Le cafouillage du projet de création de nouvelles wilayas

Le palais du gouvernement.
Le palais du gouvernement.

Lorsque dix wilayas-déléguées - prenons note de ce statut hybride et largement insuffisant pour les besoins d'une véritable décentralisation - ont été créées dans le Sud du pays en 2015, les espoirs des populations étaient que ces nouvelles entités auraient des marges de manœuvre et des prérogatives qui leur permettraient de jouer leur rôle dans le grand projet de la décentralisation des institutions et du processus de prise de décision.

Le territoire des Hauts Plateaux, lui, était promis à une nouvelle division administrative du même genre, censée se réaliser l'année passée. Cinq mois après la fin de l'échéance, on n'est pas encore édifié sur la suite réservée à ce projet. Quant à la région du Nord du pays, le gouvernement avait projeté d'y créer de nouvelles entités administratives du même genre au cours de l'année 2017.

Il semble que le cafouillage qui, d'habitude, caractérise ce genre de projets et inhibe sa dynamique (considérations politiques, tribales, de lobbying,…), soit, cette fois-ci renforcé par la crise financière qui a réduit les recettes budgétaires de l'Etat de plus de la moitié. En effet, la création de nouvelles wilayas suppose indéniablement des dépenses supplémentaire en masse salariale pour de nouveaux fonctionnaires et en infrastructures et équipements, abstraction faite des autres dépenses de fonctionnement (voitures, carburant, mobilier de bureau, consommables courants,…).

Dans l'état actuel des choses, le gouvernement n’a, officiellement, ni confirmé, ni annulé, ni gelé un tel projet, hormis la déclaration du ministre de l'Intérieur, N.Bedoui, faite la veille des élections législatives à Bousaâda, par laquelle il rappelle que la ville hôte fera partie des villes à ériger en chef-lieu de nouvelles wilayas. Dit dans un contexte de campagne électorale, un tel engagement vaut ce qu'il vaut; c'est-à-dire une promesse à prendre avec précaution, voire avec pincettes. On est tenté d’inférer que c’est, sans doute, un report qui ne dit pas son nom. Le gouvernement aurait ses raisons que la raison est censée comprendre, en ces temps des vaches maigres affectant les finances publiques. Mais, que l’on se souvienne des promesses données par le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, et par certains de ses ministres, lors des fréquents déplacements qu’ils ont effectués au cours des années 2013 et 2014 dans les wilayas et daïras d’Algérie. Aflou, Aïn Sefra, Boussaâda, Aïn Beïda, Mohammadia, Akbou, Azazga, Khemis Miliana, et d’autres villes de dimension moyenne, ont presque acquis la certitude d’être élevées au rang de chefs-lieux de wilayas déléguées et, plus tard, de wilayas de plein exercice.

Outre l’incertitude qui pèse aujourd’hui sur la poursuite de cette opération - création de nouvelles wilayas -, les populations de plusieurs nouvelles wilayas du Sud - à l’image de Bordj Badji Mokhtar, Ouled Djellal, In Salah, In Guezzam, Djanet ou El Goléa, créées en juin 2015- peinent à trouver des améliorations dans leur vie quotidienne, telles qu’elles étaient promises par le projet de création de ces nouvelles entits. Autrement dit, hormis certaines prestations de l’Etat civil, les autres services (santé, éducation, loisirs, culture, approvisionnement en eau potable, électrification,…) sont demeurés presque les mêmes, c’est-à-dire aussi médiocres et aussi insuffisants qu’auparavant.

Gestion au pifomètre

Des gestionnaires locaux ont eu à vivre dans leur chair cette impuissance à répondre aux besoins primaires de leurs concitoyens, en subissant les contrecoups d’une gestion approximative qui ne fait pas de différence entre une zone de plaine et une zone de montagne, entre un périmètre urbain et un espace rural, entre une zone désertique et désertée et une agglomération populeuse. L’on a le loisir d’assister à d’interminables péroraisons et à d’homériques disputes dans les cercles des assemblées de wilaya (APW) ou des exécutifs de wilaya pour dénicher des activités valides et rentables pour les 100 locaux commerciaux dispatchés sur chaque commune du territoire de la wilaya.

Parce que ce programme a été parachuté d’en haut, personne n’a pu s’armer de courage pour prendre la décision, par exemple, de réduire le nombre de locaux selon l’expression des besoins ou d’annuler complètement le programme dans les communes où les prédispositions de ce genre n’existent pas encore. Résultat des courses : l’attente oppressante de l’arrivée d’un éventuel candidat porteur d’un projet éligible au microcrédit. Au lieu que ce soit l’inverse : recenser les porteurs de projet à l’échelle d’une commune puis leur construire des locaux.

De nouvelles wilayas sans véritable décentralisation

Au lieu que le projet d’une nouvelle division territoriale soit le couronnement d’un processus de développement (urbanistique, économique, des services,…), il est regardé en Algérie comme une "panacée" qui réglerait, par un coup de baguette magique, tous les problèmes de la société. L’illusion est d’autant plus importante et la déception d’autant plus aigue que cette division administrative n’a -en dehors des limites physiques et de nouveaux bureaux pour le wali délégué- pratiquement aucun contenu économique, social ou institutionnel. Autrement dit, la bureaucratie, la médiocrité des prestations des services publics, la non-implication des populations dans la gestion des affaires locales, perdurent et prennent leurs quartiers à la nouvelle échelle qu’on leur a indiquée, celle d’une wilaya-déléguée.

Même sur le plan de la représentation politique, l’on ne pas pu encore intégrer les dix nouvelles wilayas déléguées dans la carte électorale, en en faisant des circonscriptions électorales de plein exercice.

Quant aux vertus de la décentralisation au sens plein du terme, qui aurait pu créer une proximité institutionnelle à même d'impliquer, dans l’esprit d’une approche participative, les populations dans la définition de leur destin, elle doit encore attendre. Ce sont toutes les wilayas qui y aspirent. Mais, les dix wilayas déléguées créées jusqu’ici viennent de prouver qu’il ne suffit pas de réduire l'étendue physique d'un territoire pour en réduire les problèmes.

À mille lieues du principe de la bonne gouvernance

L’enjeu prend un peu plus de relief dans le nouveau contexte économique et social que vit l’Algérie, caractérisé par une crise économique qui n’a rien de conjoncturel. L’Algérie a besoin, plus que jamais, de "pacifier" le front social ; d’exploiter toutes les potentialités d’investissements hors hydrocarbures, y compris les produits du terroir qui devraient être valorisés ; de remettre les jeunes au travail, en dehors des situations de rente par lesquelles les pouvoirs publics avaient, jusqu’ici, tenté d’acheter la paix sociale ; et, enfin, de créer des passerelles fertiles entre les organisations de la société civile, les comités de quartiers, les élus et l’administration locale. Cette bonne gouvernance locale est loin de pouvoir se contenter des attributs d’une wilaya-déléguée, qui sont actuellement une reproduction, à une échelle plus réduite, de la bureaucratie, de la corruption, des tensions permanentes entre les collectivités locales et les populations.

A la lumière des événements politiques et des blocages économiques ou administratifs que l’Algérie a eu à vivre depuis l’Indépendance, les autorités politiques du pays et les élites sont tenues de tirer des leçons sur les limites objectives de la concentration des pouvoirs, du schéma pyramidal de l’organisation de l’administration (logique descendante) et des apories sur lesquelles butent, à la fois, le développement économique des différentes régions du pays et la promotion de l’homme-citoyen.

Amar Naït Messaoud

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Commentaires (8) | Réagir ?

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algerie

merci

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chawki fali

Thank you very nice article

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