Bachir Bouamer Vs Fernand Iveton ou la hiérarchisation des martyrs

Fernand Iveton, communiste et anticolonialiste, guillotiné le 11 février 1957 à Alger.
Fernand Iveton, communiste et anticolonialiste, guillotiné le 11 février 1957 à Alger.

On apprend avec stupéfaction que les autorités locales de la ville d'Oran viennent de rebaptiser en toute discrétion, une petite ruelle perpendiculaire à la place Mekkeri qui portait le nom de Fernand Iveton, pour lui attribuer le nom du Chahid Bachir Bouamer, jusque là inconnu au bataillon.

Que l'on donne à nos rues les noms de ceux qui ont fait la gloire de notre nation et que dans nos boulevards tonne la mémoire de nos héros est une chose très louable, travailler à sortir de l'anonymat les moins connus d'entre eux est encore plus respectable, mais pas aux dépens de révolutionnaires dont le combat est unanimement reconnu.

Déjà en 2014, on comptait près de 80 000 rues non baptisées en Algérie, c'est à dire suffisamment de rues pour immortaliser tous les Chahids et les Moudjahids de la révolution nominalement identifiés et qui n'ont jusque là, pas eu droit à leur plaque de rue, sans compter qu'il est également possible de faire illustrer ces derniers en prêtant leurs noms à des places, à des rondpoints, des édifices de toutes sortes, des monuments, des cités, des parcs, des lieux de culture, des centres sportifs, des maisons de jeunes, des stades, des piscines ... et j'en passe. Alors pourquoi piocher dans le lot de rues déjà baptisées depuis des décennies et qui plus est portent les noms de ceux et celles dont on est tenu de respecter la mémoire ?

Fernand Iveton, puisque c'est de lui qu'il est question, n'est plus à présenter et son rôle pendant la guerre d'Algérie n'est plus à démontrer non plus. Mais, peut-être est-il nécessaire de le répéter encore et encore, ici et ailleurs puisque selon certains observateurs, c'est d'ignorance de l'histoire de notre pays qu'il s'agirait dans cette affaire. Soit, répétons alors !

Né le 12 juin 1926 au Clos-Salembier à Alger, Fernand Iveton était un militant communiste français d'Algérie, un anticolonialiste, rallié au FLN. Exécuté le 11 février 1957 sous l'ordre de François Mitterrand à l'époque ministre de l'intérieur, pour avoir été l'auteur d'une tentative d'attentat, il est le seul Européen guillotiné de la guerre d'Algérie pour avoir pris fait et cause pour l'indépendance de celle-ci. Bref, un MARTYR de la révolution au même titre que Zabana, Ferradj et tant d'autres condamnés et exécutés à la guillotine pour s'être engagés en faveur de la cause algérienne.

Partant de là, Fernand Iveton vaut même, sans exagérer, un grand boulevard rien qu'a lui tout seul, pour ce qu'il a donné au prix de sa vie, pour que vive l'Algérie libérée du joug colonial. Faut il souligner qu'il a d'autant plus de mérite puisqu'il s'est dressé contre les siens pour rallier la cause des algériens ? Et même la petite ruelle qu'on a daigné lui consacrer pour immortaliser sa mémoire, on finit par la lui ôter ! Quel sacrilège ! Quelle honte et quel blasphème pour l'idéal de Fernand et de ses camarades !

On veut bien croire que les élus locaux qui ont décidé de rebaptiser cette rue, soient frappés d'ignorance mais qu'en est il du ministère des moudjahidines dont le rôle, en plus de préserver les intérêts des anciens combattants, est de veiller à l'image de la révolution et à la mémoire de celles et ceux qui l'ont faite ?

La question reste donc posée. Pourquoi célébrer un martyr aux dépens d'un autre ? Pourquoi un Bouamer aux dépens d'un Iveton ? Un Bachir aux dépens d'un Fernand ? S'agit il d'une hiérarchisation des martyrs selon leurs origines ou leurs croyances ? Sommes nous face à un cas de discrimination flagrant des pouvoirs publics cautionné par les plus hautes autorités de l'Etat ?
Jusqu'à quand continuerons nous à mépriser nos anciens et à être dans le déni et la falsification de notre histoire ? Allons nous enfin réagir à cette infamie ou alors nous taire et risquer de voir un jour très proche, la place Audin changer de nom pour en porter un autre qui sonnerait un peu plus local ?

Jadis, lorsqu'il nous restait encore un peu d'honneur, on aimait à dire que "les martyrs doivent se retourner dans leurs tombes" maintenant on préfère l'expression "heureux (sont) les martyrs qui n'ont rien vu" pour nous consoler, nous donner la bonne conscience et nous débiner royalement de notre devoir de mémoire et de respect envers eux. Mais, suffit il de ne plus être pour ne rien voir ? Il est permis d'en douter !

Que nos héros reposent en paix, dussent-ils s'appeler Fernand ou Ramdane, Maurice ou Mustapha, Francis ou Mourad, Henri ou Laarbi, l'anonyme Ginette ou l'illustre Hassiba.

Samira Khelifa

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Commentaires (10) | Réagir ?

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fateh yagoubi

merci bien

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fateh yagoubi

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