. Pis encore, chaque portion de citoyens qui se considérera une « ethnie » particulière voudrait son « État-nation ». Parmi les Amazighes, il y aurait l’ « État-nation » kabyle, mozabite, chaoui, touareg, etc. Parmi les Arabophones, nous aurons les différentes régions, telles les Constantinois, les Algérois, les Oranais, les Tlemcéniens, etc., etc.

De tous ces « États-nations » « ethniques », la seule qui aurait une relative condition économique d’existence sérieuse serait l’ « État-nation » saharien, vu la présence d’hydrocarbures. Mais, là encore, pour combien de temps cette ressource serait exploitable ?

La solution réellement raisonnable, démocratique et juste n’est-elle pas la suivante ?… La reconnaissance réciproque de toutes les spécificités des diverses régions du pays (ethniques, économiques, sociales, culturelles), - qui ne soit pas une régression au tribalisme qui a caractérisé l’Algérie pendant tellement longtemps -, et une structure fédérative qui permette aux citoyens de toute spécificité (ethnique ou culturelle) d’exister de manière en même temps libre et autonome, coopérative et solidaire.… Alors, les droits humains indispensables de chaque citoyen, comme de chaque région seront exercés librement, pour le bien commun.

En attendant, on travaillerait afin que cette union fédérative solidaire en Algérie s’étende aux autres peuples de la région, pour former une entité économico-sociale prospère… En vue, rêvons !, d’une fédération mondiale des peuples, régie non par les bandits exploiteurs du G7, G8 ou G20, mais pas les représentants authentiques des intérêts de tous les peuples de ce caillou dans l’univers, appelé Terre.

Alors, attention aux mots et à leurs utilisateurs, surtout quand ils prétendent "défendre" le peuple, la démocratie, la liberté !…

Oui, c’est compliqué. Il n’est pas facile de distinguer les vrais et les faux amis. J’en ai personnellement subi l’amère expérience, durant ma jeunesse. Les intellectuels-caméléons (tirant leurs moyens d’existence d’un système politique auxquels ils sont des opposants en paroles, mais sans franchir la ligne rouge) font tout pour brouiller les pistes. Ils vont jusqu’à présenter les authentiques défenseurs du peuple comme des "gauchistes", des "irresponsables", des"ennemis de la nation et du peuple", des "alliés objectifs de l’impérialisme et du sionisme", etc. Et certains les croient, parce qu’ils croient à leur "prestige" d’intellectuels, entretenu notamment par le régime qu’ils prétendent combattre, et par les moyens de manipulation de masse des systèmes impérialistes, qu’ils prétendant dénoncer, là encore, sans franchir la ligne rouge.

En quoi consiste-t-elle ?… Affirmer que la base des systèmes sociaux existants, sans aucune exception dans le monde, est la trinité exploitation économique-domination politique-aliénation idéologique, sous des formes diverses (dictature, "démocratie" parlementaire, semi-dictature). Et que c’est cette base qu’il faut abolir, pour la remplacer par la coopération libre et solidaire, si l’on veut résoudre tous les autres problèmes, quelle que soit leur nature : ethnique, spirituelle, physiologique ou biologique.

Par conséquent, quand un intellectuel "défenseur" du peuple parle, veillons à remarquer s’il évoque cette ligne rouge et s’il l’a combat réellement. Mais, déjà, l’évoquer c’est la combattre. C’est l’unique méthode pour distinguer les vrais amis du peuple et les caméléons qui vivent de son asservissement. En tout cas, c’est ainsi que j’ai démasqué ce genre de personnages.

J’y suis parvenu en recourant à ma propre intelligence. Cela exigea de moi de m’informer le plus correctement possible, en ayant toujours comme boussole les problèmes et les intérêts des plus démunis, en tant qu’être humains, quelle que soit leur spécificité. Un poète et homme de théâtre espagnol d’Andalousie, Federico Garcia Lorca, fut assassiné par les fascistes. Ils lui reprochaient cette déclaration : "Je suis et serai toujours du côté de ceux qui ont faim".

Kaddour Naïmi

Email : [email protected]

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Commentaires (8) | Réagir ?

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algerie

جزاكم الله خيرا

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messaoud ayoune

L'article très savant commence par : " Les catégories générales existent (... biologiques et physiologiques) existent"... un concentré de racisme pur et dur des 19ème et 20ème siècle. Désolant !!!

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Oui, et alors ? Ce sont les catégories qui existent ! Le fait de dire « problématique amazigh » Ne signifie pas que les amazigh en tant qu’ils se perçoivent comme tels sont une réalité. Il sont une catégorie et encore c'est fouillé!. Comme le concept de Dieu. On lui voue un culte, on lui érige des cathédrales des temples et des mosquées, Mais cela ne signifie pas que c’est une réalité. Quand on parle des amazigh il s’agit des amazigh de la littérature mais pas d’une réalité tangible. Dieu n’est vrai que dans ce qu’on lui prête, et on lui voue. De même que tamazight qui n’est qu’une catégorie pour savoir de quoi on parle. Comme la catégorie du néant à la quelle Sartre a consacré tout un livre en même temps qu’à l’être. Vous devriez d’ailleurs remercier L’Immense Naïmi de vous avoir élevé au rang de catégorie, alors que vous ne méritez même pas celui de banalité, de trivialité. Maintenant si vous croyez qu’il n’a pas le droit de procéder par opposition pour marquer le contraste ou l’inouï, Il faut arrêter le débat!

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