Virer le wali, c’est facile !

Depuis  1999, Bouteflika a signifié la fin de mission à 22 walis.
Depuis 1999, Bouteflika a signifié la fin de mission à 22 walis.

Après les entraineurs des clubs de football, limogés à tour de bras, c’est aux walis de connaître la même mésaventure.

Quatre d’entre eux viennent d’être "remerciés" d’un coup, après avoir fait, malgré eux, le buzz sur les réseaux sociaux, notamment celui qui, dit-on, "aurait enfreint les règles de l’obligation de réserve» et l’autre, selon ce qui a été rapporté par la presse «pour avoir manifesté une trop grande générosité à l’égard du richissime homme d’affaires Issad Rebrab, qu’il aurait non seulement encensé, mais à qu’il aurait accordé quelques faveurs à l’insu de sa tutelle". Pour la circonstance, on a parlé de limogeage ; pourtant, on ne trouvera pas trace de ce mot dans le statut de la fonction publique. Alors, quel en est précisément, le sens ?

L’expression daterait, a-t-on pu lire, de la guerre de 14. Joffre, alors général français, pestait contre un haut commandement qu’il estimait incompétent et se demandait comme virer tout ce monde, sans motif. Le ministre de la guerre, Messiny, a alors décidé d’autoriser Joffre à prendre de telles mesures sur un simple rapport, sans motivation. Et c’est ainsi que les gradés mis en cause, ont été affectés "loin du feu", à la région militaire, basée à Limoges. Et l’expression est restée. Notons tout de même qu’ils n’ont pas été sanctionnés.

Ce qui n’est pas le cas de nos quatre walis qui viendront, bel et bien rejoindre la cohorte des 9 walis qui les ont précédés, en attendant la suite. Rappelons déjà, qu’en arrivant à El Mouradia en 1999, le président de la République, Abdelaziz Bouteflika a, d’emblée, signifié la fin de mission à 22 walis.

Près de 15 années plus tard, avait commenté en son temps, le regretté M’hand Kasmi, "le corps de ces grands commis de l’Etat est encore plus malade, gravement métastasé, en raison de reproduction élargie à l’infini d’excroissances folles de ses cellules en furie ! Plus encore, il est phagocyté, en effraction des règles non écrites des conditions requises pour l’occuper, par des petits chargés de mission patentés, dont la seule qualité est de se mettre, prestement, en ordre de bataille au premier signe du chef. Ils se transforment alors, en bûcherons et pyromanes de contre-feux, qu’ils s’empressent d’allumer à la commande, chaque fois qu’il est question de sauver leur peau et celle de leurs sponsors". (*)

Ceci étant dit, les commentaires sur les mouvements des walis sont à double ressort et personne ne se prive, en fonction de sa propre analyse, de citer tel ou tel cas d’abus, de favoritisme, même si cela peut relever, parfois, du domaine anecdotique. Pourtant, il est admis que la nomination des walis n’obéit pas à des principes fixes. De plus, il n’existe nulle part, et a fortiori, dans la fonction publique un «statut des walis», ce qui permet de dire qu’en définitive, les walis sont taillables, corvéables et limogeables.

La façon, d’ailleurs, dont ils sont désignés ou plus encore, affectés dans les wilayas, relève aussi de la plus grande opacité. Quelqu’un disait, à juste titre, que la sélection des promus reste indéchiffrable : elle participe de l’illisible et de l’invisible ! Pour couper court à toute spéculation, on met en avant le principe du "pouvoir discrétionnaire" qui échoit à l’autorité investie du pouvoir de nomination. Cette dernière n’a pas à justifier son choix. Le fait du prince, ont dit d’anciens walis.

Dans le communiqué qui est rendu public à chaque mouvement des walis, on l’aura remarqué, il n’est expliqué ni le choix ayant présidé à leur désignation, ni le motif justifiant leur mutation, encore moins la nature des griefs prévalant à la cessation de leur fonction.

Exceptionnellement et pour cette fois-ci, il a été dérogé à la règle et le communiqué a bien précisé que les désormais ex walis de Béjaïa et Skikda ont franchi les "lignes rouges" ! Le premier a été auditionné en urgence par une commission qui l’a "bombardé" de questions avant de lui asséné une «salve» qui a mis fin à sa carrière tumultueuse, et le second, qu’on disait pourtant "chater", a payé pour ce qui a été considéré comme un affront pour la famille révolutionnaire. Maintenant, tous les walis le savent : leur nomination ou leur limogeage relèvent d’une décision du pouvoir politique, c’est consubstantiel à ce métier. Car wali c’est, avant tout un métier. Il faut, par exemple, 20 à 25 ans à un sous-préfet en France pour espérer être nommé préfet.

En Algérie, il en est autrement ; même s’il est bon de "diversifier" les origines dans la nomination des walis, certains d’entre eux n’ont aucune culture du corps faute d’avoir effectué des "aller retour" entre l’administration centrale et locale. En plus, l’acclimatation se faisait plutôt chez les chefs de daïras. Après cette formation sur le tas qui durait un certain temps, le concerné était promu wali. Depuis, les nominations de personnalités venues de l’extérieur ont troublé cet ordre, notamment dans les années 1990.

Il y a aussi les énarques qui ont préempté le corps des walis dans une grande proportion. En comparaison en France, ils ne représentent que 35% du corps préfectoral. Cela ne veut pas dire pour autant que l’ENA n’a pas permis l’émergence de cadres de haute valeur, qu’on ne peut pas, dans cet étroit espace, les citer tous. Contentons-nous, pour le moins, de rendre hommage à ceux qui sont morts en service commandé, les regrettés Mohamed Belal et Mounir Sendid.

En ce moment, il n’aura échappé à personne que l’urgence d’aujourd’hui pour nos gouvernants consiste à gérer la paix sociale. Et qui mieux que des walis pour faire le job ? D’ailleurs, la première mission du wali, tant que l’institution de ce corps (préfets) née au lendemain du coup d’Etat de Napoléon du 18 brumaire n’a pas été récusée, consiste à préserver l’ordre public. Une mission régalienne de l’Etat. En définitive, virer un wali c’est presque trop facile !

Une fonction instable, pour peu que des titres de presse ou une vidéo indiscrète sur les réseaux sociaux peuvent suffire à déclencher une grosse colère à El Mouradia ou au palais du gouvernement. Et partant, démettre le wali sur le champ !

Il faut rappeler aussi que les contraintes personnelles, tout comme la pression politique ou celle des citoyens ont transformé la mission du wali. Un wali sous couvert d’anonymat, avait déploré récemment la "valse des walis" depuis la désignation d’Abdelmalek Sellal au poste de premier ministre, laissant entendre que les relations directes avec l’exécutif comptaient, désormais, au moins autant que les compétences. Pour autant, ce n’est pas une spécialité algérienne, puisqu’en France aussi, on a la main leste et même la main lourde. En 2009, par exemple, le préfet de Saint Lô a été remercié parce que la visite de Sarkozy a été chahutée, et de la Haute Corse a été viré, dans l’heure, parce que des manifestants ont empêché le premier ministre et le ministre de l’Intérieur de l’époque de tenir un meeting sur l’île ; ils avaient été contraints de le faire à l’aéroport perchés sur des chaises en plastique. Ce n’était pas glorieux. Et le préfet a été viré à partir de l’avion de retour de la délégation. Quant à Nacer Meddah, le seul préfet d’origine algérienne nommé en France, il a été débarqué par Sarkozy, sans aucune forme de procès, au motif fallacieux de sa proximité avec la gauche !

Maintenant que les projecteurs du Club des Pins se sont éteints, que vont faire les walis au sortir du conclave qui les a regroupés avec le gouvernement ? Le premier ministre leur a fixé un cap : créer de la richesse et de l’emploi ! Certains d’entre eux n’ont pas caché leurs inquiétudes en affirmant :

- On ne peut pas réussir en trois ans ce que nos prédécesseurs n’ont pas réalisé en 50 ans !

- Pour faire adhérer, massivement, la population à la démarche du gouvernement et cap fixé par le premier ministre, l’implication des élus est indispensable ; or, ces derniers, pluripartisme oblige, ne sont pas toujours en phase avec l’exécutif de wilaya, et de ce fait, l’objectif recherché devient, quasiment, impossible. A moins qu’il n’y ait une forme de réconciliation à l’approche des échéances électorales entre les différentes forces du pays ?

Sacré dilemme pour les walis ! Pour les plus anciens, c’est clair, ils vont jouer la montre en attendant la prochaine rotation qui, par devers eux, viendra compliquer davantage leur vie de famille. Ils assureront le service minimum et se contenteront de prendre la pose à côté des ministres en visite dans leur wilaya. Quant à ceux nouvellement promus, ils vont essayer de se décarcasser au mieux, apprendre à gérer tous les risques et surtout soigner leur communication, en évitant autant se faire que peu les micros baladeurs !

De nos jours, faut-il le dire, l’amour du travail bien fait, dans le respect des valeurs, de l’Etat de droit n’a pas l’air de sensibiliser à outrance. Quant aux notions d’intégrité, d’engagement, d’honnêteté, certains en méconnaissent totalement le sens !

Alors, à quel moment, dépasse-t-on les frontières de la légalité ? Celles de l’obligation de réserve ? Comment devient-on «border line» pour un wali ? Et pourquoi ? Autant de questions sans réponse, si ce n’est la formule qui nous revient à l’esprit, celle du regretté Mohamed Rachid Merazi, ce wali "4 étoiles", qui reste à méditer pour beaucoup d’entre ceux qui ont fait de la fonction leur métier : "En Algérie le wali est un homme de lumière dans ce qu’il fait d’anecdotique et un homme de l’ombre dans ce qu’il fait d’important".

Cherif Ali

Cadre supérieur en retraite.

(*) M’hand Kasmi "Retour sur le suicide du Drag de Mascara". Le Soir d’Algérie du samedi 4 mai 2013.

Plus d'articles de : Débats

Commentaires (4) | Réagir ?

avatar
tahar foli

merci pour l'info

avatar
Rabah IBN ABDELAZIZ

Dans le pays de Mickey, il suffit d'un coup de fil du minable d'el mouradia et sin di

le préfet est éjecté. Aux plaisirs des médaillés tabboune et zoukh, à force d'avoir des légions de déshonneurs, ils finiront à El Alia.

visualisation: 2 / 4