Si vous n'aviez pas été assassiné Monsieur Boudiaf ...

Mohamed Boudiaf.
Mohamed Boudiaf.

Il est des hommes qui marquent l'Histoire en la faisant et ainsi fut votre vie Monsieur le Président.

Grand militant, artisan et penseur de la fin d’un des systèmes de domination raciale le plus abject que l’Histoire n’ait jamais connu, en l’occurrence le colonialisme français, vous fûtes éloigné par vos frères de combat une fois la liberté recouvrée en vous confisquant le fruit de votre combat. Depuis, le pays fut livré à une horde de bradeurs, de bandits, de braconniers, à une mafia de casino, une "mafia politico-financière" pour reprendre votre expression on ne peut plus appropriée. L’Algérie sombrait au jour le jour dans une impasse politique et un marasme économique, aucune vision politique à long terme, les militaires ont fait main basse sur le pouvoir politique et imposaient leur direction au navire tanguant. Voyant la noyade imminente, cette bande au pouvoir savait que vous êtes l’homme de la situation et des solutions, elle était venue vous chercher dans votre coin douillet au Maroc.

Mais la mafia reste une mafia, elle ne changera pas, un homme politique reste un homme politique, entre elle et vous, il y a une grande différence. Vous, vous avez une vision d’État de l’Algérie, elle, en a une de casino ; vous, vous percevez le pays en tant que propriété nationale à laquelle chaque citoyen algérien a le libre accès, elle c’est le contraire, elle s’est approprié l’Algérie et en a fait une propriété privée et familiale. Vous n’êtes pas du même bord, il est clair alors qu’une fois la tempête passée, votre liquidation était incontournable. Après votre assassinat le 29 juin 1992, un nettoyage contre tous les opposants : intellectuels, journalistes, hommes politiques, artistes a été organisé et le pays a été massivement livré au pillage. Voici ma lettre Monsieur le Président.

Monsieur le Président,

Quand vous fûtes arrivé à Alger en 1992, j'avais 13 ans, j'étais en collège, un petit garçon qui faisait assidûment et goulûment ses études dans l'espoir de devenir un cadre de la nation, car à la maison mes parents me répétaient chaque soir et à chacun instant que la seule façon d'avoir une vie facile, meilleure et une place dans l'Algérie de demain était la réussite dans mes études.

Dans cette école où je fus pris en otage, cette école ennuyeuse et oppressante, cette école que je n'ai jamais aimée à ce jour, car je n'en avais gardé que de mauvais souvenirs, cette école traumatisante où j'étais interné dès mon jeune âge arraché à un stade embryonnaire à ma langue maternelle et à ma culture authentique, on ne m'a jamais parlé de vous. On ne m'avait jamais dit que vous êtes le héros de la Révolution, que vous êtes dans l'avion arraisonné par l'armée coloniale française le 22 octobre 1956, premier attentat terroriste de l'histoire contre des civiles organisé par l’État français, que vous faites partie de la fratrie révolutionnaire ayant préparé et donné le coup d'envoi à Révolution en 1954.

Monsieur le Président, Monsieur le Président assassiné,

Quand fûtes arrivé le 16 janvier 1992 en Algérie, la première impression que j'avais spontanément c'était "d'où nous ramène-t-on encore ce type ? Pourquoi un accueil tant chaleureux pour un type maigrichon comme vous ? Je suis désolé Monsieur le Président pour mes questions abruptes et ma langue un peu biaisée, mais moi je ne vous connais pas. Ce sont, j'imagine, les questions que se sont posées tous les enfants de mon âge sinon même les plus âgés que moi.

Moi qui ne connais dans ma vie que Chadli et entendu parler que de Boumediene, je pensais que vous n'êtes même pas Algérien sinon un extra-terrestre ramené d'où je ne sais pour nous gouverner, je ne savais pas que s'il y a quelqu'un qui a toute la légitimité de réclamer son algérianité plus que les autres c'était vous, je ne savais pas que le mot Algérie est consubstantiel à votre nom, je ne savais pas que votre vie est synonyme de l’Algérie, je ne savais pas que vous êtes né algérien, avez respiré l'Algérie depuis votre naissance, avez vécu pour l'Algérie, rêvé et pleuré pour l'Algérie, que vous êtes emprisonné pour l'Algérie, que vous êtes exilé pour avoir été trop algérien, revenu au pays parce que vous êtes Algérien et puis assassiné, car vous voulez sauver l'Algérie. Je ne savais pas que vous êtes revenu pour nous offrir le meilleur, pour propulser le pays dans le premier rang des nations, pour faire de nous les jeunes enfants les cadres de la nation de demain, je ne savais pas que vous êtes revenu pour faire de moi ce jeune cadre dont rêvaient mes parents et toutes les mères algériennes meurtries par l'atrocité de la colonisation, ces mères qui ont connu toutes les privations. Je pensais que vous êtes revenu pour achever la besogne de ceux qui étaient au pouvoir depuis l'indépendance, je suis vraiment désolé de vous confondre avec ces braconniers, je n’ai jamais entendu parler de vous, je n’ai entendu parler que du messianisme de Boumediene et de sa politique négationniste envers la Kabylie. Je pensais que vous êtes tous pareils !

Monsieur le Président,

Je vous prie de m'excuser pour cette flagrante ignorance, j'aurais dû chercher à vous connaître, mais je ne savais même pas comment je dois procéder et où vous trouver? Vous ne vivez même pas en Algérie quand je suis né, comment voulez-vous que je sache qui vous êtes? Oui, vous me direz, que vous êtes l'un des artisans de la lutte armée et l'incubateur de la révolution algérienne, que vous étiez dans ce fameux avion détourné par l'armée française, que vous êtes arrêté et torturé par la Police de Ben Bella après l'indépendance, que vous aviez écrit un livre intitulé " Où va l'Algérie?". Comment se fait-il que je n’aie pas connaissance de tout cela ? Mais permettez- moi Monsieur le Président de vous dire que je ne lis pas en français, je suis un enfant arabisé, même si j'avais ce livre, je ne serais pas en mesure de le lire. Pour votre information Monsieur le Président, votre livre je l'ai lu à l'âge de la trentaine, je n'avais pas le niveau pour vous lire avant, l'école algérienne d' où j'étais sorti m'a rendu incapable de vous lire ni de vous comprendre. Vous êtes trop compliqué et illisible pour moi. Voyez-vous la différence entre l'école formatrice et constructive que vous aviez faite et l'école destructive et abrutissante qui est la mienne? Vous à l'âge de trente ans vous élaboriez un plan de démantèlement de l'un des plus vieux systèmes de domination raciale, en l’occurrence le système colonial français, moi à trente ans, j'ai enfin lu votre livre et je l'ai juste lu, car je ne suis pas sûr d'avoir compris grand- chose. Je suis en retard d'une révolution par rapport à vous. La vôtre est faite, la mienne est à faire....et ce n'est pas sûr qu'elle soit faite.

Monsieur le Président,

Je vous demande pardon pour mon inculture.

Je ne vous connais pas et je n'ai jamais entendu parler de vous nulle part, ni à l'école, ni dans la rue, ni à la télévision. Jamais un professeur d'histoire ne m'avez parlé de votre existence ne serait-ce que furtivement et grossièrement. Les seuls noms que je connais ce sont ceux de Amirouche, Ben M'hidi, Mustapha Ben Boulaid et Si El Haous, et même eux on me les présentait dans les livres que comme morts, on dirait ils n'avaient pas d'existence à part cadavérique. Les seules bribes d’informations que j’ai sont celles sur Amirouche, elles me provenaient de ma mère et de ma grand-mère, qui me racontaient la légende d’Amirouche vivant et non pas mort.

Monsieur le Président,

Maintenant je sais qui vous êtes, mais c'est trop tard. C'est trop pour moi, car je ne suis pas ce cadre de la nation dont rêvaient mes parents, et je ne suis pas sûr de pouvoir l'être dans cette Algérie. C'est trop tard pour moi, car à part vous relire et vous relire, aller à la rencontre de votre pensée et m'en imprégner, je ne pourrais plus vous rencontrer. Même votre tombe m’est accessible, car même mort, vous faites peur.

Monsieur le Président,

J'ai envie de vous dire le fond de ma pensée, celui de mon cœur, ma vérité, mon intime conviction, ma certitude, mes doutes, mon scepticisme, mon désarroi, mon désespoir. Si vous étiez vivant, je ne connaîtrais pas Amar Saadani, l'Algérie ne serait pas prise en otage par la fratrie bouteflikienne ayant transformé le pays en propriété privée et en "Mamlaka", le pays ne serait pas spolié par un Chakib Khelil et Bouchouareb, et à la place de la grande mosquée, vous construiriez un grand Centre de recherche.

Enfin, Monsieur le Président, si vous n'étiez pas assassiné pour ne pas dire mort, à mon âge je ne serai pas un étranger en France, mais pleinement citoyen chez moi en train de servir mon pays en tant que ministre ou député ainsi le cas des citoyens français ou des pays où l’alternance au pouvoir est possible. Si vous étiez vivant, l’Algérie ne connaîtrait pas Bouteflika et ne serait pas dirigée par un homme malade, l’Algérie aurait prétendu à un président en pleine jeunesse et notre parlement ne serait pas infesté par une bande de vendeurs à la sauvette, d’ignares de tous genres, mais de femmes et des hommes dignes de vous. Oui, si vous n'aviez pas été assassiné Monsieur Boudiaf, le rêve algérien aurait été une réalité, il n'y aurait aucun algérien à l'étranger, nous auriosn tous été en train de bâtir notre pays et non pas à la recherche d'une bouchée de pain sous des cieux peu cléments.

Omar Tarmelit

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Commentaires (9) | Réagir ?

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algerie

جزاكم الله خيرا

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algerie

merci

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