Psychologie de la corruption en Algérie

Le scandale de corruption qui a entouré la construction de l'autoroute a marqué l'Algérie de ces 15 dernières années.
Le scandale de corruption qui a entouré la construction de l'autoroute a marqué l'Algérie de ces 15 dernières années.

La corruption est définie comme "l’utilisation et l'abus de sa fonction publique à des fins privées". C’est un cancer social qui ronge beaucoup de pays, entre autres l’Algérie, mais elle est perçue comme étant plus répandue dans certains pays que dans d'autres. Pourquoi ?

Dans cette analyse de la corruption en Algérie, mon but est de personnaliser la corruption à travers une étude de cas, celui d’une de mes patientes stressée par cette pratique ignoble. Son cas montre comment la corruption impacte le citoyen moyen qui essaye désespérément de survivre dans une société pleine de sangsues. Il ne faut pas rester les bras croisés alors que notre bien-aimé pays, l’Algérie, va à la dérive à cause de certains bureaucrates, petits et hauts fonctionnaires de l’état, malhonnêtes et sans scrupules, qui s’enrichissent aux dépends de citoyens honnêtes, comme vous et moi, qui travaillent très dur pour gagner leur pain. On a un devoir moral et une obligation étique aux générations futures de dénoncer ces pratiques ignobles même si c’est aux dépends de nos intérêts personnels et de nos carrières. On doit dénoncer la corruption, même si on est seul dans la foule à le faire. Comme le dit si éloquemment et succinctement Gandhi, un champion de justice : "Même si c’est dans une minorité de un (qui dénonce), LA VERITE est toujours la vérité"("Even in the monority of one, TRUTH is still the truth").

Ce n’est pas un secret que les tentacules de la pieuvre corruptive s’étendent à presque tous les secteurs en Algérie. Esquissant une analyse provocante de la corruption, en 2013, Dr. Mohamed Lakhdar Maougal, un brave universitaire Algérien, déclare succinctement, au Journal l'expression en 2013 : "En Algérie, la corruption a pris des proportions folles. Elle est présente à toutes les échelles de la société. Elle n'est pas seulement dans les secteurs financier, économique et bancaire, mais à tous les niveaux, y compris dans les institutions qui gèrent le religieux. C'est un secret de polichinelle. Tout le monde sait qu'il y a un réseau semi-mafieux qui récupère l'argent des hadjis par les agences. Même dans le domaine du sacré, la corruption est présente".

On juge le péché mais pas le pécheur

Pour comprendre l’impact dévastateur de la corruption il faut la personnaliser. On ne peut pas comprendre le cancer de la corruption que quand on comprend l’impact très fort des demandes constantes de pots-de-vin sur la vie du citoyen moyen - des gens comme vous et moi - honnêtes - qui travaillent très dur, et qui essayent de survivre dans une société pleines de loups et de loups garous.

Certains de mes patients en thérapie parlèrent courageusement, émotionnellement, et amèrement, de ces expériences frustrantes et démoralisantes ou la demande constante de pots-de-vin les laissa épuisés psychologiquement. Sur leur visage, on ne peut s’empêcher de remarquer les signes du stress chronique et la douleur ravageuse de l’injustice causée par ces insistances pécuniaires constantes de la part de fonctionnaires d’état corrompus. Ces hommes industrieux, ces femmes intelligentes, ces victimes, impuissantes devant le couperet impardonnable de la corruption, se sont transformées, après leur expérience humiliante avec ces sangsues du peuple, en victimes sans recours. Brusquement elles sont placées dans une position de "mendicité" vis-à-vis l’autorité puissante du petit fonctionnaire de l’état. La honte abonde chez ces victimes qui n’avaient pas beaucoup de choix que de succomber à la pression corruptive et immorale de ces agents de l’état.

Mes patients parlèrent tristement, et pour la première fois, avec ce psychothérapeute neutre, qui ne juge pas leurs actes, dans l’espoir que la publication de leurs histoires 1) aiderait à une prise de conscience des autorités intègres, de l’Algérien moyen, et, peut-être, uniquement peut-être, dissuaderait un futur corrompu, conscient de la douleur causée aux autres, qui développerait sa propre prise de conscience et – on l’espère - s’abstiendrait de demander des pots-de-vin à leurs prochaines victimes : leurs frères et sœurs algériens.

L’être humain, complexe, est un produit de son environnent (60% du temps). Même le comportement du "corrompu" doit être mis dans un contexte : la psychologie de tous les jours a montré qu’il n’est pas facile pour la plupart des êtres humains de faire du mal – exprès - aux autres. La Première guerre mondiale a montré (études américaines) que quand on recrute des futures soldats (ex. enseignants, charpentiers, etc.), à la va-vite, et quand on les dépêche au champ de bataille pour tuer, souvent, ils reviennent avec des troubles post-traumatiques complexes (ex. tics, troubles de sommeil, attaques de paniques etc.) : Il est très difficile pour la plupart de nous de blesser les autres. Les "corrompus" ne sont pas une exception. Ils font ce qu’ils font pour des raisons, qu’eux-mêmes, peut-être ne comprennent pas. Est-ce à dire qu’il ne faut pas les punir ? Loin de là. On juge le péché mais pas le pécheur. Les punir pour leurs actes ignobles a sa place dans notre étique sociale mais il faut aussi les réhabiliter. Les prisons américaines sont les meilleures au monde parce qu’elles font cette distinction : "On ne jette pas le bébé avec l’eau sale de la baignoire", dit un proverbe américain.

Beaucoup d’études américaines du stress ont établi que, ne pouvoir contrôler ce qu’on veut contrôler (ex. être pris dans l’engrenage d’un embouteillage de voitures), comme étant un des facteurs primordiaux qui prédisposent le plus l’être humain au stress chronique.

Jeune Algérienne, femme d’affaires, un agneau parmi les loups…

Le cas d’une de mes patientes, une jeune « businesswoman », un agneau parmi les loups de la corruption, mérite d’être mentionné. (N.B : Avec le consentement de cette patiente, les détails de ce cas, ont été modifiés pour protéger la nature confidentielle et la vie privée de ma patiente en agrément avec le code éthique du secret professionnel des psychologues Américains). Mais on ne doit pas se taire quand une injustice si grave est commise. Il faut s’élever, en unisson, contre cette pratique ignoble.

Ce qui suit, le cas de ma patiente, va vous briser le cœur. C’est l’histoire d’une patiente que j’appellerai Hanane (pas son vrai nom) épuisée par les demandes continues de pots-de-vin. Déjà propriétaires de 3 compagnies commerciales très prospères et ayant un succès commercial énorme, elle décida un jour d’ouvrir 3 autres compagnies : une crèche et 2 parcs d’amusements pour enfants. Telle une hyène détectant une proie facile, un haut fonctionnaire d’état lui demanda une somme astronomique pour lui octroyer un registre de commerce et d’autres droits. Après plusieurs va-et-vient déshumanisants à son bureau, Hanane est prise entre l’enclume et le marteau, et, humiliée, stressée et désespérée, ne voyait aucune issue que de payer les pots-de-vin exigés. Tant de remue-ménage et de stress pour que nos pauvres enfants, puissent avoir, un moment de répit, et leurs parents, un moment de repos !

Le rat de labo qui préféra la mort…

La psychologie aux USA, basée sur la rigueur scientifique, a fait plus de progrès en 100 ans que la médecine en 500 ans. Les psychologues américains ont fait beaucoup d’études et de recherche scientifiques sur les animaux avant de les appliquer aux êtres humains. L’étude qui suit est l’une de ces expériences scientifiques qui illustre et démontre l’impact de la frustration et du stress (i.e., ne pouvant contrôler ce qu’on veut contrôler) sur le bien-être d’un animal, puis les résultats de cette étude sont appliqués aux êtres humains en général et ma patiente en particulier.

Un rat est mis dans une cage dont le parterre de fil de fer est électrifié. Il est dans un coin et, en face de lui, dans un autre coin, son repas l’attend. Pour accéder à son repas le rat doit parcourir le parterre électrifié. Après qu’il ait mangé ce repas alors on déplace son prochain repas vers un autre coin. Il est à noter que le choc électrique venant du parterre peut lui faire du mal mais ne va pas le tuer. Comme ma patiente citée plus haut, le rat est pris entre l’enclume et le marteau. Que faire ? Il faut se décider. Repas ou électrocution? Cette étude a été entreprise et répétée plusieurs fois avec des centaines de rats, introduits dans la cage, un à la fois.

Les résultats sont étonnants : le rat, après plusieurs électrocutions,

devient très stressé mais il continue à faire son possible pour atteindre son repas. Il court rapidement pour traverser le sol électrifié et manger son repas. Mais après plusieurs tentatives, il commence à exhiber les symptômes du stress chronique. Frustré, fatigué de ne pouvoir manger en paix, Il est maintenant totalement épuisé. Eventuellement, il préfère mourir de faim que de continuer à recevoir, de nouveau, à maintes reprises, les chocs électriques «helpless and hopeless» (impuissant et désespéré).

Bien sûr, un être humain est plus complexe qu’un rat, mais, mis dans une situation ou ils sont pris entre le besoin de survie et la douleur, le rat et l’être humain, réagissent d’une manière similaire. Le désespoir qui accompagne le manque de contrôle est le même. Ce rat de labo, tout comme ma patiente épuisée, est devenu totalement impuissant devant l’avalanche humiliante et quotidienne sur ses sens ; les demandes constantes de pots-de-vin. Elles la laissèrent épuisée psychologiquement, dans un état de stress comparable à celui du rat, qui, ayant le choix entre recevoir un choc électrique ou mourir, après plusieurs tentatives de survie, épuisé, préféra la mort.

La corruption est un fléau social qu’il faut éradiquer. Les générations futures nous remercieraient pour cette tâche défiante que personne ne veut entreprendre à l’exception de quelques medias justes et intègres, et quelques intellectuels vocaux et audacieux qui se comptent sur les bouts des doigts.

Dr. Azzedine Mezbache

Président de Diversity Plus, psychothérapeute et psychologue du travail, actuellement aux USA, Dr. Azzedine Mezbache, formé aux usa, a enseigné le management, le leadership, la déontologie et la psychothérapie à plusieurs universités aux Etats-Unis pendant 37 ans. Il a également exercé comme psychothérapeute et a enseigné le management interculturel et le « business communication » en Algérie (2014-2016).

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Commentaires (13) | Réagir ?

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algerie

جزاكم الله خيرا

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fateh yagoubi

Merci pour cet article

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