Mohcine Belabbas observe "la soumission de l’institution judiciaire aux barons du régime"

Mohcine Belabbas, président du RCD
Mohcine Belabbas, président du RCD

Nous reproduisons l’intervention de Mohcine Belabbas devant le conseil national du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) qu'il préside.

Mesdames, Messieurs, chers amis

Notre Conseil national, le dernier de cette année, coïncide avec la rentrée sociale.C’est toujours un moment particulier dans la vie nationale en raison, d’une part, du ralentissement de l’activité économique pendant l’été etd’autre part,des dépenses plus importantes occasionnées, entre autres, par la rentrée sociale pour les ménages.

Dans la situation de compression généralisée des recettes et avec une inflation galopante, cette contrainte supplémentaire doit nous interroger. Un autre facteur caractérisece moment dans notre pays ; en général les pouvoirs de l’opacité choisissent l’été pour annoncer des mesures antisociales. Cette année, c’est la remise en cause de la retraite après l’accomplissement des années légales de travail sans condition d’âge ou les nombreux ballon-sonde sur des mesures qui touchent le pouvoir d’achat des salariés et des sans ressources qui menace les plus précaires, c’est à dire la majorité de nos concitoyens.

Mais avant de revenir sur la situation économique et sociale ainsi que d’autres questions qui agitent la scène médiatique, je voudrais axer mon intervention sur les questions qui intéressent et interpellent en premier lieu l’instance de décision de notre parti, c'est-à-dire le conseil national.

Chers amis,

Comme le stipulent les statuts de notre Rassemblement, nous sommes à la veille de la tenue de notre congrès ordinaire. C’est un moment de bilan pour revisiterle programme de nos activités, l’impact de nos propositions et pour renouveler nos structures. Mais comme vous le savez tous, un parti ce n’est pas simplement une entité organique. C’est avant tout un corps politique qui analyse, planifie les tâches, fixe des objectifs, évalue leurs réalisations et interagit avec la société pour peser sur le cours des événements.

Nous avons des traditions démocratiques à honorer et il nous revient de mettre en place les moyens pour faire convenablement ce bilan. Nous sommes un parti de militants et chacun a le droit et le devoir d’exprimer ses points de vue dans les structures en toute démocratie. Comme je viens de le dire, nos ainés ont fondé un parti pour agir et construire une société de liberté, de progrès et de justice. Il se trouve que nous sommes aussi à la veille d’échéances électorales ; à savoir des élections législatives qui se dérouleront au printemps, suivies de consultations locales en automne 2017.

Dans une situation normale, un parti ne se pose pas la question de participer ou non à un scrutin. Il se pose la question des moyens dont il dispose pour couvrir ou non les circonscriptions électorales et bien sûr les propositions à défendre ou les alliances à contracter.

Mais nous ne sommes pas dans ce cas de figure, la preuve en est que nous avons boycotté les législatives et les locales de 2002 et les législatives de 2012 sans compter toutes les présidentielles, à commencer par les deux dernières, comme nous avons eu à participer dans d’autres circonstances.

Cependant, il ne s’agit pas de regarder dans le rétroviseur pour dire est-ce que nous avions raison ou tort du point de vue de la construction du parti et de la propagation de nos idées. D’ailleurs, chacun de nous peut avoir sa propre appréciation sur le sujet. Ce qu’il est important de toujours noter c’est de bien entendre qu’un parti démocratique ne peut et ne doit pas être otage de dogmes ou de préjugés et ne doit se positionner qu’en fonction d’analyses rationnelles et sereines qui embrassent la conjoncture avec pour seules considérations les possibilités de faire avancer notre combat et de renforcer nos instances et notre influence dans la société.

Nous avons toujours considéré que la racine des problèmes dans ce pays ce sont les fraudes électorales endémiques. Elles sont inhérentes au système politique dont elles signent l’identité. Vous savez tous que des élections régulières dans un processus transparent et démocratique ne peuvent être gagnées par le pouvoir.

La proposition du RCD de l’instauration d’une commission indépendante de gestion des élections est devenue une revendication de l’ensemble de l’opposition grâce au travail politique et même pédagogique de notre parti. Le pouvoir a même été contraint d’inscrire dans sa constitution un organe de surveillance des consultations électorales. Mais comme toujours, c’est pour immédiatement vider notre proposition de son contenu et de ses objectifs ; à savoir la garantie d’une consultation régulière qui fasse du citoyen le seul arbitre des cadres de représentation nationale.

Notre proposition d’une transition démocratique négociée est devenue, elle aussi,une revendication majeurede l’opposition. De notre point de vue, cette proposition, si elle avait été adoptée par le système, aurait permis non seulement de régler le problème de la légitimé du pouvoir - restée en suspens depuis 1962 –mais aussi de fédérer les énergies nécessaires pour amorcer un vrai développement.

Cette proposition constitue, sans nul doute, une offre opérationnelle qui aurait permis au pouvoir actuel de sortir par le haut par une voie pacifique. Je dis bien par une voie pacifique car le système en lui-même est condamné par l’Histoire et son enfermement risque de mener le pays vers des dérapages incontrôlables.

Nous venons de commémorer le 28eme anniversaire des événements d’octobre 88. Une tragédie qui a vu les soldats de l’armée algérienne tirer sur la jeunesse pour cause de déficit démocratique et d’aveuglement politique. Aucune leçon n’a été tirée de ce drame. Comme le statuquo est désormais intenable, les mutations à venir ne se présentent pas sous les meilleurs auspices.

Chers amis,

Depuis 2011, notre parti est au centre des luttes politiques qui se mènent sur la scène nationale. Nous sommes un partenaire respecté, loyal mais surtout autonome. Nous avons payé chère notre autonomie mais nous continuerons à la défendre pour des raisons éthiques et politiques. Ethiques car cette constance détermine la stabilité et la pédagogie de notre formation, politique car elle est le vecteur essentiel de la crédibilité, c’est à dire l’efficacité, de notre message. En clair, elle constitue notre première force puisqu’elle seule fonde nos décisions.

Chacun est libre de s’exprimer comme il l’entend sur la question des élections mais, de mon point de vue, l’urgence aujourd’hui est d’organiser le débat en fonction des conjonctures politiques, économiques et, même géopolitiques, pour éviter la tentation facile de déclarations théoriques sans prise avec le réel.

Les structures de base du parti ont déjà anticipé ces discussions et cela peut aider à affiner nos échanges aujourd’hui. Il nous est demandé de bien cerner la situation générale du pays, notre place dans l’échiquier national, d’évaluer les dangers potentiels de la situation régionale et de réfléchir sur les conséquences des nouvelles lois qui régissent les élections.

A ce propos, nous avons été bien inspirés de ne pas précipiter ce débat pour permettre à notre instance souveraine de trancher à la lumière d’une évolution actualisée du climat qui prévaut dans le pays.

En effet, quelle que soit notre position vis-à-vis des élections, notre devoir est d’être aux cotés de ceux qui luttent pour la préservation du pouvoir d’achat des larges couches de la population, pour une école et une université performantes, pour le respect des droits de l’homme et des libertés d’expression et de réunion, contre les injustices et pour l’égalité en droits entre tous les Algériens femmes ou hommes, du Sud ou du Nord.

Sur tous ces sujets, je pense que nos positions sont connues de tous. Nous étions les premiers à mettre en garde contre une politique de désinvestissement et nous avons organisé une marche grandiose le 03 octobre de l’année passée pour alerter sur le danger de l’annulation des projets structurants et des coupes budgétaires dans les programmes sociaux et d’équipements. Nous avons aussi soutenu avec les moyens dont nous disposons tous les citoyens victimes de l’arbitraire ou d’abus. A commencer naturellement par nos cadres injustement emprisonnés dans le Mzab.

A ce sujet j’aimerais, pour rappeler les normes d’une militance dévouée et pertinente, saluer le collectif des avocats du parti qui, de semaines en semaines, ont inlassablement suivi et assisté nos camarades mozabites de façon continue, dévouée et désintéressée.

Cela aussi c’est la culture du RCD : être loyal, disponible et concrètement solidaire. C’est notre ligne de conduite et nous devons la poursuivre avec plus d’engagements car rien n’indique que les choses vont changer de manière organisée. Au contraire, la fermeture annoncée du champ des libertés, la soumission de l’institution judiciaire aux barons du régime et les errements économiques de l’exécutif augurent d’une dégradation plus grande des conditions de vie et d’unfonctionnement des institutions encore plus aléatoire.

Alors dans des circonstances où le pire peut advenir à n’importe quel moment, il est important de bien jauger la meilleure stratégie pour, éventuellement, peser au mieux des intérêts du parti et de la nation. Sans préjuger des positions qui seront émises et défendues et de notre position définitive ici, il est de notre devoir de ne jamais perdre ces dimensions fondatrices de notre combat.

Chers amis,

Nous avons suffisamment communiqué sur les replâtrages des conjonctures qui ont prévalu depuis la baisse des rentrées financières des hydrocarbures. Comme nous l’avions annoncé, la conformité fiscale ou le recours à l’emprunt obligataire ne peuvent constituer des bouées de sauvetage dans un environnement marqué par l’illégitimité des institutions, une justice aux ordres et une monnaie soumise aux désidératas de l’exécutif, voire aux barons de l’informel eux-mêmes.

Les fuites, organisées ou non, des dispositions du projet de loi de finances 2017 permettent d’abord de meubler un temps soit peu les activités d’un gouvernement où les ministres semblent obéir à des cercles de décisions différents.

Depuis l’absolution extrajudiciaire d’un ancien ministre de l’Energie et des mines, malgré les soupçons et les accusations qui pèsent sur lui, après les parodies de procès Khalifa ou celles de l’Autoroute Est–Ouest, les ministres eux-mêmes se font balloter par les rapports de force claniques. Le ministre de l’Aménagement du territoire et du tourisme ou celui du Commerce qui ont constaté des préjudices dans leurs secteurs respectifs fuient les tribunaux malgré les appels de leur collègue de la justice à déposer plainte, lui qui, par ailleurs, s’accommode de distorsions ahurissantes sur d’autres dossiers.

L’appel du Garde des Sceaux invitant les citoyens à aller au devant des tribunaux pour dénoncer des cas de corruption signe l’étendue du naufrage institutionnel. Demander au citoyen de saisir une justice dont il est la première victime et organiser la démission des pouvoirs publics qui s’interdisent de s’autosaisir devant des atteintes avérées au patrimoine national est le comble d’un fonctionnement autistede l’Etat.

Dans ce climat délétère, les polémiques autour d’aberrations relevées dans certains manuels scolaires participent d’une stratégie qui vise à éluder le débat de fond sur l’école. Ceux qui ont mené l’éducation nationale au sinistre actuel affrontentleurs alliés d’hier dans une aventure qui a enfanté les monstres des années 90 et les candidats à tous les djihads contre l’émancipation de la société algérienne.La réforme des programmesscolaires, loin des archaïsmes idéologiques et religieux, est une urgence nationale qui doit impliquer en premier lieu le chef de l’Etat si réellement il voulait sauver les prochaines générations des périls du populisme fanatique qui ont ruiné le pays et bloqué son développement.

On n’envoie pas au front une ministre sur le dossier qui a miné l’ensemble des secteurs de la vie publique. Sur ce registre comme sur bien d’autres, nous sommes lucides. Il est de la responsabilité du RCD de s’en tenir à ses valeurs et traditions : ni surenchère ni esquive. Seule la réalité des faits nourrit notre réflexion et structure notre démarche.

En dépit de la censure, nous constatons régulièrement le respect et l’audience de notre parti dans les enceintes politiques où nous sommes impliqués. Ce capital est un héritage précieux et lourd. Nous avons pour mission de le traduire en décisions opportunes et adaptées aux exigences de séquences qui peuvent mener à de grands bouleversements. Pour nous la problématique est toujours la même : pour être fidèles à nos principes,utiles et efficaces à nos compatriotes, nous ne devons pas être surpris par les événements.

Je vous remercie

Alger, le 07 octobre 2016

Mohcine Belabbas

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Commentaires (2) | Réagir ?

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gestion

MERCI

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algerie

merci