Crises et manifestations : la main de l’étranger dites-vous ?

Abdelmalek Sellal.
Abdelmalek Sellal.

Les autorités ressortent la vieille grosse ficelle pour faire taire le malaise social et discréditer les manifestations de protestation et active ses relais médiatiques pour distiller mensonges et réponses simplistes aux vrais problèmes posés aux Algériens.

Que les choses soient claires : toute expression violente est à condamner avec la dernière énergie. Les saccages de biens publics et privés ne peuvent en aucune manière être justifiés. A contrario, le recours systématique aux forces de la répression est également à réprouver. A dénoncer.

Venons-en aux faits maintenant. Des manifestations ont eu lieu dans la wilaya de Bejaia et d’autres régions du pays, avec certes moins d’importance. A quoi a-t-on assisté ? A un lynchage médiatique en bonne et due forme. A une cabale langagière. Les autorités ont gardé d’abord le silence, puis, elles ont improvisé une échappatoire diabolique pour ne pas donner de réponse sur le fond de la question de la libre expression. Abdelmalek Sellal et son ministre de l’Intérieur ont pointé la main de l’étranger. Des médias lourds proches du pouvoir se sont employés avec un zèle exemplaire à salir les manifestants et à remettre en cause même le fondement de toute manifestation. Le comble pour la liberté d'expression !

Maudite Kabylie !

Affranchies de toute éthique et sans la moindre déontologie, des voix perfides ont accusé les jeunes manifestants de cette région d’être à la solde d’Israël. Rien que ça ! Mais l’accusation n’est pas nouvelle. Elle aussi vieille que l'indépendance de l'Algérie. Dans un discours début octobre 1963 à Alger, Ahmed Ben Bella avait accusé les valeureux militants du FFS d’être à la solde du roi Hassan II ! Il était le premier à invoquer la main de l’étranger. Quelques années plus tard, soit en l'an de grâce de 1980, ministres, mouhafedh et médias lourds ont aussi accusé les militants amazighs d’être à la solde de l’étranger. Il en est même qui ont argué que des Kabyles ont brûlé le drapeau algérien !!! Des militants berbéristes se souviennent aussi de cette mystérieuse banderole installée pendant quelques heures par des hommes de l'ombre à l'entrée de Draa Ben Khedda portant cette phrase : "Bienvenue à Tel Aviv". On ne recule devant aucune avanie pour salir les opposants !

Pendant les manifestations du sanglant printemps noir, les jeunes Kabyles ont été aussi traînés dans la boue et accusé de rouler pour l’étranger. Pourtant, leurs revendications touchaient tous les Algériens !

Ah maudite Kabylie ! Aujourd’hui accusée de trahison par des énergumènes de tout acabit, elle a pourtant payé très cher l’indépendance du pays. Ses martyrs doivent se retourner dans leurs tombes !

La liberté d’expression muselée

"L’Etat démocratique doit s’appliquer à servir le plus grand nombre ; procurer l’égalité de tous devant la loi ; faire découler la liberté des citoyens de la liberté publique. Il doit venir en aide à la faiblesse et appeler au premier rang le mérite. L’harmonieux équilibre entre l’intérêt de l’Etat et les intérêts des individus qui le composent assure l’essor politique, économique, intellectuel et artistique de la cité, en protégeant l’Etat contre l’égoïsme individuel et l’individu, grâce à la constitution, contre l’arbitraire de l’Etat", cette longue citation qui devrait s’appliquer à l’Algérie est de l’immense Périclès, un homme d’Etat athénien qui a vécu entre 494 -429 avant J-C.

Dans les textes, notre République est aussi parfaite. Mais les faits démentent les textes. Et en l’espèce, on ne juge pas un gouvernement à ses promesses, mais à ses réalisations.

Soyons clair et pragmatique, à quoi assistons-nous en Algérie ? A une remise en cause sournoise de toute liberté d’expression. Voire à un chantage au chaos, si l’on se fie à certaines assertions. Nonobstant les cris d’orfraies poussés par les porte-voix du pouvoir quelles sont les raisons de toute contestation violente ? Si les jeunes n’ont plus que la rue pour s’exprimer c’est justement parce que les autorités ont fermé tous les canaux d’expression, toutes espaces de débats ou de défoulement. Après avoir privatisé les médias publics, interdit les rassemblements, les marches, n’a-t-on pas même interdit des réunions de partis et de syndicats légaux ? N’a-t-on pas vu des syndicalistes embastillés comme de vulgaires malpropres parce qu’ils défendent les salariés ? Et voilà qu’aujourd’hui on s’effarouche de quelques pneus brûlés par des jeunes !

Les autorités crient à la manipulation. Dans un concert pathétique, elles sont reprises avec cynisme par le ban et l’arrière-ban de ses clients. Ce qu’elles feignent d’ignorer c’est qu’elles n’ont laissé plus aucun espace d’expression. Une chape de plomb couvre toute voie dissidente en Algérie. Plus rien ne respire. C’est la politique de l’étouffoir. Décidément l’horizon est plus que jamais.

La crise, ce sont les autres !

On est dans l'imposture permanente. L'enfumage ! La manipulation ! Est-ce la crise qui donne lieu à la contestation ou le contraire ? La réponse coule de source. Aussi, le premier responsable est à retrouver dans ceux qui n’ont pas su éviter la situation actuelle au pays. Et ils ne sont certainement pas parmi les manifestants.

Le premier ministre ne reconnaît que du bout des lèvres l’existence de la crise. Inflation, hausse générale des taxes, gel de projets structurants balance commerciale déficitaire… Elle est bien réelle donc cette crise et aucun économiste sérieux ne viendra dire le contraire. Là aussi, le gouvernement se défausse, il rejette la responsabilité sur la chute des prix du pétrole. La belle affaire ! Qu’a-t-il fait pour anticiper la crispation des prix ? Pourquoi a-t-il dormi sur le matelas de milliards de dollars, voire dépensé sans compter, sans penser investir dans des secteurs créateurs de richesses ? Pas grand-chose, hormis nourrir les esprits crédules d’illusions. Et enfin que fait-il cette année ? Il entend faire payer ses échecs au un peuple en augmentant à tout-va. Le peuple serait-il donc pour quelque chose dans les choix économiques faits souverainement par Abdelaziz Bouteflika et son équipe depuis l’embellie pétrolière ? Que l’on sache jamais le peuple n’a été consulté sur lesdits choix. Pourquoi doit-il payer les pots cassés maintenant que la rente pétrolière s’amenuise ? S’il y a des responsabilités à chercher dans la crise il faut les chercher parmi ceux qui ont géré la rente.

Pendant presque deux décennies, il s’est employé à radouber de menues réalisations prestigieuses, renonçant de fait à couper les branches mortes qui handicapent l’économie nationale. Au lieu d’associer les forces vives algériennes, le pouvoir a préféré acheté le silence de larges pans de la société et faire taire les oppositions. Il a préféré les esprits noirs, le saut dans l’inconnu. L’entretien de l’illusion au discours de vérité.

Nous terminons par cette réflexion d’Abdesselam Ali Rachedi, ancien ministre et ancien cadre du FFS, qui constitue une illustration parfaite des moeurs politiques des autorités : "Le pouvoir achète la paix sociale par l’octroi de revenus, directs et indirects, en contrepartie de la confiscation des libertés. Ainsi le citoyen finit par abdiquer de sa responsabilité d’être un acteur politique en devenant assisté. Cette passivité coupable est souvent entrecoupée d’accès de fièvre, lors d’épisodes éphémères de colère sous forme d’émeutes. Jusqu’à présent ces émeutes à répétitions sont restées circonscrites dans l’espace et le temps." (*)

Hamid Arab

(*) "Quelle transition démocratique pour quelle Algérie ?" Editions Franz Fanon 2015, chapitre "La prégnance du discours national-populiste, obstacle à la transition vers la démocratie" d’Abdesselam Ali-Rachedi.

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