Dossier. Pourquoi la construction de nos stades s’éternise ?

Stade de Baraki.
Stade de Baraki.

Tout le monde se souvient de la célèbre phrase lancée par Bouteflika il y a huit ans (*) : "Ce que mes compatriotes ignorent, c’est que l’Algérie a la capacité d’organiser "tnin ta3" coupes de monde, pas une, mais deux". Depuis, le pays n’a même pas pu organiser une seule coupe d’Algérie sur un bon terrain encore moins une coupe d’Afrique. Même les matchs de l'EN sont programmés à Blida. L’Algérie aurait pu avoir cet honneur-là, si les infrastructures sportives lancées à cet effet, avaient été achevées en 2015, (pour remplacer le Maroc). Retour sur un fiasco annoncé.

Lancés en fin 2008, les stades qui devaient abriter ces événements planétaires sont restés pour la plupart, des maquettes sous des sarcophages de plexiglass! Les quelques projets rescapés de cette vague populiste qui avait suivi l’épopée de l’Équipe nationale de 2009, peinent à se concrétiser autrement que dans les modélisations 3D de nos DJS.

Sur huit stades lancés, trois seulement ont réussi à se frayer un chemin, et à prendre racine dans le monde du réel.

Le stade de Baraki. Il devait être le symbole du renouveau sportif dans le pays. Mais il est un exemple de l’échec politique et économique du pays. À la base, ce stade d’une capacité de 60 000 places devait s’achever en 29 mois, avec un coût initial de 100 millions d’euros. Huit ans après, soit 96 mois, le stade est encore une carcasse "coliséenne". Rallonge après rallonge, il dépasse les 300 millions d’euros, et l’entreprise chinoise Construction Engineering Group (CRCEG), en charge de le réaliser, est encore là à traîner les truelles et à tourner les pouces à défaut des bétonnières.

Le stade de Tizi-Ouzou. Il aura une capacité de 50 000 places à Boukhalfa. Sa réalisation, qui devait se faire en 24 mois, est un mélange de fourberies, de bureaucratie et d’incompétences. Initialement octroyé à un groupe mixte composé de l’algérien ETRHB Haddad et l’espagnol FCC construction, pour la bagatelle somme de 340 millions d’euros, ce projet a failli sombrer dans les abysses de l’oubli. Une guerre ouverte entre les deux parties avait miné le projet, au point de résilier le contrat de la partie espagnole sacrifiée par la tutelle, non sans pertes, puisqu’elle avait déposé une plainte et eu une compensation de 3 millions d’euros en 2014.

Depuis les Turcs de MAPA Insaat ve ticaret sont venus, ils ont coulé du béton, mais n’ont pas réalisé leur promesse de finir les travaux en 12 mois (**). Le coût réel de ce changement de main n’a pas été dévoilé, mais il est fort à parier qu’il représente au moins le double de ce qu’il devait être, mais faute de preuves, on s'interdit de spéculer.

Le stade de Tizi Ouzou accuse un retard monstre.

Le cas du stade d’Oran de Douar Belgaïd (Bir El Djir). C'est une grosse énigme, et n’a d’équivalent que la mystérieuse pyramide de Khéops. Octroyée au Chinois du groupe MCC Chine, la réalisation de ce stade de 40 000 places devait se faire en 29 mois, pour la "modique" somme de 120 millions d’euros. C’est le stade qui semblait le mieux parti, mais mauvais œil, ou malchance, les travaux se sont fortement ralentis en 2014 alors que les grands travaux, et même la toiture étaient achevés. Depuis, plus rien. Ça n’avance plus. On parle d’une demande de la partie chinoise d’une rallonge qui tarde à venir. Depuis deux ans, la société chinoise a réduit ses effectifs de plus des deux tiers. Ni, les visites répétées du Wali d’Oran, ni ceux des ministres qui se sont succédé à la tête de la tutelle responsable, ne semblent pouvoir régler la situation.

L’avis de l’expert

Contacté par nos soins, un ingénieur expert en TP, et gérant de projets, très au fait des problèmes qui affectent la construction de nos stades, nous disait que "les entreprises chinoises faisaient, à travers le monde ce qu’on appelle le faux dumping. Elles soumissionnaient avec de très basses mises pour rafler les projets, puis faisaient du forcing pour obtenir toujours plus d’argent". "Mais ceux qu’on a en Algérie sont, me semble-t-il, pires que les autres. À croire que ce sont des hybrides ; des Chinois algérianisés", nous lançait-il avec humour.

Avant de poursuivre : "Les entreprises étrangères, dont les Chinois, ont compris comment tournaient les choses dans le pays. Le jeu malsain des pots-de-vin, de la corruption, l’incompétence des dirigeants, les problèmes logistiques à répétitions et l’impunité dont elles jouissent ne les poussaient plus à se surpasser ou à réaliser leurs objectifs. Figurez-vous qu’elles (les entreprises étrangères) ne pouvaient même pas trouver, à un moment donné, un sac de ciment, du sable de mer ou une main d’œuvre qualifiée ! Elles souffraient d’absence de ferrailleurs, vous rendez-vous compte de l’ampleur de la catastrophe ? On n’a pas de ferrailleurs qualifiés dans notre pays", nous lançait-il dépité.

Avant d’enchaîner : "Heureusement qu’on n’a pas eu l’organisation de la CAN de 2017. Le Gabon, notre concurrent, a déjà fini de réaliser un des deux stades lancés tambour battant à l’annonce de leur victoire, et l’autre est construit à 99 %, tout ça en moins de deux ans, et par… des Chinois pour 80 et 130 millions d’euros (pour respectivement les stades de Port-Gentil et d'Oyem)".

Karim. B, notre contact a voulu terminer sur une note positive. Il nous a raconté la belle histoire du stade de Sig (à Mascara) (20 000 places) construit par un jeune entrepreneur algérien Mézoughi, qui n’aura coûté que 7,5 millions d’euros au contribuable.

Le plus beau est que ce stade, commencé seulement en 2015 est déjà dans la phase de la pose de la toiture. Une prouesse, réalisée en partie, grâce à une gestion locale (wilaya), plutôt que par les instances centrales du MJS. Est-ce une des solutions aux nombreux problèmes de gestion de projets ?Notre interlocuteur en est convaincu.

Hebib Khalil

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