La phase ultime d’arabisation de la Kabylie par l’État algérien

IQRAA a commencé son travail d'arabisation en Kabylie.
IQRAA a commencé son travail d'arabisation en Kabylie.

Désormais, le pouvoir illégitime algérien, d’essence arabo-islamiste, et dont la gestion des affaires est confiée à une équipe oligarchique d’apparence civile, est rentré dans sa phase ultime d’arabisation et de salafisation de la Kabylie.

En effet, des initiatives sans précédent démontrent, si besoin est, de sa détermination à mener jusqu’au bout cette entreprise machiavélique de déracinement, de déstructuration et de dépersonnalisation de la Kabylie. Une entreprise autant illégale qu’immorale, au détriment de l’identité, de la culture et de la langue authentiques et légitimes de la population kabyle. En effet, avec l’implantation de l’association IQRAA le 8 septembre dernier à Tizi-Ouzou, le pouvoir pense avoir trouvé la bonne parade par un simple truchement terminologique, en substituant le mot "alphabétisation" à celui d’"arabisation". Dans une entrevue de Khelid Hocine, président de l'association IQRAA de la wilaya de Tizi-Ouzou, le 8 septembre 2013, celui-ci y exprimait déjà le souhait de voir "ouvrir le maximum de classes d'alphabétisation à travers les hameaux et douars les plus reculés de la Kabylie] en revoyant, à la baisse, le nombre de 30 à 40 apprenants, exigé actuellement pour l'ouverture d'une division pédagogique".

Par ailleurs, alors que la jeunesse est condamnée au chômage et les hôpitaux manquant de tout, il ne se passe pas un jour sans qu’on nous annonce l’inauguration des travaux de construction de nouvelles mosquées dans des petites contrées kabyles, lesquelles, pourtant, en disposent déjà. Ainsi, par une volonté politique, la Kabylie continue à être soumise aux ravages de l’arabo-islamisme, conjugaison de deux calamités aux conséquences fatales pour notre son identité, sa culture et sa langue.

IQRAA et Ooredoo

Le 8 septembre dernier, l’Association IQRAA a inauguré son centre d’"alphabétisation" à Tizi-Ouzou, avec le soutien financier d’Ooredoo, une multinationale téléphonique du Qatar. La cérémonie d’inauguration de ce centre s’est déroulée en présence du wali de Tizi-Ouzou, Brahim Mérad, de la présidente de l’association IQRAAA, et du directeur opérationnel chargé la communication de Ooredoo, ainsi que de Rabah Madjer, Lakhdar Belloumi et Noureddine Morceli, présentés comme des ambassadeurs d’Ooredoo.

Il s’agit d’une entreprise d’arabisation ciblant les femmes, car ce sont elles qui transmettent la langue aux enfants. Le statut de langue maternelle est ici respecté et il y trouve tout son sens. Officiellement, ce centre est appelé "Centre d’alphabétisation, de formation et d’insertion des femmes" (AFIF). Dans la réalité, il s’agit d’une centrale d’arabisation se proposant de donner un coup de pouce au régime algérien en vue d’achever le processus d’arabisation, de dépersonnalisation et de déstructuration de la personnalité kabyle. La langue est la vrai dépositaire de l’identité culturelle, linguistique et spirituelle d’un peuple. Si l’on veut s’aliéner celui-ci, c’est sa langue qu’il faut cibler. Couper un peuple de sa langue, c’est le couper de ses racines, de ses valeurs identitaires, culturelles et spirituelles. Lui substituer une autre langue à la place de la sienne, c’est une entreprise qui vise à remplacer son âme, une forme de colonisation la plus ultime, la colonisation permanente de l’esprit.

Dans un communiqué rendu public par IQRAA et Ooredoo, publié dans le site TSA, on y lit : "Le nouveau centre AFIF de Tizi Ouzou, doté des équipements pédagogiques et d’apprentissage nécessaires mis à disposition par Ooredoo, offrira aux femmes de la région, les connaissances pratiques à même de contribuer à leur autonomie et à l’amélioration de leur vie familiale et sociale." Ainsi, la femme kabyle va pouvoir s’émanciper rien qu’en s’arabisant, par un simple truchement terminologique, substituant le mot "alphabétisation" à celui d’"arabisation". La Kabylie se trouve choyée par le ministre de l’Intérieur, l’association IQRAA et l’opérateur qatari Ooredoo. Tizi-Ouzou est la quatrième ville à bénéficier d’un tel centre après El Khroub (Constantine), Temacine (Ouargla) et Ouled Yahia Khadrouche (Jijel), dont les centres furent inaugurés, respectivement, le 22 juin 2009, le 16 avril 2013 et le 04 novembre 2015. Qu’est-ce qui explique cette urgence d’agir pour que Tizi-Ouzou se retrouve la cinquième dans la liste prioritaire sur 48 wilayas ? Les femmes kabyles font-elles pitié au régime algérien plus que celles d’ailleurs? Lors de cette inauguration, la présidente d’IQRAA n’a pas omis de remercier les "autorités de la wilaya de Tizi-Ouzou pour leur contribution à l’aboutissement de ce nouveau projet de centre d’alphabétisation destiné aux femmes de la région."

Qui se cache derrière IQRAA ?

L’association IQRAA est créée par décision du ministère de l’Intérieur, le chef de la police. En principe, la mission de tout ministère de l’Intérieur est de veiller à la sécurité des citoyens. On se demande alors pourquoi ce ministère, qui laisse les kidnappings d’enfants et d’entrepreneurs avoir pignon sur rue en Kabylie, est mis à contribution pour arabiser la population kabyle. Les objectifs avoués de cette association IQRAA dissimulent mal les réels objectifs visés. Ainsi, à l’objectif affiché à travers sa devise "Tous ensemble contre l’analphabétisme et l’illettrisme" se cache l’objectif réel qui consiste à faire rentrer la langue arabe dans les foyers kabyles, supprimant ainsi la dernière forteresse ayant permis de résister à l’arabisation et de sauver par là même la langue kabyle qui est le socle de notre identité authentique. IQRAA c’est le ministère de l’Intérieur, chef de la police de l’État algérien. Les employés et les bénévoles de l’association IQRAA sont des sous-traitants de l’arabisation.

À travers l’association IQRAA, l’État algérien tente de rentrer dans les foyers par effraction, pour imposer la langue arabe dans le berceau de l’enfant, puisque l’arabisation par l’école, les mosquées et autres institutions se sont avérées être un échec. Profitant du néant qu’il a lui-même créé, et dont les femmes constituent les premières victimes, l’État algérien exploite le désespoir d’une frange de la population kabyle et transforme celle-ci en élément arabisant malgré elle. L’arabisation par procuration, telle est donc la dernière stratégie en date du pouvoir algérien en termes d’arabisation rusée. Est-ce une surprise de la part d’un régime dont la seule feuille de route pour la Kabylie se limite à l’arabisation et à la salafisation de la population, tandis que des projets économiques et culturels, émanant des acteurs économiques et sociaux, que la Kabylie a enfantés, sont bloqués ou délocalisés vers d’autres régions.

Ooredoo, la Qatar connection

Lors d’un dîner avec la presse algérienne le 18 février 2016, le patron d’Ooredoo Algérie a publiquement menacé les médias algériens s’attaquent à l’Algérie ou le Qatar de ne plus compter sur sa manne financière en achetant des pages de publicité dans leurs canaux et leurs journaux. "Nous ne cautionnerons en aucune façon des attaques personnelles ni envers l’Algérie ni envers le pays d’où a commencé l’aventure Ooredoo, le Qatar", leur a-t-il asséné, sous les applaudissements du ministre algérien de la Communication, Hamid Grine, présent dans la salle. Pour rappel, ce même Hamid Grine a usé de tout son pouvoir pour empêcher Issad Rebrab de racheter le journal El-Khabar, menacé par la faillite. Cette menace du patron d’Ooredoo a soulevé un tollé général au niveau de la presse algérienne au point qu’une pétition fut lancée par les journalistes algériens, intitulée :"Sommes-nous tombés si bas pour recevoir des gifles sur notre propre territoire ?". Comment qualifier le pouvoir d’Ooredoo en Algérie qui menace tout une profession de la sorte, surtout quand on connait le lourd tribut payé par celle-ci en défendant la liberté de la presse ?

Ooredoo est une entreprise de communication du Qatar, présidée par un membre de la famille royale Sheikh Abdullah Ben Mohammed Ben Saud Al Thani, lui-même à la tête de plusieurs autres entreprises et institutions financières. La compagnie Ooreedoo, fut d’abord fondée sous le nom de Qatar Telecom jusqu'en mars 2013 où elle a changé de nom pour devenir Ooredoo, qui signfie "je veux" en arabe. Sa filiale en Algérie était d’abord connue sous le nom de Nedjma depuis 2004, avant de devenir Ooredoo Algerie "je veux Algérie" en 2013. Elle est devenue le leader no.1 du marché de la téléphonie mobile en Algérie alors que son chiffre d’affaires dans ce pays, , s’élève à 252 millions de dollars américains, au 2e trimestre 2016, selon l’opérateur même, cité par un journal en ligne dans son édition du 22 août 2016.

L’engagement d’Ooredoo dans le soutien à IQRAA est-il innocent pour autant ? L’on est en droit de se poser la question quant à ses motivations quand on connaît le lien entre l’État du Qatar et les islamistes en Afrique du nord, d’autant plus que des accusations de fraude pèsent déjà sur cette compagnie. Ainsi, cette entreprise était déjà accusée récemment de transfert illégal de devises à partir de l’Algérie vers un compte bancaire d’une société appelée Algerian Start-Up Initiative (ASI), basée à San Francisco et fondée par un certain Yacine Rahmoun, qui fait depuis longtemps des affaires avec Ooredoo. Ce transfert était intervenu sous couvert d’un programme de formation de jeunes start-ups, en Algérie, appelé T-Start, qu’il finance à hauteur d’un million de dollars, selon les informations publiées par Mondeafrique. Des récompenses à hauteur de 20.000 euros sont ensuite payées à partir de l’étranger en faveur des gagnants du concours organisé par T-Start, tout en contraignant ces lauréats à céder des parts du capital de leurs start-up, sous peine d’en être privés en cas de refus. Selon le site Mondeafrique, aussi bien le transfert que cette méthode contraignante sont illégaux. Comment est-ce qu’un opérateur étranger peut se permettre de commettre de telles fraudes s’il ne bénéficie pas de complicité au haut niveau de l’administration en Algérie ? Pendant ce temps, on s’acharne sur les entrepreneurs kabyles tels que Issad Rebrab, au point de lui bloquer tous les projets et de priver le journal Al-Khabar d’un investisseur qui a fait ses preuves. Les garde-fous installés par l’État algérien en vue de barrer la route à l’épanouissement économique, culturel et politique en Kabylie sont fort nombreux, et ils ont été dénoncés par les acteurs impliqués dans de tels projets. Ainsi, Issad Rebrab ne cesse de dénoncer les entraves mis sur place par le gouvernement algérien en vue de l’empêcher d’investir en Kabylie. Le nouveau Centre culturel français à Tizi-Ouzou attend toujours son inauguration, bloquée depuis longtemps par l’État algérien, tandis qu’on avait laissé ouvrir ceux d’Alger, d’Annaba, de Constantine d’Oran, et de Tlemcen.

Ce vide économique et culturel que l’État algérien a créé en Kabylie n’est qu’un prélude nécessaire préparant le terrain à l’investissement qatari qui apportera dans sa valise une nouvelle culture arabisante et salafisante. Ce qui intéresse le Qatar ce n’est pas tant l’argent que la conquête de l’Algérie sur le plan culturel, identitaire, spirituel et linguistique. C’est dans ce cadre-là que s’inscrit la création de l’association IQRAA et l’investissement de la compagnie Ooredoo, l’instauration du Prix Ooredoo d’Alphabétisation ainsi que les différents prix sanctionnant les meilleurs lecteurs du Coran, généreusement distribués en Kabylie. L’ancien ministre algérien de la Communication, Abdelaziz Rahabi a avoué qu'"Ooredoo est […] devenu la cinquième colonne du Qatar en Algérie". Si la cinquième colonne jouit d’un tel pouvoir, que dire alors des première, deuxième, troisième et quatrième colonnes ?

En effet, l’investissement qatari en Algérie occupe une place prépondérante et concerne tous les secteurs, incluant l’industrie dont le Complexe sidérurgique de Bellara (Jijel) représente le projet le plus important (2 milliards de dollars), mais aussi l’enseignement supérieur, le tourisme, l’immobilier, la télécommunication, la pêche, l’administration, la douane, etc. Ce pouvoir économique qatari en Algérie s’intensifie avec la visite à Doha de M. Abdesselam Bouchouareb, ministre algérien de l'Industrie et des mines, les 24 et 25 mai dernier, en vue de dresser un compte-rendu à son homologue du Qatar des investissements qataris en Algérie. Remarquons au passage que pour une telle mission, un uniforme de fonctionnaire qatari sied mieux qu’un costume de ministre algérien. Lors de cette visite, Abdesselam Bouchouareb a également rencontré le ministre qatari de l'Intérieur, Cheikh Abdallah Ben Nasser Ben Khalifa Al Thani.

L’école kabyle Axxam n Tmussni fermée et les projets de Rebrab bloqués

Pendant ce temps, des projets économiques et culturels destinés à la Kabylie sont systématiquement bloqués. C’est ce même ministre algérien de l’industrie qui est allé en fonctionnaire qatari au Qatar, qui n’a pas arrêté d’entraver toutes les initiatives entrepreneuriales entamées par Issad Rebrab. Ce dernier a énuméré une dizaine de projets pour la Kabylie bloqués par l’administration algérienne. C’est aussi ce même ministre de l’industrie qui a fait pression sur l’agence de communication britannique Business Development Manager (DMA) en vue d’exclure Issad Rebrab au forum d’investissement algéro-britannique, qui s’est tenu à Alger le 22 mai dernier.

Sur le plan culturel, le régime algérien se distingue aussi dans le blocage de toutes initiatives entamées par des individus ou des associations en Kabylie. Alors que l’on a procédé à l’inauguration de l’association IQRAA à Tizi-Ouzou, qui n’est rien d’autre qu’un instrument d’arabisation, le wali de Tizi-Ouzou, représentant de l’État algérien, a procédé à la fermeture de la première école citoyenne kabyle Axxam n Tmussni à At Yahia Moussa, fondée par Ahmed Amroui, sous prétexte qu’il s’agissait d’un local commercial illicite. Axxam n Tmusni des At Yahia Moussa était destiné à un soutien scolaire fourni par des bénévoles aux enfants de la localité, doublé d’un enseignement de la langue kabyle. Suite à ces accusations, Ahmed Amroui ainsi que son épouse d’origine allemande vont subir du harcèlement continu pendant plus de quatre années sous forme d’arrestation à la frontière, d’interrogatoires musclés, d’interpellation en pleine rue et l’expulsion de madame Amroui de Kabylie sous prétexte qu’elle portait atteinte à l’ordre public ! Récemment, elle fut refoulée de l’aéroport d’Alger alors qu’elle rentrait avec son mari en Kabylie. Finalement, le wali de Tizi-Ouzou a fini par mettre sous-scellé l’école citoyenne Axxam n Tmusni en avril dernier, gâchant ainsi les économies et les efforts d’un couple soucieux d’améliorer le sort des enfants kabyles en créant une structure mieux à même de les aider à préparer leur avenir.

Privatisation et sous-traitance de l’arabisation

Ainsi, le ministère de l’Intérieur qui a créé l’association IQRAA dont la mission est d’arabiser les femmes, est aussi le chef du wali de Tizi-Ouzou qui a ordonné la fermeture de l’école citoyenne kabyle Axxam n Tmusni. Une équation difficile à résoudre quand on sait que fournir un soutien scolaire et dispenser des cours de kabyle aux enfants n’est pas moins important que dispenser des cours d’arabe classique à des femmes sans emploi. Les responsables de cette fourberie pensent-ils que nous sommes si hébétés au point de ne plus discerner entre arabisation et alphabétisation? S’il s’agit de lutter contre l’ignorance et si c’est par souci des droits des femmes et de l’égalité pourquoi n’offre-t-on pas le choix à ces candidates si elles veulent s’instruire en kabyle ou en français ? S’il n’y a point de choix et si seulement la langue arabe classique est servie, alors il s’agit bien d’arabisation et non pas alphabétisation.

Les Kabyles et la Kabylie vont-ils continuer à assister passivement et impuissamment à la mort programmée de leur identité, leur langue plusieurs fois millénaire, leur culture et leurs valeurs, ou bien vont-ils prendre leur propre destin en main afin de protéger ces attributs et de décider eux-mêmes de quel avenir bâtir pour leurs enfants ?

Karim At At Aɛmeṛ (Achab dans l’État civil)

PhD. en linguistique

Ministre de la Langue et de la Culture kabyles
Gouvernement provisoire kabyle (Anavad)

Ottawa, le 10 octobre 2016

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Commentaires (12) | Réagir ?

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gtu gtu

merci bien pour le site

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gestion

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