Politique du logement : des chiffres et des…omissions !

Des logements sans cadre autour.
Des logements sans cadre autour.

L'année passée, alors qu'il était ministre de l'Habitat, de l'Urbanisme et de la Ville, l'actuel Premier ministre, Abdelmadjid Tebboune montait en épingle le recul des demandes de logements au cours de quinze dernières années. Il dira, à ce propos, que "le déficit en logements est passé à 350.000, contre trois millions en 1999". Si l'administration peut justifier les chiffres avancés par le moyen des programmes inscrits, des travaux réalisés, des factures payées aux entreprises et des clefs remises aux bénéficiaires, la réalité est, néanmoins, moins souriante, plus complexe.

L'on sait que, d'après l'intellectuel et poète britannique Thomas Babington Macauley, "les chiffres disent toujours ce que souhaite l'homme habile qui sait en jouer". Prise dans sa dimension purement administrative, en comptant le nombre d'appartements construits, sous toutes les formules et dispositifs instaurés par l'Etat, la question du logement se trouve ainsi désincarnée, du fait qu'elle ne semble pas prendre en compte les questions de l'urbanisme, de l'architecture, de l'aménagement du territoire, de la relation entre le logement et les bassins de l'emploi, de l'exode rural qui nourrit une grande partie de la demande de logements, de la spéculation sur l'immobilier, du renouvellement incessant des bidonvilles dans certaines régions du pays,… etc.

En présentant les choses sous le beau jour d'un trophée, les gestionnaires du secteur de l'habitat ne risquent pas de faire apparaître toutes les vérités qui se cachent derrière une politique publique budgétivore. Acculé aujourd'hui par la montée en flèche des prix des matériaux de construction, suite à la crise des recettes extérieures du pays et à la dévaluation du dinar, l'ancien ministre a été contraint de justifier le rehaussement du prix du mètre carré du logement en se lançant dans une comparaison trop approximative, disant que les prix des voitures ont aussi augmenté.

17,4 % du budget de l'Etat consacré au logement

Il est vrai que la wilaya d'Alger s'est débarrassée de quelques plaies, faites de bidonvilles abritant des milliers d'habitants vivant dans des conditions plus que précaires. Les déménagements vers les nouveaux logements, majoritairement implantés dans la fertile plaine agricole de la Mitidja (Birtouta, Chebli, Meftah,…), sont présentés sous forme de grandes kermesses bruyantes, répercutées par la télévision. Lorsqu'on se livre à de telles cérémonies, l'intérêt et les dividendes politiques ne sont jamais loin, y compris en ce mois de Ramadhan, déclaré "sacré", mais malmené par ce genre d'images de glorification des hauts responsables.

Pendant une de ces opération de relogement effectuée en mai 2016 à Alger, on s'est même permis de mai de faire assister une délégation de l'ONU afin que celle-ci prennent connaissance de "l'expérience algérienne inédite dans le domaine de l'éradication de l'habitat précaire", selon les termes de la dépêche officielle.

L'ONU a eu déjà, en 2011, à envoyer en Algérie sa rapporteuse spéciale sur le logement, Mme Raquel Rolnik. Dans son rapport de mission, elle avait mis en exergue les graves distorsions et les multiples travers qui grèvent la politique du logement en Algérie, malgré une politique volontariste et engagée de l’État, permise par l'embellie financière de la période 2005/2014. Il a été relevé, à l'occasion de la visite de la représentante de l'ONU en Algérie, que 17,4 % du budget national a été consacré au logement (toutes formules confondues) dans le cadre du plan quinquennal 2010-2014.

Un ordre social émeutier

En tenant à examiner et vérifier le principe du "droit au logement" inscrit dans la Constitution algérienne, l'envoyée spéciale onusienne avait relevé dans son rapport de mission les "situations anormales et intenables" dans le domaine du logement.

Le rapport évoque également des phénomènes indicateurs de crise, tels que le surpeuplement des logements, la spéculation sur les prix des loyers, la location de garages, l'expulsions de familles suite à des procédures judiciaires, la pérennisation des logements d’urgence (chalets), la dégradation et le dépérissement du vieux bâti, le nombre élevé de logements inoccupés (14 % selon les chiffres officiels) et d'autres distorsions et anomalies, qui vont jusqu'à la bureaucratie et la corruption dans les administrations chargées des dossiers de logements sociaux.

Le rapport soulignait clairement que "les diverses institutions qui participent au processus d’attribution de logements disposent d’une marge de discrétion qui ouvre la voie au clientélisme et à la corruption". Une telle dérive, charrie, selon le rapport de l'envoyée spéciale de l'ONU, des situations de "soupçons et de manque de confiance de la part de la population; en témoignent des émeutes qui, régulièrement, explosent suite à l’affichage des listes de personnes auxquelles sont attribuées des logements de type social locatif"'.

Croyez-vous que quelque chose ait changé depuis 2011 ? Les wilayas où sont achevées au cours de ces derniers mois des quantités de logements sociaux hésitent à afficher les listes des attributaires, de peur de susciter l'émeute. À plusieurs occasions, c'est le Premier ministre lui-même qui instruits les responsables locaux de distribuer les logements. Les listes sont alors affichées en catimini, parfois de nuit. Cette précaution ne prémunit guère les institutions contre les assauts des émeutiers dès la matinée du lendemain. La population a alors en face d'elle, non plus le maire ou le chef de daïra, mais les policiers antiémeutes, armés de matraques et de gaz lacrymogènes.

Si, par convenance diplomatique, la rapporteuse de l'ONU avait pris note de certains engagements de l'Etat, il n'en demeure pas moins qu'elle avait relevé le grand déséquilibre qu'il y a entre la production de logement, en termes de construction et de livraison, d'une part, et le "développement d’un habitat convenable" - au sens humain, domestique et écologique-, qui demeure un objectif encore lointain.

Promiscuité et cosmopolitisme dans des masses de béton

Sur ce plan, l'une des preuves irréfutables du nouvel l'habitat non réussi, est, sans conteste, la violence chronique, alimentée par une forme de "guerre des gangs", qui s'est installée dans les nouveaux quartiers de Birtouta, Meftah, de la nouvelle ville Ali Mendjeli, et là ou une espèce de "cosmopolitisme" forcé et de promiscuité, psychologiquement non admis et non socialisés, ont élu domicile. L'on n'a affaire souvent qu'à de grands cubes de béton, réunissant dans des espaces quasi désertiques (sans infrastructures culturelles ni services publics), des populations venant de plusieurs régions du pays.

Même si des rapports administratifs ont été élaborés sur le sujet, des articles d'analyse publiés sur la thématique récurrente du logement et des réunions sans fin sont tenues dans les ministères et les différentes assemblées, l’évaluation de la politique globale du logement- devant aligner les préoccupations de la mobilité sociale, de l'emploi, de la gestion rationnelle des ressources, de l'équilibre régional, du cadre de vie, de la politique de la ville, de la qualité de l'environnement et de l'épanouissement des individus et des ménages-, cette évaluation là reste à faire. Pris par le vertige de construire le maximum d'unités de logements, afin de "parer au plus pressé" et de "pacifier" le front social, le gouvernement semble ne pouvoir évaluer la politique menée pendant une quinzaine d'année dans ce domaine que pour s'auto-glorifier par un flux assommant de chiffres.

Amar Naït Messaoud

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Commentaires (6) | Réagir ?

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algerie

جزاكم الله خيرا

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fac droitsp

merci

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