Sauver les gravures rupestres de Tiout (Ain Sefra)

Des gravures rupestres de Tiout. Photo Amina C.
Des gravures rupestres de Tiout. Photo Amina C.

Les gravures rupestres de Tiout sont situées à l'entame d'un périple qui vous mènera, le long d'un vaste ensemble géographique, de Ain-Sefra jusqu'à Aflou, voire jusqu'à Djelfa, en passant par El-Bayadh, sur une distance de plus de 400 km. Si les Algériens non initiés ont tous entendu parler, à un moment de leur vie, de ce musée à ciel ouvert qu'est le Tassili des Ajjers, auquel l'auguste Malika Hachid a consacré ses plus plus années au point d'accoucher d'ouvrages de référence en matière de paléontologie, mondialement consacrés, il en va autrement des gravures objet de ce papier, communément appelées gravures du Sud Oranais, dont peu de citoyens soupçonnent l'existence.

Je suis généralement de ceux qui pensent qu'un site naturel, historique, préhistorique... dont on ne parle pas ou peu, reste un site protégé, à l'écart des affluences populaires et du tourisme de masse qui, comme chacun le sait, ne sont pas sans conséquences sur le maintien de ces sites dans leur état originel. Hélas, mille fois hélas, je dois avouer que ma vision des choses est tronquée ! Des photos prises par une amie de passage à Ain-Sefra début février, qu'elle a eu la gentillesse et l'amabilité de partager avec moi, m'ont fait prendre conscience de l'étendue des dégâts commis à l'insu du plus grand nombre d'Algériens, à l'abri des médias et avec le silence complice des visiteurs de cette région. En somme, les sites renfermant un patrimoine naturel ou historique dont personne ne parle sont en fait les plus exposés aux méfaits de l'action de l'homme. C'est tout le contraire de ce que je pensais.

De quoi s'agit-il ? En parcourant les images qui me sont parvenues de Tiout Nord, première des 69 stations à être découverte en 1847, qui composent cette vaste étendue d'un musée grandeur nature, je remarque sur les façades des dessins à l'encre rouge d'une beauté, d'une clarté et d'une précision exceptionnels. Outre des figures d'animaux, je note la présence de gravures représentant des êtres humains occupés à leurs tâches, balafrées par des flèches de cupidon traversant des cœurs aux contours incertains, un catalogue d'initiales grossièrement rajoutées par des mains ignorantes sur une magnifique site et des parois qui nous sont parvenues des fonds des âges.

Le site de Tiout est livré à toutes les agressiosn et à tous les vandalismes : aucune surveillance humaine n'est mise en place, pas plus qu'une protection physique empêchants les gens de passage d'aller qui promener sa main qui s'y frotter de près afin de poser pour la photo souvenir. C'est inouï et c'est d'une inconscience criminelle ! Il y a de ces outrages portés à notre mémoire que l'on ne peut taire, sans risquer de passer pour des lâches aux yeux de nos enfants, de nos petits enfants et des futures générations dont le jugement ne sera pas complaisant vis à vis de nos démissions collectives (elles sont jombreuses). Les voyageurs qui visitent la région de Ain-Sefra sont aussi livrés à eux-mêmes : aucun prospectus ne leur est proposé pour les guider et leur expliquer l'importance des gravures, les règles à respecter...etc. Aucune association non plus pour les accueillir et les encadrer durant leurs flâneries. Et, surtout, nulle présence visible et dissuasive d'agents administratifs ou de sécurité.

Si je sais depuis longtemps que nous n'avons pas encore réussi, plus de soixante ans après notre indépendance, à construire un Etat où les institutions travaillent de concert, dans une étroite collaboration pour faire appliquer des règles partout, les faire appliquer à tous et par tous, au profit de l'intérêt général, je n'ai jamais voulu par contre désespérer de notre société civile, de son génie et de ses forces, souvent insoupçonnées. Mais où sont donc passés ces universitaires, fers de lance de tous les peuples ? Spécialement ceux des universités d'Oran et de Tlemçen ? Où sont passées les consciences de la région qui abandonnent notre patrimoine, et à travers nous, celui de l'humanité entière, aux aléas d'une société traversée par de graves remous dont la boussole n'indique plus grand chose, une société qui erre sans but ni projet précis ? Pourquoi hormis les Européens, côté algérien, à notre connaissance, seuls Mouloud Mammeri pour le CRAPE en 1970, dont nous commémorons l'anniversaire de sa disparition la semaine prochaine, et … Malika Hachid (encore elle!), avaient daigné consacrer des travaux de recherche et publier sur ces sites du Sud-Oranais ? Pourquoi ces sites ne sont pas inscrits au patrimoine de l'UNESCO ? Pourquoi les pouvoirs publics n'ont jamais pensé à les ériger en un parc national ? Ce qui déclencherait une batterie de mesures et des moyens financiers et humains pour leur protection réelle ?

Parce que dans notre pays l'Etat n'est responsable de rien, car là où il y a besoin d'Etat, ce dernier est souvent aux abonnés absents. Parce que dans notre pays le citoyen n'est responsable de rien, ce dernier mettant ses négligences, son attentisme et son je-m'en-foutisme sur le dos de la fatalité, du mektoub et que sais-je encore, nous voilà donc livrés à l'anarchie et à l'abandon.

Peut-on gouverner, construire un pays et organiser une société avec comme seuls outils des slogans et la trique ? Peut-on se prévaloir d'une quelconque civilisation ou d'une grande religion et crier haut notre fierté commune d'appartenir à ce pays mille fois millénaire quand les termes de destin et de solidarité nationaux ne sont que des entités abstraites et des vœux pieux ? Notre petitesse d'esprit nous empêche d'évaluer à sa juste valeur ce patrimoine inestimable qui nous écrase de sa grandeur, sauvegardé, transmis et hérité de nos ancêtres depuis la nuit des temps. Serions-nous capables de faire de même et de le transmettre en l'état aux générations à venir ?

Rachid Ferradji

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Commentaires (5) | Réagir ?

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merci

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Nice post, and thanks for sharing this with us

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