Réunion de l’OPEP : le gel de la production n’est pas suffisant

Le gel de la production pétrolière à Alger est peu probable
Le gel de la production pétrolière à Alger est peu probable

Le temps où les réunions des membres de l’OPEP faisaient retenir leur souffle aux grands raffineurs, aux automobilistes, argentiers et industriels occidentaux est révolu.

Les années 1970 et début 1980, le moindre froncement de sourcils de son secrétaire général pouvait déclencher la foudre des marchés pétroliers. Aujourd'hui, les réunions de Vienne – où siège ce club rassemblant quatorze pays, de la très conservatrice Arabie saoudite au très révolutionnaire Venezuela en passant par la République islamique d'Iran sans oublier l’Algérie, ont perdu de leur fièvre d'antan. Pourquoi ? De nombreux analystes pensent que les ministres qui la composent n’ont pas de charisme comme l’étaient dans le temps Zaki Yamani, Belaid Abdeslalem etc. Cet effacement n'est certainement pas dû comme l’analysent certains experts à la seule poussée des producteurs hors OPEP – comme les Etats-Unis et la Russie voire même le Mexique qui occupent aujourd'hui les premières places mondiales dans l'offre d'hydrocarbures. Car avec 40 % de parts de marché (contre 55 % en 1973), l'OPEP conserve son mot à dire. C'est en son sein qu'il faut trouver les raisons du renoncement à ce qui fut l'arme du pétrole. Tout d'abord depuis la révolution iranienne de 1979, une cassure profonde sépare les deux rives du Golfe arabo-persique, et ses effets se font sentir jusque dans les couloirs feutrés du siège viennois de l'OPEP. Le basculement de l'Irak dans l'orbite de Téhéran après la chute de Saddam Hussein en 2003 l'a accentuée, au grand dam des membres du Conseil de coopération du Golfe (hors Oman). Mais c'est au cœur de la péninsule Arabique – à Riyad plus précisément – que se trouve la clef de cette évolution. Le cartel de naguère a disparu parce que l'Arabie saoudite, premier exportateur mondial avec près de 10 millions de barils par jour, a choisi d'endosser les habits austères mais rassurants du régulateur et du producteur d'appoint (swing producer). Et non de faire du pétrole une arme. Aujourd'hui, le royaume est seul capable de soutenir l'offre lorsque le pétrole iranien est mis au ban ou que les frictions post-révolutionnaires libyennes paralysent la production. Comment le marché pétrolier a perçu la réunion informelle de l’OPEP à Alger ? Que faut-il attendre de cette réunion ? Pourquoi cette déviation médiatique des objectifs du 15e forum de l’énergie ?

1- Cette offensive médiatique et corporatiste va dévier le forum de ses objectifs

Le Forum international de l’Energie est un événement biennal qui constitue un espace informel d’échanges et de concertation entre producteurs et consommateurs de l’énergie. Ce dialogue a été initié en 1991 par la tenue d’une première réunion ministérielle à Paris, mais n’a été effectivement structuré qu’en 2002 lors de la réunion de Kyoto sous forme de Forum avec un secrétariat dont le siège est à Ryad en Arabie Saoudite. Une charte de l’International Energie Forum(IEF) a été adoptée à Cancun au Mexique et définit les organes du forum : la réunion ministérielle (organe suprême), le conseil exécutif et le secrétariat.

L’un des produits-phares du forum est le JODI (Joint Organisation Data Initiative) qui est une base de données à laquelle collaborent six organisations internationales et qui est alimentée par les pays membres. Normalement, il s’agit dans ce type d’organisation de traiter les questions d’ordre stratégiques dans le calme et la sérénité pour considérer la problématique de l’énergie dans son ensemble dans le prolongement des décisions prises dans la COP21.L’Algérie en particulier devra ouvrer en tant organisatrice pour sceller des accords solides et de longue portées stratégique pour préparer la diversification de son économie et sortir de la dépendance des hydrocarbures qui entrave sa démarche. Au lieu de cela, le gouvernement a fait de cette rencontre un rempart médiatique pour adoucir la rentée sociale qui s’annonçait chaude. Les chaines de télévision et de radio nationales ramènent des experts qui disent ce que veut entendre le pouvoir en place. Certains prédisent qu’un gel décidé par l’OPEP pourrait faire remonter les prix du baril à 60 dollars comme si ce niveau est maintenant convenable alors qu’il n’y a pas si longtemps on parle d’un baril à moins de 120 dollars est catastrophique pour boucler le budget de l’Etat. On oublie sciemment aussi que l’informalité de cette réunion est justement de ne sortir avec aucune décision et le marché a déjà perçu cet aspect puisque le baril oscille autour des cents de dollars. On avance malheureusement des réserves de gaz de l’ordre de 22 trillons de m3 alors que celles conventionnelles ne dépassent pas les 4,5 trillons de m3. Y aurait-il une intention délibérée de replonger cette rentrée sociale déjà assez perturbée dans le débat d’exploiter ou non le gaz de schiste auquel le président de la république a mis fin ?

2- Les hors OPEP soufflent le chaud et le froid

S’il y aura un gel de la production et qu’il soit effectivement suivi d’effet, seuls les deux gros producteurs qui détiennent prés de 35% des parts de marché dans le monde s’entendent. Il s’agit de la Russie avec 13% et l’Arabie Saoudite avec prés de 18% des parts de marché si l’on compte ses alliés de la Coopération Economique du Golfe CEG. Or, ces deux pays n’arrêtent pas de se contredire, le ministre de l’énergie russe trouve que la stabilité est nécessaire mais un prix oscillant entre 40 et 50 dollars et suffisant et donc pour le moment il n’y a pas lieu de se priver des recettes de l’augmention de leur production. Le royaume saoudien ne peut se permettre de s’allier avec la Russie pour mettre en péril la stratégie américaine de faire plier Poutine et qui l’a obligé de sacrifier des centaines d’investisseurs et de producteurs de gaz de schiste Combien même l’Iran a annoncé, par le biais de son ministre du Pétrole, qu’il soutiendrait toute décision des pays producteurs visant à stabiliser les prix, d’abord le marché est resté insensible à ces déclarations d’intention et ce pays a compris qu’il n’y aura aucune décision. Mais, part cette déclaration, il justifie sa position pour gagner la sympathie des autres membres de l’OPEP notamment l’Algérie et le Venezuela qui n’arrêtent pas de le tarabuster. Il faut signaler que les Russes n’ont pas oublié la situation de 1998. Une erreur d’appréciation de l’ensemble des pays membres de l’OPEP qui avaient décidé d’augmenter la production au moment où la crise se profilait en Asie. Ils avaient tiré une balle dans le pied et les prix du baril avaient fortement chuté. L’OPEP n’a pu trouver son salut qu’avec une réduction de la production des Saoudiens. Aujourd’hui, la situation est totalement différente. La Russie non plus n’a jamais fait beaucoup d’efforts à chaque fois qu’il y a eu des pressions à la baisse sur les prix et qu’il s’est agit de réduire la production de pétrole. Les appels de l’OPEP à partager le fardeau ont rarement eu d’écho. Comme d’autres pays non-OPEP d’ailleurs, elle aime par contre jouer les "passagers clandestins" en laissant l’organisation réduire la production et faire le travail pour déclencher une remontée des cours. Pour au final, gagner sur les deux tableaux en profitant d’une remontée des prix et gagner en volume faute d’avoir réduit sa production. La Russie continue ses manœuvres d’approche en évoquant la possibilité de se joindre aux efforts mais cela n’a pas suffi. Beaucoup mettent en doute la réalité des promesses russes. Par la passé, Rosneft, le géant pétrolier russe, a certes annoncé une baisse unilatérale de sa production de 25.000 barils par jour. Mais il en produit plus 4,2 millions par jour, ce qui fait une réduction d’a peine 0,6%.. Ce n’est pas en mettant cela sur la table que la Russie pourrait espérer convaincre l’Arabie Saoudite sous pression américaine de ne pas réduire sa production. Maintenant, est-ce que la chute continue des cours, passés en dessous des 50 dollars le baril, va convaincre les pays non-Opep, dont la Russie et la Norvège, d’agir et de proposer à l’OPEP une baisse conjointe de la production, c’est une question difficile pour 2017. Mais pour l’instant, il y a beaucoup de méfiance au sein de l’organisation vis-à-vis de la Russie.

3- La stabilité du prix du baril est entre les mains des Américains

Tout le monde et ces experts qui défilent dans les médias lourds en sont convaincus que les facteurs géopolitiques ont beaucoup plus d’influence que ceux économiques. S’ils prétendent aujourd’hui le contraire, c’est uniquement par complaisance. La réalité des chiffres est édifiante. L’OPEP, qui produit environ un tiers du brut mondial, a pompé quelque 32,3 millions de barils par jour (mbj) au premier trimestre 2016, tandis que la production saoudienne a atteint à elle seule 10,13 mbj de janvier à avril (+3,5 % sur un an). Dans un cycle normal, lorsque le prix du baril augmente, les investissements en amont augmentent et traineront avec eux l’offre qui équilibrera le marché. La situation d’aujourd’hui est inquiétante parce qu’elle décourage les capitaux par sa chronicité. Selon l’Agence internationale de l’Énergie, les investissements dans l’exploration-production devraient chuter pour la deuxième année consécutive en 2016 : après un recul de 24 % l’an passé, ils devraient à nouveau diminuer de 17 % cette année, ce qui laisse plusieurs analystes penser que le marché pourrait même être confronté à un déficit d’offre dès les années à venir C’est justement sur cette thèse que les membres de l’OPEP s’appuient pour soutenir que ce soit au sein de l’OPEP ou non, et les consommateurs sont convaincus qu’un prix juste est nécessaire pour tout le monde afin d’obtenir un retour sur investissement raisonnable et investir dans l’industrie. Ce qui est logique mais des considérations géopolitiques en veulent autrement.

Les Etats-Unis ont prévalu leur stratégie politique en supportant ses effets secondaires pour la simple raison que sa situation n’est guère rassurante. Il est pratiquement certain que les producteurs américains sont aux abois. Il y a eu beaucoup de faillites et les dernières nouvelles montrent que le nombre d'appareils de forage a été divisé par 3. On est passé de 1900 appareils a près de 500 appareils. De plus, la production américaine contrairement à ce que dit la presse, a chuté. La courbe de production américaine, après avoir atteint le niveau record de 9,61 millions de barils jour en juin, a finalement commencé à baisser Cependant, les Etats-Unis ont commencé à augmenter leur niveau de stock au-delà de sa valeur moyenne dès le mois de janvier 2015. Les stocks américains sont passés de 380 millions à 490 millions de barils. Plus de 25% d'augmentation, soit 100 millions de barils sur environ 100 jours ouvrables. Les pays industrialisés qui ont des capacités de stockage ont fait pareil avec un pétrole bradé. Un pays comme la France a gagné 25 milliards de dollars du fait de la chute des prix. L'arrivée des gaz de schiste et des pétroles de schiste a fait long feu. Le secteur du schiste est maintenant financièrement sous stress-tests. Cela fonctionnait bien dans un environnement caractérisé par des prix du pétrole brut relativement élevés et une politique monétaire ultra-accommodante. Ce n'est plus le cas avec les nouvelles décisions de la FED.

Les faillites s'envolent dans le secteur pétrolier américain. Au moins 67 compagnies pétrolières et gazières américaines ont fait faillite en 2015, selon le cabinet de conseil Gavin/Solmonese. Cela représente une hausse de 379% par rapport à l'année précédente où le cours du pétrole était nettement plus élevé. Même Chesapeake Energy (CHK), l'une des entreprises les plus connues lors de l'essor du schiste, a été contrainte de démentir les rumeurs de faillite alors que son action chutait lourdement. L'augmentation spectaculaire des faillites correspond à une baisse du cours du pétrole qui est passé de 110 dollars le baril à la mi-2014 à 45 dollars environ aujourd'hui. Cette hausse des dépôts de bilan est liée également à la baisse du prix du gaz naturel qui est à son plus bas niveau depuis près de 14 ans. Lorsque le cours du pétrole se situait dans une zone comprise entre 90 et 100 dollars le baril et que le boom du pétrole de schiste décollait, les entreprises s'endettaient massivement pour financer les forages coûteux. Mais la forte production de pétrole aux États-Unis a créé une surabondance phénoménale de l'offre ce qui a engendré un effondrement des cours du pétrole.

En mars dernier, Quicksilver Resources basé à Worth Fort s'était effondrée sous le poids de plus de 2 milliards de dollars en dette contractée pour financer ses forages dans le Barnett Shale situé dans le nord du Texas, dans le bassin Bend Arch-Fort Worth. Il est clair que cette démarche confirmée par la réunion des G20 début septembre, réconforte l’alliance occidentale contre le comportement de Poutine dans son intention de renouer avec la guerre froide mais elle entraine avec elle de nombreux pays dont les recettes pétrolières demeurent la ressource pour leur développement économique comme l’Algérie, le Venezuela, le Nigeria pour ne citer que ceux là. Les pays du Golfe ont eux une assise financière qui les mettent en dehors de toute difficulté sans compter la garantie de leurs alliés américains.

4- L’Algérie perpétue la démarche rentière de son économie

Jusqu’à quand l’Algérie continuera à lier son sort à celui du prix du baril ? Elle éternue à chaque fois qu’il baisse de quelques cents. Devra-t-elle continuer à mobiliser toute sa diplomatie pour tenter de convaincre ses alliés de l’OPEP dont la plupart poursuivent des visées politiques qui n’ont rien à voir avec les objectifs de la corporation ? De quel gel parle-t-on ? Les deux principaux producteurs de la planète qui sont la Russie et le Royaume de l’Arabie Saoudite pompent actuellement à leur pleine capacité. L’Iran, l’Irak et la Libye ne peuvent pas étant donné leur situation particulière de se permettre de ne pas inonder le marché à chaque fois qu’ils réparent leur module. Le signal envoyé au marché par l’Agence Internationale de l’Energie EIA dans son dernier rapport est clair et semble avoir été reçu 5 sur 5 par les consommateurs puisque les prix du baril n’ont fait que fluctuer autour de quelques cents de dollar. Cette agence qui relève du département américain de l’énergie prédit une augmentation de l’offre de l’Organisation des Pays exportateurs de pétrole (OPEP) en 2017, tout en tablant sur un prix du Brent à 43 dollars le baril pour 2016 et à 52 dollars en 2017, avant de se redresser davantage pour atteindre, selon elle, 58 dollars durant le dernier trimestre de l’année prochaine. Elle écarte avec assurance toute velléité de changement de la stratégie actuelle de l’OPEP et un geste quelconque vers la baisse de production de ses quatorze membres du moins sur le court terme. L’Agence étaye son approche par retracer l’historique des hausses de l’offre depuis 2014 qui atteigne parfois prés d’un million de baril par jour et devrait se poursuivre jusqu’au 2017. L’essentiel de cet excédent vient de l’Iran et des extractions en Irak et en Arabie Saoudite. Pourtant, si l’on se réfère au statut de la corporation des pays exportateurs de pétrole, pour stabiliser et arriver à un prix convenable pour les deux parties, les quatorze membres doivent mettre tous la main dans la poche pour éponger prés de 1,6 millions de barils qui font actuellement la différence offre/demande. Ils perdront en volume qui sera stocké mais gagneront dans les prix qui peuvent atteindre facilement 80 dollars le baril. Au lieu de s’attaquer à cette vraie question qui mesure son poids réel sur le marché, l’OPEP bricole avec ce concept de gel que personne ne respecte d’abord, ensuite élude sciemment le surplus actuel sur le marché estimé si l’on compte les producteurs hors OPEP à plus de deux millions de barils par jour.

5- Conclusion

Le fait que le président de la république veuille s’impliquer personnellement pour revoir le contenu de la loi de finances pour l’année 2017 afin d’éliminer les mesures qui ne plairont pas aux citoyens, est la preuve par 9 que le gouvernement ne veut pas se diriger vers des reformes audacieuses sous prétexte d’une accalmie sociale. Tant que les transferts sociaux estimés à plus de 16 milliards de dollars ne sont pas ciblés et ne profitent pas seulement à la couche démunie, l’argent de la corruption et l’évasion fiscale qui peuvent atteindre jusqu’à 30 milliards de dollars, enfin l’imposition des grosses fortunes ne sont pas inscrits dans l’agenda de l’executif, tout le monde trouve son compte dans un ordre établi qui perpétuera à jamais l’économie de la rente pétrolière jusqu’à son épuisement.

Rabah Reghis, Consultant et Economiste Pétrolier

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Commentaires (1) | Réagir ?

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ryan gormaz

Et oui monsieur l'expert, l'Opep ne détiens plus qu'à peine 35% du marché mondial, alors quoi ca crève les yeux qu'ils gèlent ou pas la décision leur échappe depuis longtemps pour influer sur les coûts des énergies. Bouteflika sa bonne fée ou sorcière l'a lâchée, khlass, la descente est imparable, enfin il a le droit de rêvasser.

Lourde sera la chute, 2017 c'est demain il verra ce qu'il n'a jamais vu notre cher Président.

La cigale qui chante et la fourmi qui amasse, je ne vois que la première dans le pouvoir de Bouteflika, chantons et dansons quelques mois ou semaines, fantasmons tous bande d’escrocs ignares, , pourvu que vos fortunes volées et ailleurs de par leur monde arriveront à vous protéger, pas si sur que cela puisse apparaître.

Alger on se réunit entre Opep et non Opep la bonne blague, ils sont foutus les gars de Bouteflika.