L’école algérienne face à la violence (II)

Les violences physique et symbolique font des ravages dans l'école.
Les violences physique et symbolique font des ravages dans l'école.

L’école algérienne dispose d’un héritage pédagogique de l’école coloniale française et d’un autre de l’école coranique. L’école française est une héritière de l’enseignement catholique (catéchisme). L’école coranique est d’obédience sunnite pour la grande partie de sa composante.

Violence dans la relation pédagogique

Le catéchisme stipule que "les parents sont les premiers responsables de l’éducation de leurs enfants" qu’ils doivent guider et corriger (2223). Il fait d’un proverbe de L’Ecclésiaste (Siracide, du nom de son auteur Jésus Ben Sira) un de ses préceptes : "Qui aime son fils lui prodigue des verges, qui corrige son fils en tirera profit." (Si 30, 1). Dans le même chapitre (30) de ce livre de l’Ancien Testament, écrit vers 200 avant J.-C., et reconnu par les catholiques comme un livre saint, on peut lire une autre recommandation pour une éducation par la violence : "Fais-lui courber l'échine pendant sa jeunesse, meurtris-lui les côtes tant qu'il est enfant, de crainte que, révolté, il ne te désobéisse et que tu n'en éprouves de la peine." (Si 30, 12). C’est l’humiliation qui est recommandée pour arriver à l’obéissance et la soumission. L’obéissance est toujours une recommandation du Vatican dans Le Catéchisme : "Les enfants ont encore à obéir aux prescriptions raisonnables de leurs éducateurs et de tous ceux auxquels les parents les ont confiés." (2217) On peut constater un glissement dans la responsabilité éducative des parents vers les éducateurs.

L’école publique française de Jules Ferry a hérité de cette conception traditionnelle de l’éducation dans la tradition catholique. Non seulement en ce qui concerne les châtiments corporels mais aussi au niveau méthodologique. Ce sont les recherches en sciences humaines et en pédagogie qui ont permis de mettre en place des processus de sortie de l’usage autorisé des châtiments corporels et d’innover d’un point de vue méthodologique.

Comme le prophète Mohamed a recommandé de frapper un enfant à partir de 10 ans s’il délaisse la prière, on considère cet âge comme une limite minimale pour les châtiments corporels dans l’éducation musulmane qui insiste aussi sur l’obéissance de l’enfant à ses parents. On peut trouver beaucoup de commentaires sur la toile pour minimiser cette pratique "éducative" en l’interprétant comme recommandation à frapper "pas très fort" ! Quelle que soit la force des coups prodigués, cela sera toujours qualifié de violence, au moins par le caractère humiliant d’une telle punition. Et obliger un enfant à prier de cette façon fait de cette prière une violence symbolique.

Le bâton du cheikh et les châtiments corporels sont liés à l’école coranique dans l’imaginaire populaire. L’enseignant est dépositaire d’une autorité, incontestée, qui lui permet d’user de la férule pour dresser les élèves coupables d’écart de conduite ou de défaut d’apprentissage. Comme dans le catéchisme, c’est la mémorisation-restitution qui représente la démarche méthodologique d’enseignement.

Le droit algérien et la violence

L’article 40 de la constitution algérienne consacre la protection de l’être humain de toute violence : "L'Etat garantit l'inviolabilité de la personne humaine. Toute forme de violence physique ou morale ou d'atteinte à la dignité est proscrite. Les traitements cruels, inhumains ou dégradants sont réprimés par la loi."

L’article 264 du code pénal est le premier qui est consacré aux "violences volontaires" dans le chapitre "Crimes et délits contre les personnes". "Quiconque, volontairement, fait des blessures ou porte des coups à autrui ou commet toute autre violence ou voie de fait, et s'il résulte de ces sortes de violence une maladie ou une incapacité totale de travail pendant plus de quinze jours est puni d'un emprisonnement d'un (1) à cinq (5) ans et d'une amende de cent mille (100.000) DA à cinq cents mille (500.000) DA.

Le coupable peut, en outre, être privé des droits mentionnés à l'article 14 de la présente loi pendant un an au moins et cinq ans au plus. Quand les violences ci-dessus exprimées ont été suivies de mutilation ou privation de l’usage d’un membre, cécité, perte d’un œil ou autres infirmités permanentes, le coupable est puni de la réclusion à temps de cinq (5) à dix (10) ans.

Si les coups portés ou les blessures faites volontairement, mais sans intention de donner la mort l’ont pourtant occasionnée, le coupable est puni de la peine de la réclusion à temps, de dix (10) à vingt (20) ans."

Cet article et les suivants dans le même chapitre du code pénal donnent une matérialisation dans la loi à la disposition constitutionnelle citée plus haut. Mais on peut constater que les violences "légères" sont exclues des violences sur la personne sanctionnées par cette loi. Cette «exclusion» est explicite dans l’article 269 qui énonce des dispositions particulières pour protéger le mineur de moins de 16 ans.

"Quiconque, volontairement, fait des blessures ou porte des coups à un mineur de seize ans ou le prive volontairement d’aliments ou de soins au point de compromettre sa santé, ou commet volontairement à son encontre toute autre violence ou voie de fait, à l’exclusion des violences légères, est puni d’un emprisonnement d’un (1) à cinq (5) ans et d’une amende de cinq cents (500) à cinq mille (5.000) DA."

Est-ce la porte entrouverte à l’usage de châtiments corporels à l’école et ailleurs ? Ce qui est proscrit par la constitution n’est pas sanctionné par la loi. Cela est aussi contradictoire avec d’autres dispositions législatives comme l’article 21 de la loi n° 08-04 du 23 janvier 2008 portant loi d'orientation sur l'éducation nationale qui interdit expressément toute violence physique ou symbolique :

"Les châtiments corporels, les sévices moraux et toutes formes de brimades sont interdits dans les établissements scolaires. Les contrevenants aux dispositions du présent article s'exposent à des sanctions administratives, sans préjudice des poursuites judiciaires.»

L’article 6 de la loi n° 15-12 du 15 juillet 2015 relative à la protection de l’enfant énonce clairement le rôle de l’Etat dans la protection de l’enfant.

"L’Etat garantit la protection de l’enfant contre toutes formes de préjudice, de négligence, de violence, de mauvais traitement, d’exploitation ou de toute atteinte physique, morale ou sexuelle. A cet effet, il prend toutes les mesures appropriées pour l’en prémunir, réunit les conditions nécessaires à son épanouissement, sa sauvegarde, la protection de sa vie et lui assure une éducation intègre et sûre dans un environnement sain et propre, et à protéger ses droits dans les situations d'urgence, de catastrophes, de guerres et de conflits armés.

L’Etat veille à ce que l’information destinée à l’enfant, par tous les moyens, ne porte pas atteinte à son équilibre physique et mental." La protection de l’Etat est ainsi conforme, en ce point, à l’article 19 de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant (CIDE). Même la définition juridique de l’enfant dans cette loi est conforme à celle de la CIDE : toute personne n’ayant pas atteint dix-huit ans entre dans cette catégorie.

La violence adultes/enfants

Malgré l’existence de cette législation, la violence exercée à l’égard des enfants n’est pas bannie de l’école algérienne. Si les médias rapportent certains faits de violence qui ont causé des dommages à des élèves, que sait-on de la violence quotidienne qui est loin d’être marginale ? Qu’est-ce qui fait que cette violence est acceptée ou tolérée par les parents ?

La plupart des enseignants qui usent de châtiments corporels à l’égard de leurs élèves ne font que reproduire ce qu’ils ont subi lorsqu’ils étaient eux-mêmes élèves. Je ne parle pas des sadiques qui sont des pervers nécessitant des soins et qui sont inaptes aux métiers de l’éducation, ainsi que des pédophiles qui sont des pervers criminels. Les parents d’élèves ont aussi fréquenté la même école et usent, dans les mêmes proportions, voire plus, que les enseignants, de châtiments corporels à l’égard de leurs enfants. Cette violence est intégrée dans les représentations : la férule de l’enseignant et celle des parents. Et dans une société où, dans de larges proportions, le licite est primordial face au légal, cette représentation est "tenace".

La violence symbolique est aussi employée à l’école avec l’usage de brimades, de propos blessants ou abaissants. Il y a des situations où les élèves sont discriminés en raison de leur sexe, handicap, religion, statut social, etc. Même si la constitution interdit la discrimination (article 32) et que la loi la sanctionne (article 295 bis 1 du code pénal), il y a encore des élèves qui en souffrent.

Cette violence s’inscrit dans un rapport de domination (symbolisé par l’estrade) qui voudrait faire de l’élève un sujet "qui courbe l’échine". Le système éducatif semble se contenter de gérer cet état : il ne se donne pas les moyens d’éradiquer ce phénomène de l’école.

Parmi les facteurs qui favorisent l’expression de cette violence, ou qui "mettent en condition" l’enseignant de l’exercer, il y a la question de la pédagogie. Les outils pédagogiques employés sont loin d’être en phase avec la vie socioculturelle des élèves : la présence la technologie à l’école est timide, et, pour le peu qui existe, les enseignants ne sont souvent pas formés pour son exploitation. Les méthodes pédagogiques employées sont en réalité archaïques (contenus et transmission) malgré le fait qu’officiellement ce soient des approches modernes qui sont préconisées : il n’y a pas eu de vraie formation des personnels d’encadrement et d’enseignement. Les contenus sont élaborés par des adultes qui ne tiennent pas compte des centres d’intérêt des élèves qui évoluent rapidement. Ce sont là quelques éléments qui montrent que ce qui est mis en place ne peut pas motiver les élèves. Les enseignants sont comptables de l’exécution des programmes, voire des manuels scolaires, devant l’administration et les inspecteurs qui constituent la police pédagogique. A cela s’ajoutent des rythmes scolaires épuisants pour les enfants. Toute cette situation met les enseignants dans un état "d’impuissance pédagogique" et les élèves dans un état "d’impuissance d’apprendre". C’est une atmosphère anxiogène et génératrice de violence. Il faut souligner que les agressions des enseignants par les élèves (ou leurs parents) augmentent ; cela était rarissime il n’y a pas longtemps.

La violence enfants/enfants

La violence entre enfants n’est pas un phénomène nouveau. C’est sans doute son degré et son expression qui ont évolué.

La violence n’est pas innée : les enfants l’apprennent comme tout autre chose. Ils apprennent cette forme d’expression, surtout, auprès des adultes ou d’autres enfants qui ont déjà appris auprès des adultes. Les espaces d’apprentissage sont la famille, la rue ou l’école. Les enfants assistent à des agressions dans l’espace public, à des violences conjugales et familiales, et aux châtiments corporels que prodiguent des enseignants à leurs élèves. Il est tout à fait normal que les enfants imitent les adultes.

Les enfants apprennent aussi la violence à la télévision ou sur internet. Le contrôle parental n’est pas toujours de mise. Les enfants ne sont souvent pas sensibilisés à la question de la violence dans les TIC.

Lorsque les enfants ne savent pas dire les choses qu’ils ressentent, comme beaucoup d’adultes, ils s’expriment par les poings ou la casse (vandalisme). L’école n’apprend pas aux enfants à s’exprimer à l’oral comme à l’écrit, ce qui rend leur communication très difficile. Il ne faut pas s’étonner de l’augmentation de l’expression par la violence et l’émeute.

La violence en milieu scolaire n’est pas une fatalité

Autant le phénomène de la violence dans l’école est complexe, autant sera sa solution. L’école étant un espace social, il n’est pas possible de l’isoler afin d’éradiquer la violence qui s’y développe. Ce n’est pas un problème technique mais un phénomène social complexe. On peut travailler à réduire son ampleur et à diminuer de son intensité.

Pour lutter contre la violence, la morale est inefficace : cela fait des décennies qu’on la prodigue sans succès. D’ailleurs, ceux qui sont chargés de la prodiguer ne sont pas crédibles : ils représentent des catégories sociales qui pratiquent la violence. Et puis, dans le meilleur des cas, cela ne peut produire qu’un refoulement. La répression ne peut constituer une solution définitive : elle ne peut que permettre de gérer un moment de crise ou provoquer un refoulement. Quelle crédibilité peut-on avoir si on use de la violence pour interdire la… violence ?

Il est connu que la pratique sportive, le jeu dramatique ou le théâtre, les activités artistiques (dessin, peinture, musique) produisent de très bons résultats sur les élèves agressifs ou présentant des troubles psychologiques.

Les approches pédagogiques qui privilégient la coopération et la solidarité ainsi qu’une disposition spatiale en cercle, carré ou rectangle permettent pour aux élèves de se connaître et de construire ensemble : cela fait reculer énormément la violence entre élèves. Des contenus et des outils motivants favorisent la mise en place de dispositifs moins stressants. Des rythmes scolaires respectueux de la personne de l’enfant le mettront dans les meilleures conditions possibles d’étude : un enfant relaxé résiste mieux à la pression liée à sa condition d’élève. Il est indispensable d’avoir l’ambition de développer les compétences en expression orale et écrite des enfants pour qu’ils puissent développer des discours pour dire et argumenter au lieu de le faire avec des gestes violents. Et pour rendre possible de telles évolution possible, il faut penser une formation de qualité des enseignants qui doivent aussi s’auto-former en améliorant leur culture générale et professionnelle pour pouvoir se libérer de la violence apprise, souvent à leur dépens, auprès de leurs aînés.

L’organisation de l’école doit aussi évoluer avec une vie scolaire plus démocratique pour apprendre à vivre ensemble. Les élèves doivent pouvoir participer, aux côtés des personnels, à l’élaboration des règlements intérieurs et la vie sociale de l’école. Cette implication développera chez eux l’esprit de responsabilité tout en leur inculquant quelques fondamentaux de la démocratie, comme le respect des différences en tous genres. Les adultes apprendront ainsi à partager le pouvoir.

Mais pour que l’éradication de la violence dans le milieu scolaire soit possible, il faudrait que cette "philosophie" soit crédible pour les enfants : il faut aussi penser à lutter contre les violences familiales et sociales qui représentent des sources "d’apprentissage" pour les enfants. Pour y prétendre, il faut penser à une politique culturelle qui élève le niveau de tout un chacun.

Pour conclure

Pour pouvoir élaborer un programme ambitieux et crédible d’éradication de la violence dans l’école, il est impératif de mettre fin au mode de gouvernance par la violence en place depuis trop longtemps. Cela implique un véritable projet démocratique pour le pays. Cela n’arrangera pas les affaires des adeptes de la culture politique autoritaire et violente. Mais on peut toujours rêver ; il arrive que des utopies deviennent des réalités.

Nacer Aït Ouali

Lire la première partie : L'école algerienne face à la violence (I)

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Commentaires (5) | Réagir ?

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chawki fali

Thank you very nice article

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gtu gtu

merci

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