Des institutions de l’art et de la culture en fusions

Mohamed Demagh. Palais de la culture Moufdi-Zakaria, Alger, 1993 (crédit photo AA et SLF)
Mohamed Demagh. Palais de la culture Moufdi-Zakaria, Alger, 1993 (crédit photo AA et SLF)

Si au sens proprement physique, le vocable fusion stipule qu’un corps ou une matière solide passe, par la fonte même, à l’état liquide, il signifie aussi la négation distinctive de plusieurs entités scindées à l’intérieur d’un moule unique. Ce terme s’accorde en l’occurrence ici au confinement de structures culturelles touchées de plein fouet par une disette pécuniaire risquant fort de compromettre les nécessaires chamboulements attendus à l’École nationale supérieure des Beaux-Arts d’Alger (ENSBA).

Au moment où une réflexion sereine pouvait tendre vers le recouvrement de sa vocation initiale, celle de susciter du transgressif chez des élèves maîtrisant différentes techniques, le principal locataire du Palais Moufdi-Zakaria (voir ou revoir à ce titre la contribution "Recadrages et décalages du ministre de la Culture Azzedine Mihoubi"), exécute les mesures de réajustements décidées dans le cadre des restrictions financières et de la seule logique économique. Le climat n’est donc pas propice à l’ouverture d’une école subsidiaire des Arts-Décoratifs ou des Arts et Métiers, voire d’une cité du design, dont les missions et objectifs n’auraient rien eu de commun avec ceux d’une école supérieure des Beaux-Arts où, battue en brèche à la suite des chocs visuels de courants contestataires et avant-gardistes, la notion de "Beau" n’est (du moins en Europe occidentale) que modérément perpétuée.

Héritage moderniste et positif de la colonisation, la peinture de chevalet s’appréhende du côté des dirigeants algériens comme l’assise-images de la Guerre de libération ou de l’emphase martyro-propagandiste. Épris d’atmosphères rococos, des chromas orientalistes ou marines pittoresques, ils adhèrent difficilement aux représentations non-figuratives du réel, à des performances anticonformistes ou subversives, préfèrent adapter leur perception et compréhension du monde à la quadrature du cercle du Dieu-Président (lire ou relire à ce sujet l’article "Une montée en singularité assujettie à la quadrature du cercle de Bouteflika"). Aussi épais que des couches de laves (Feu) se solidifiant (par refroidissement) au contact du sol (Terre), de l’atmosphère (Air) ou de la mer (Eau), son socle symbolique permet aux ordonnateurs de la stabilité (recourbée ou refermée sur elle-même) de sacraliser l’Histoire, de transcender des discours politico-mystiques nuisibles aux lectures croisées ou interactionnistes de l’être-là, de faire tourner en rond le manège des illusions, de compacter la dissemblance des idées et de soumettre en guise de solution miracle des commissions.

İnstallée le mardi 21 février 2017, présidée par un haut cadre du ministère de la Culture et composée de fonctionnaires de la tutelle, de représentants d’étudiants, de professeurs ou membres de l’administration, celle en charge de la révision du statut de fonctionnement du bâtiment (ENSBA) érigé au cœur du Parc Gattlif (désormais nommé Zyriab) se contentera d'énumérer les besoins pédagogiques, d’élaborer d’ici le 1er juin 2017 une plateforme de propositions adaptée au cycle licence, master, doctorat (LMD) mais probablement pas à des changements programmatiques ou organisationnels d’envergure. La raison ne tient pas seulement au fait que les créateurs, chercheurs et docteurs capables d’insuffler un nouvel esprit ne résident pas en Algérie, que pour les y faire venir épisodiquement ou régulièrement, il faudrait prévoir une enveloppe budgétaire conséquente ; elle ressort surtout du manque de visions et d’audaces prospectives au niveau de la gouvernance d’un pays dans lequel la chambre magmatique de la future Assemblée populaire nationale (APN) portera encore les stigmates d’une cristallisation islamo-FLN néfaste à l’émancipation éruptive des protagonistes de l’expression du sensible, l’éclosion des éthiques de singularité ou montée en objectivité du génie artistique.

Au même titre que tout ce qui relève du déni de sécularisation entre le politique et le religieux, elle enserre au cœur du modèle conservateur les fermentations et ovulations de la pensée critique à laquelle peu d’espaces promotionnels sont réservés, même au sein de l’université. Là, calqué sur la gouvernance clientéliste des wilayas (préfectures) ou Assemblées populaires communales (APC), l’activisme bureaucratique impose des habitus antinomiques à la déontologie éducative. Agissant dans les coulisses du théâtre et des plateaux de cinéma, à l’intérieur des maisons d’édition et galeries d’art régies par l’État ou des unions syndicales subordonnées au pouvoir, il impacte pareillement les écoles régionales des Beaux-Arts, à fortiori celle supérieure d’Alger où l’étudiant n’est plus à l’intersection des préoccupations didactiques puisque cette "presqu’île de modernité" sert de vase communiquant à des formateurs alléchés par les marchés et commandes qu’offre la direction.

Depuis Bachir Yellès Chaouche (premier responsable arrivé en novembre 1962), tous les gestionnaires ont, à des degrés divers, ainsi récompensé leur corps enseignant, cautionné des pratiques d’essences claniques qui gangrènent aujourd’hui la société entière et les rapports des Algériens entre eux. L’instauration d’une vraie école supérieure des Beaux-arts allégée des départements architecture-intérieure, design, arts musulmans et épaulée par quelques érudits des sciences sociales et humaines (anthropologues, sociologues, philosophes, etc…) pourrait remettre les jeunes aspirants ou impétrants au centre des arts visuels et graphiques.

Saâdi-Leray Farid, sociologue de l’art

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