L’officialisation de tamazight : un an de perdu encore

Le pouvoir a neutralisé les forces vives de la revendication amazighe, ce qui laisse le champ libre à la démagogie et la manipulation.
Le pouvoir a neutralisé les forces vives de la revendication amazighe, ce qui laisse le champ libre à la démagogie et la manipulation.

Maintenant que la poussière est retombée, que les réactions à chaud ont refroidi et que l’effet d’annonce de l’officialisation de Tamazight de janvier 2016 s’est estompé, examinons ensemble ce qui a été fait depuis un an.

Beaucoup de choses ont été dites et écrites depuis l’annonce de ladite officialisation de tamazight en Algérie, mais malheureusement rien n’a été accompli depuis. Oui, au vu de l’importance de cette question et de son ampleur, on peut aisément affirmer qu’il n’y a eu aucun progrès significatif depuis un an. Ce n’est pas avec du bricolage juridique, de l’improvisation politique et des mini-initiatives linguistiques qu’on officialise une langue, surtout après une soixantaine d’années de ravage linguistique.

Il n’y a même pas eu concrétisation des engagements les plus minimalistes, qu’on sait par ailleurs teintés de manipulations politiques, tels que la mise en place d’une académie pour tamazight ou tout simplement l’élaboration d’une loi organique qui devait concrétiser le minimum constitutionnel concédé. Qu’a-t-on fait ? On a continué à faire croire aux gens que la question de tamazight intéresse l’État et que celui-ci s’en occupe. Alors que dans la réalité, il n’y a aucun signal d’une prise en charge sérieuse. C’est comme si on se tenait au chevet d’un malade pour l’accompagner tranquillement dans son agonie.

Qu’est-ce qui a été accompli en un an ? Quelques gesticulations du genre organisation de quelques séminaires par le HCA, une annonce par la ministre de l’Éducation de quelques créations de postes d’enseignants de tamazight, pour un enseignement qui demeure facultatif et même soumis à une autorisation spéciale des parents. Comme si tamazight présenterait un danger pour les enfants. Il y a eu également l’ouverture d’un institut universitaire supplémentaire qui fonctionnera bien sûr comme ses prédécesseurs, dans l’indigence la plus totale. Pour finir l’année 2016 en beauté, on décide d’officialiser les célébrations de Yennayer.

Les partis politiques, quant à eux, semblent avoir d’autres chats à fouetter. Même les partis dits kabyles (le RCD et le FFS) ne semblent plus s’intéresser à tamazight. C’est quand même une attitude regrettable, qui risque aussi de leur coûter cher à court terme. Le MAK est en fait la seule force politique qui priorise clairement la promotion de la langue kabyle (taqbaylit) et, par voie de conséquence, tamazight.

La société est quasiment immobile devant l’assimilation rampante. Tout ce qui lui est propre est en train d’être dilué dans un océan de solutions culturelles et civilisationnelles très corrosives, et qui bénéficient de moyens financiers, médiatiques et idéologiques considérables.

La situation de la langue ou des langues amazighes est extrêmement critique. Sur le plan démographique, elle a atteint un tournant dans son histoire où le nombre de locuteurs est en régression constante. Il y a relativement de moins en moins de locuteurs amazighophones (Kabyles, Chaouis, Touareg) en raison de tendances démo-linguistiques (démographiques et linguistiques) qui placent tamazight de plus en plus loin derrière les langues arabe et française. Ceci est le résultat de la forte croissance démographique durant les années 1970 et 1980, pendant lesquelles les langues amazighes ont perdu beaucoup de terrain en ce qui a trait à leur usage effectif dans la société.

Le bassin linguistique de tamazight continue de se vider aussi en raison de l’émigration interne et externe des populations. Pour la Kabylie, en particulier, cette tendance est très lourde et va certainement s’accentuer au cours des années et décennies à venir en raison de l’absence d’investissements, de la faiblesse des infrastructures et d’une insécurité quasi permanente. En conséquence, le nombre de citoyens kabyles dont la langue principale de communication est la langue kabyle continuera à diminuer dans les années à venir. En effet, on trouve de moins en moins de citoyens qui peuvent vivre sans recourir à une autre langue que la leur, ne serait-ce que pour transiger avec les institutions publiques.

La langue kabyle se trouve de plus en plus en situation de langue seconde dans la société kabyle, comme elle l’est à l’école et l’administration depuis une soixantaine d’années. Les spécialistes des politiques linguistiques sont unanimes à dire que quand une langue n’a aucun espace dans lequel elle est la première langue, elle devient alors extrêmement fragile et est même sujette à extinction. Nous savons très bien que la majorité de la population de la Kabylie ne transige qu’accessoirement ou partiellement dans sa langue dans l’espace public. En dehors des espaces privés ou quasi privés tels que l’espace familial, les cérémonies civiles (non religieuses) ou des discussions informelles, la langue kabyle est très peu utilisée. Les langues des transactions quotidiennes avec l’environnement (les institutions publiques et privées, l’enseignement, la santé, l’information) sont dans deux autres langues qui sont l’arabe et le français. La langue kabyle est encore très présente dans la poésie et la chanson, mais elle a complètement concédé les espaces où la religion est présente (mosquée, funérailles, etc.). Et pourtant ces lieux lui appartenaient presque entièrement il y a juste deux décennies. Le recul a été extrêmement rapide.

En fait, la langue kabyle risque de devenir, malgré tout ce qui a été accompli grâce à des efforts considérables fournis par des individus (pas des institutions) intéressés à sa survie, une langue minoritaire faisant partie du patrimoine et du folklore, c’est-à-dire présente dans les livres et les musées, mais pas utilisée quotidiennement dans l’espace public. N’est-ce pas ce qui est recherché les tenants de la "nouvelle" politique linguistique qui ont succédé à ceux qui voulaient sa disparition pure et simple ?

En observant ce qui s’est passé depuis janvier 2016 par rapport à l’officialisation de tamazight, il y a lieu de croire que ce qui est recherché est la patrimoinisation et la folklorisation. Ce n’est pas avec de l’improvisation politique, du populisme et du bricolage juridique que l’on consacre un statut officiel au sens propre de l’expression.

Rattraper des siècles de déni identitaire et des décennies de ravage linguistique est un projet très sérieux qui ne doit souffrir d’aucune tergiversation ou politique linguistique approximative. Si l’on veut que les langues demeurent présentes pour longtemps sur le terrain qui est le leur aujourd’hui, il est indispensable qu’elles soient les premières langues dans ces espaces. En d’autres termes, la langue kabyle doit être la première langue officielle de la Kabylie. C’est la seule manière de la sauver.

Regardons autour de nous ce qu’ont pu réaliser des pays comme la Suisse avec ses quatre langues officielles, le Canada bilingue, l’Inde avec 22 langues officielles et bien d’autres pays tels que l’Espagne, la Belgique, l’Afrique du Sud et les pays scandinaves. Dans chacun de ces pays, une langue officielle a au moins son propre espace dans lequel elle est la première langue.

Sur un tout autre plan, les partisans de l’affaiblissement des langues amazighes vous diront qu’on doit attendre que tamazight en tant que langue soit standardisée, pour ensuite en faire une langue officielle au sens propre. C’est tout simplement de la démagogie ou de la méconnaissance des questions et enjeux linguistiques. Même les langues les plus fortes (l’anglais, l’espagnol, le français, etc.) s’affaiblissent dans des espaces donnés quand le statut de ces langues est celui de langue seconde. Regardons ce qui s’est passé avec la langue française en Afrique du Nord. Cette langue s’est affaiblie progressivement et a perdu la majorité de ses espaces de communication socio-économiques et institutionnels, parce que les pouvoirs publics avaient décidé de la faire régresser par le biais de la politique d’arabisation. Une langue se développe quand elle a un espace, une population de locuteurs qui en font bon usage et des institutions qui la protègent. Ça prend des champs de blé pour nourrir des peuples, pas quelques épis dans un pot, même si on l’arrosait tous les jours. Alors, les langues amazighes ne peuvent survivre que si elles bénéficient du statut de première langue au sein de leurs champs linguistiques respectifs.

Docteur Hocine Toulaït

Spécialiste des politiques linguistiques

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Commentaires (16) | Réagir ?

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Aghioul Aghyoul

Vous avez fait un très bon parallèle entre le français qui est presque mort en Afrique du Nord et la langue Tamazight qui se trouve dans le même état vu qu'elle n'est pas la première languge officielle sur un tel ou tel plan. C'était une bonne remarque, Merci.

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Massinissa Umerri

@N. M. :

Ce que vous dites est une realite', mais pas toute la verite'. Les empereurs et leur forces militaires, ont ete' le moteur de cette domination, tout comme ca l'a ete' en Algerie. L'administration coloniale et sa force de persuasion y sont pour beaucoup, sinon tout.

Mais, c'est futile d'analyser par hypotheses les cas etrangers, quand on a toutes les donne'es chez nous. Les mutations chez nous, ont suivit pas les sciences et le developement, quelque soit ou, mais celles (mutations) impose'es par le tenant du pouvoir, a une epoque donne'e. La preuve est que nos ailleux d'il y a quelques siecles, s'alignaient derriere les tendances francaises et non pas Americaines, bien superieures, surtout en matiere de gouvernance. D'ailleurs, les Turcs qui n'avaient de programme d'imposition de leur culture, n'ont pas cause' de deguats.

Bref, les egorgeurs prosperent en Algerie, dans tout ce qu'ils entreprennent, mais pas en Chine, ou ailleurs ou les moyens de la societe' ne sont pas mis a leur service - a commencer par l'immobilier, base de leur business.

L'obstacle principal qui se dresse devant les langues Amazighs, est l'administration et son pouvoir-militaro-policier, meme pas autorite', a imposer aux populations et les segments les plus actifs de celle-ci, l'une ou l'autre des langues etrangeres c. a. d. coloniales Arabe ou Francais. En 2017, ce n'est pas l'Arabe ou le Francais comme langues qui s'imposeraient, par leurs developement respectifs, mais l'Anglais. Et pourtant, la jonction entre Tamazight et l'Anglais est beaucoup plus naturelle qu'avec l'une ou l'autre (Arabe, Francais).

Il n'y a qu'un moyen de sortie de cette situation, avec des deguats moindres, car sinon ca sera le merdier et chaos total:

1. Les Etats nord-africains, doivent sortir du business religieux - se seculariser.

2. Le control des ecoles doit retourner aux localite's/communes. Le soucis d'egualite' se doit d'etre du point de vue budget seulement, c. a. d. par enfant.

3. Consacrer la Souverainete' Populaire et non celle de l'Etat Central, c. a. d. que la souverainete' des institutions du gouvernement central se doit d'etre relative aux pays etrangers et non aux Autorite's Locales. La souverainete' immuable est celle de la commune, qui cede un bout a la structure derive'e par association de communes, et ainsi de suite, jusqu'a un etat Federal, dont les missions sont limite's et dicte'es par une assemble'e de souverains regionaux (Etats Regionaux)...

Le probleme de Tamazight sur sa terre, est militaro-politique et rien d'autre...

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