Le décès de Mohamed Tamalt marque un tournant en Algérie

Mohamed Tamalt
Mohamed Tamalt

L’annonce le 11 décembre de la mort en détention du prisonnier politique Mohamed Tamalt montre jusqu’où va l’injustice sous le gouvernement Bouteflika.

Mohamed Tamalt qui possédait la double nationalité, Algérienne et Britannique avait écrit dans le passé des textes dans le quotidien algérien El-Khabar. Il vivait au Royaume-Uni depuis 2002 et y avait créé un journal en ligne dans lequel il critiquait les autorités algériennes. C’est de retour en Algérie qu’il a été arrêté le 28 juin dernier près du domicile de ses parents et accusé d'avoir porté atteintes aux symboles de l'État et au président Abdelaziz Bouteflika. Un juge d'instruction a ordonné sa détention pour offense au Président de la République et diffamation envers tout corps constitué ou toute autre institution publique. Tous les indices publics laissent croire qu’il est mort des suites d’une grève de la faim mal gérée par les systèmes de justice et politique algériens. Ce n’est pourtant pas les occasions qui ont manqué au gouvernement pour corriger le tir. Amnesty International avait exhorté les autorités algériennes à le libérer immédiatement sans condition et de veiller à ce que sa condamnation soit annulée. Cet organisme estime que les actions en justice visant à protéger la réputation de personnalités publiques doivent relever d'une procédure civile et non pénale.

Selon la directrice du bureau d'Amnesty International en Algérie, Hassina Oussedik, il y a actuellement une augmentation des atteintes à la dignité humaine et une très grande régression des libertés fondamentales. Dans son rapport annuel sur l'État des droits de l'homme en Algérie le secrétaire national de la Ligue algérienne de défense des droits de l'Homme, Houari Kaddour, décrit aussi une atteinte aux libertés d'expression à travers l'acharnement judiciaire contre les journalistes. Il donne des exemples d’un bâillonnement de ceux qui demandent le respect des droits humains et la démocratie. Dans le classement de la liberté de la presse 2016 réalisé par Reporteur sans frontières, l'Algérie arrive d’ailleurs à la 129e place sur 180 pays en 2016.

Houari Kaddour dénonce aussi le phénomène de la corruption qui mine l'État et y aurait pris des proportions alarmantes. Il n'y aurait pas une institution qui échapperait au phénomène de la corruption. Les résultats de cette situation entraineraient une gestion anarchique du gouvernement. Cela est particulièrement visible au niveau du droit au logement et à la santé. Les droits de l'enfant et des femmes y ont régressé. Cette situation a aussi culminé dernièrement alors que la ministre de la Condition féminine algérienne osait demander aux femmes mariées de remettre leur salaire à l’État. La situation n’est pas plus reluisante au niveau du respect des travailleurs qui se butent à une politique d'ignorance et du déni de leurs droits. Près des trois quarts, des travailleurs de la fonction publique ont été pistonnés d’une manière ou de l’autre.

Le pire dans cette mort est que la cour d'Alger avait confirmé en début d’août la peine de deux ans de détention ferme et une amende de 200 000 DA prononcée contre Mohamed Tamalt. La constitution algérienne, amendée le 7 mars dernier est pourtant censée garantir le droit à la liberté d'expression en vertu de l'article 48. Mais contrairement a ce que cette loi affirme, la liberté des médias est actuellement restreinte par la censure. Même si ces infractions ne prévoient pas de peines de prison, mais seulement des amendes, le tribunal avait d’ailleurs ordonné la détention provisoire du journaliste. Le 4 juillet, le tribunal avait même rejeté sa demande de libération sous caution. D’autres prisonniers politiques et défenseurs droits de l'homme comme Kameleddine Fekhar, Hassen Bouras, Tidjani Ben Derradj et Adel Ayachi ont aussi gouté au système de justice et des dizaines d'autres sont trainés en justice. Certains sont toujours en prison. En Algérie, des poursuites pénales continuent d'être ouvertes contre les défenseurs des droits de l'homme qui expriment sur la situation de ces droits. L’État considère la protection des droits de l'homme comme une activité subversive.

Au fond de cette affaire se trouve le manque d'indépendance de la justice par rapport au pouvoir politique. Le gouvernement se permet une ingérence flagrante dans le travail de la justice. Le 18 janvier 2016, le syndicat des magistrats a même dû se défendre des critiques à l'égard de ses membres. Des affaires comme celles de la chaîne de télévision KBC, le rachat d'El Khabar par Ness Prod ou encore la condamnation du général Hocine Benhadid qui a passé 10 mois en prison sans jugement montreraient, selon plusieurs observateurs, une institution aux mains du gouvernement.

Amnesty International a demandé d’ailleurs une enquête indépendante, approfondie et transparente sur les circonstances de la mort de Mohamed Tamalt. Ce décès est un élément de poids dans le dossier des infractions aux droits de l’Homme en Algérie. Tout pays qui fait ou désire faire affaire avec le gouvernement algérien doit maintenant composer avec le fait qu’il cautionne un gouvernement qui laisse mourir en prison un opposant politique qui n’a fait que dénoncer le régime sur Internet.

Avoir laissé mourir ce journaliste pour avoir écrit sur internet un poème est un comble qui marque la véritable position politique de ce gouvernement. Le culte de la personnalité du président Abdelaziz Bouteflika obnubile tout le système judiciaire de son gouvernement. Mohamed Tamalt vient de devenir le martyr personnel du président Abdelaziz Bouteflika qui inaugurait comme si de rien n’était, le 11 décembre, une partie de la ville de Sidi Abdellah, et la nouvelle ligne ferroviaire Birtouta-Zeralda. La mort d’un prisonnier d’opinion condamné pour ses écrits sur Facebook marque un tournant dans la politique algérienne. Quand les livres d’histoire parleront de Mohamed Tamalt, ils ne pourront que constater qu’il a été une victime innocente d’un gouvernement qui pousse le dénigrement des droits de l’homme très loin au-delà de ses limites acceptables.

Michel Gourd

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Commentaires (2) | Réagir ?

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Argaaz Argaaz

Tout d'abord paix à son âme,

C'est cette même justice qui critique le mauvais traitement infligé aux Palestiniens par les Israéliens.

Je constate que l'on a fait une révolution pour rien et qui a tourné au fiasco.

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Meziane Ait Ali

Le peuple doit descendre dans la rue.... C'est très grave, il y'a mort d'homme pour avoir écrit un poème..... mais quel peuple reste-t-il en Algérie ? Ailleurs, dans beaucoup de pays c'est spontanément que le peuple se déversera par milliers dans la rue, pour condamner ce mettre, et demander le départ de Boutef.. Mais il n'y a plus de peuple, plus de courage, il n'y 'a plus de pensée, il y'a que du ghachi qui psalmodie....