Grogne sociale : les citoyens n’ont pas besoin de charité mais d’équité

Le gâchis économique et la loi de finances concentrent la colère des citoyens.
Le gâchis économique et la loi de finances concentrent la colère des citoyens.

Il est établi, au travers des siècles, que les périodes d’austérité et de vaches maigres dans les sociétés exigent un partage équitable des richesses restantes pour éviter les explosions sociales. Une telle règle s’appliquait aussi bien pour les sociétés primitives en passant par les royaumes jusqu’aux démocraties toutes récentes.

Il se trouve que le pouvoir exécutif algérien semble vouloir déroger à cette ligne, pourtant historique. La distance sociale qui le sépare du citoyen se creuse par l’incohérence de sa démarche. Il appelle les citoyens à un consensus social en faisant un effort de serrer encore plus ceinture mais de l’autre côté une minorité se permet des privilèges quelque fois outrageants. C’est en ces périodes de crise que la population devient attentive au moindre détail dans la distribution des biens et des services et le comportement des responsables à tous les niveaux de la hiérarchie.

Avec toues les affaires de corruption qui se sont défilées ces dernières années auxquelles s’ajoutent les histoires des binationaux dans les hautes fonctions de l’Etat et leur patrimoine à l’étranger sous ces différentes formes , le gouvernement poursuit sa politique sans regarder en arrière comme si tout lui est acquis d’avance : il fait adopter par sa majorité des lois impopulaires, affiche les privilèges à ceux qui l’aident comme cette histoire de prime de départ aux députés enfin une loi budgétaire 2017 pour la gestion de l’année prochaine qui risque réellement d’accentuer le distance encore plus du citoyen qui ne le comprend plus. Cette situation implique forcément un langage de sourd dans laquelle personne ne comprend personne. L’administré impuissant manifeste ses émotions et ses frustrations par des conflits silencieux en grattant le corps social lorsque l’occasion lui est donnée. L’opposition crie au scandale mais adhère au système pour, certainement prendre sa part.

La partie sociétale quant, elle est à côté de la plaque selon les propres termes d’un membre du gouvernement. C’est un leurre que de croire qu’en ignorant les grognes tout en écrasant les grogneurs est la solution qui assure une sécurité à tout le monde. Il n’y a qu’à la négociation et la transparence dans la conduite des affaires qui peuvent faire supporter n’importe quelle charge à une population habituée au sacrifice. Toute la question est là. Est-ce que réellement la consolidation budgétaire, pourtant nécessaire est équitable ?

1- La loi de finances pour 2017

Le budget en question a fait de nombreuses coupes. Dans ce domaine, le gouvernement semble décidé à faire un effort substantiel. En 2017, il annonce d’abord une réduction de 13,8% des dépenses par rapport à 2016. Au total, elles passent de 7983 milliards en 2016 à 6 883.milliards pour l’année prochaine. Dans le détail, même le budget de fonctionnement, dont les dépenses sont pourtant réputées "incompressibles", est en recul .Les dépenses au titre du budget de fonctionnement se chiffrent ainsi à 4591 milliards de dinars, selon l’APLF 2017, contre un niveau de 4807 milliards en 2016 en diminution de près de 5 %. Mais ce sont surtout les dépenses d’équipement qui font les frais de l’austérité budgétaire avec un budget d’équipement qui est en très net repli, à 2291 milliards de dinars au lieu de 3176 milliards programmés pour l’année en cours soit une diminution de près de 30 %. Outre cet effort particulièrement sensible de réduction des dépenses en 2017, il est intéressant de noter que le gouvernement mise sur un gel des dépenses pour les deux années suivantes. C’est ainsi que le niveau du budget de fonctionnement restera fixé à 4 500 milliards de dinars pour 2018 et 2019.De son côté, le budget d’équipement devrait, lui aussi, rester stable à 2 300 milliards de dinars pour ces deux années. Au total, les dépenses de l’Etat pour 2018 et 2019 devraient donc s’élever à 6 800 milliards de dinars. Un niveau très proche de celui atteint en 2017. Mais si on regarde du point de vu équité la répartition a épargné certains secteur qui restent privilégiés comme les moudjahidines, la culture et surtout la défense nationale. Comment un budget 2017 qui s’établi sur des prévisions de 4591 milliards de dinars réserve prés du ¼ soit 1118 milliards de dinars pour la défense nationale. Sommes-nous en guerre et avec qui ? L’état d’urgence n’est-il pas définitivement levé ? Apparemment et au vu du projet de loi de finance pour 2017, le gouvernement préfère augmenter la taxe sur la valeur ajoutée, qui pèse déjà lourdement sur le pouvoir d’achat des citoyens, alors qu’il n’évoque nullement de réduire les dépenses farfelues des institutions de l’Etat .Dans le chapitre consacré aux budgets alloués aux différents secteurs d’activité, il est mentionné que la Présidence de la République maintiendra le même budget de fonctionnement de 7,8 milliards de dinars contre 7,9 milliards en 2016. Plus encore, il est question de l’allocation de sommes faramineuses à des dépenses pas tout à fait indispensables. Alors que 2017 sera bien difficile pour le reste des Algériens, la Présidence prévoit l’acquisition, à la faveur du programme 2017, d’une soixantaine de véhicules pour un montant de 190 millions de dinars. La même institution lance une étude pour l’aménagement des résidences officielles, maisons d’hôtes et divers équipements pour la coquette somme de 391 millions de dinars. Le Premier ministère n’est pas en reste puisqu’il prévoit un programme de subvention de travaux d’entretien, d’équipement, d’ameublement et de décoration au profit de la résidence d’Etat du Sahel pour un montant de 1300 millions de dinars. Des travaux d’entretien et d’équipement concerneront aussi 123 villas pour un coût de 160 millions de dinars. Quelques exemples parmi tant d’autres qui montrent la légèreté avec laquelle le gouvernement puise dans la taxation des petits salaires et «oublie» de toucher aux privilèges des institutions et hauts responsables de l’Etat.

2- L'Etat se désengage de ses entreprises qui dépensent à tord et à travers

Un ancien cadre supérieur de l’entreprise publique Sonatrach, retraité, raconte qu’il a été approché par un ami et voisin pour une intervention auprès du centre médico-social du mastodonte. La personne en question avait un ennui avec ses yeux et son ophtalmologiste lui a exigé une "angiographie" d’abord chère ensuite non disponible dans la région suite à des panne sauf aux œuvres sociales de cette entreprise. Il n’y a pas eu d’intervention mais le malade a été orienté dans la bonne direction et son cas, Dieu merci a trouvé sa solution. Notre ami en retraite n’est pas malheureusement a sa première sollicitude car quand il était en poste et lors du séisme qui a touché la région de Boumerdes, un autre l’a abordé pour un chalet alors qu’il en a un qui lui a été attribué par l’APC de sa commune. La curiosité l'a poussé à se déplacer sur les lieux et là il avait tout compris : d’un côté et d’un autre d’une route communale des centaines de chalets sont entreposés. La partie basse montée par les équipes des collectivités locales et celles d’en haut appartient à l’entreprise Sonatrach pour ses cadres sinistrés. La basse ressemble à un bidonville dans un état qui laisse à désirer et l’autre clôturé, propre avec une verdure qui attire même les touristes. En somme, d’un côté le paradis et de l’autre l’enfer. Il se trouve que ce paradis étant interdit à ceux de l’enfer, la personne en question a approché ce cadre supérieur pour intervenir en saint auprès du bon dieu pour lui permettre d’aller au paradis. Notre ami s’est tout de même demandé comment avec un système de santé qui laisse à désirer, des caisses de la protection sociale en faillite et un pouvoir d’achat en dégringolade, les pouvoirs publics permettent à des entreprises sous son autorité d’étaler les privilèges au grand jour pendant que la majorité de la population souffre le martyre. C’est à cause des recrutements de copinage à Sonatrach que la grogne universitaire s’élargit de jour en jour. C’est aussi à cause de la dispersion en catimini des fonds de retraites que le secteur de la fonction public est en effervescence etc.

3- Une réponse fallacieuse et phraséologique est toute prête

Lorsque vous approchez les managers de ces entreprises et surtout leurs syndicalistes, ils vous disent qu’elles appartiennent à l’Etat certes, mais elles sont économiques et font vivre par leur fiscalité tout le rouage étatique. Cette euphorie les fait oublier que ni le management et encore plus leur syndicat ne sont comptables de leurs échecs et lorsqu’ils s’endettent, c’est le Trésor public qui les couvre. Plus grave, même à l’intérieur des ses entités, il existe des discriminations et du favoritisme que tout le monde gère très mal, d’où le départ massif des cadres compétents mais délaissés qui quittent l’entreprise pour des firmes étrangères. L’Office nationale des statistiques, dans son dernier rapport, place Sonatrach, les banques et les activités d’assurance parmi les secteurs qui paient le mieux, pourtant ce sont les moins producteurs de créativité. Près de 80% des services de la production d’une tonne de pétrole brut sont assurés par les étrangers alors que les banques et les assurances ne sont que des guichets de collecte d’argent. Donc ces hauts salaires, qui n’ont aucun lien avec le rendement individuel et collectif puisés de la rente leur permettent de s’enorgueillir de leurs œuvres sociales bien garnies et souvent très envieux par une population misérable. Si l’on croit des travailleurs de Sonatrach à titre d’exemple, ils dénoncent tout bas de peur des represailles que les logements de Val d’Hydra et de Côte Rouge ont été cédés à des cadres supérieurs et dirigeants à des prix promotionnels qui leur permettaient de les payer en contractant des emprunts que la Sonatrach remboursait elle-même sous forme de prime de logement complémentaire aux salaires des intéressés. En définitive, si tout cela est vrai puisqu’il est très difficile de vérifier une comptabilité opaque, cela voudra dire que l’entreprise leur a carrément cédé ces logements sans aucun apport personnel. Est-ce que cela relève de la gestion rentable et des dépenses rationnelles

4- Une telle situation où pourrait-elle mener de telles entreprises ?

Pour rappel, il y a près de 35 ans, l’entreprise subissait le même sort par un calcul programmé outre-mer. En effet avant 1982, Sonatrach a été gérée de telle sorte qu’elle faisait tout qui n’a rien avoir avec son métier de base. Elle avait ses propres cités de logements : Boumerdes, Blida, Oran etc. Elle disposait de sa propre société immobilière, boulangerie, dégraissage, salon de coiffure, cambuses voire même ses propres imams de telle sorte qu’on a donné l’impression "d’un Etat dans un Etat". C’est en partant de ce constat qu’on la éclaté au nom du gigantisme pour la privatiser si ce n’est plus tard l’intervention musclée du feu Benhammouda alors secrétaire général de l’UGTA auprès du président Zeroual qui l’ a verrouillé par décret. Aujourd’hui, le même scénario semble se répéter. On tente de la présenter comme un creuset de recrutement pour attirer la foudre des nombreux étudiants sur elle comme c’est le cas actuellement. On lui donne un qualificatif de niche de privilèges avec une masse salariale considérable pour la faire envier par les citoyens des autres secteurs dans le seul but de l’éclater. Qui tire les ficelles ? Qui a intérêt à sa désintégration ? Certainement pas les citoyens mais les grandes sociétés qui ancrent leurs ventouses pour se substituer à ses activités afin de sucer la rente car malheureusement il n’y a plus de patriotes comme ceux sus cités pour la défendre.

Rabah Reghis, Consultant et Economiste Pétrolier

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Commentaires (2) | Réagir ?

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adil ahmed

merci

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Le Matin d'Algérie

On lui donne un qualificatif de niche de privilèges avec une masse salariale considérable pour la faire envier par les citoyens des autres secteurs dans le seul but de l’éclater. Qui tire les ficelles ? Qui a intérêt à sa désintégration ?