Les boussoles qui guident certains intellectuels algériens…

"Noureddine Boukrouh se cache derrière des abstractions pour ne pas aborder la culture féodale".
"Noureddine Boukrouh se cache derrière des abstractions pour ne pas aborder la culture féodale".

Il est des intellectuels qui se laissent guider par l’air du temps. Nombre d’entre eux suivent le chemin d’une bizarre boussole et s’installent dans le confort des idées "mainstream" (*).

Hors de la route qu’on a tracée pour eux, ils se sentent perdus. Car ils n’ont pas envie de revenir dans le périmètre social d’origine devenu trop étroit alors qu’un nouvel horizon s’offre à eux. Ils ne sont ni les premiers ni les derniers à renier d’où ils viennent quand un statut social "chèrement acquis" leur ouvre les portes de la réussite. Ils font le chemin inverse de certains aristocrates du "Rouge et le Noir" de Stendhal ou bien ceux du "Guépard" de Giuseppe Tornasi admirablement mis en scène par Visconti. Les personnages de ces romans étouffant dans leur milieu social avec ses valeurs anachroniques s’ouvrent aux idées révolutionnaires de leur époque. Cette petite introduction me permet d’aborder les comportements de certains intellectuels vivant ou subissant le malaise généralisé et quotidien de notre société prise entre les pesanteurs de ses héritages et la diversité et complexité de ce qu’on appelle pompeusement la modernité…

Ce malaise s’est reflété dans les furieuses réactions contre certains intellectuels et artistes qui ont été pris sous le feu roulant de la critique suite à leur prise de position sur des problèmes politiques délicats ou bien des faits sensibles de société. Dans la relation artistes/critiques, deux droits, deux légitimités s’affrontent. D’un côté le droit à tout artiste ou intellectuel de créer, de dire ou écrire ce que bon lui semble. En face le droit du lecteur de critiquer le travail de ces créateurs une fois que celui-ci entre dans le domaine public. La création artistique échappe en général à l’invective quand elle voyage dans la fiction et n’introduit pas des contre-vérités historiques grossières et quand elle n’étale pas sans vergogne la haine et le mépris contre une race, une ethnie ou une religion.

Dans le cas de l’Algérie ce n’est pas l’artiste ou l’écrivain qui a étalé sa haine et son mépris mais plutôt des "critiques" connus pour "leur statut" de "sommités" de l’ignorance. Je pense à Kateb Yacine à qui un sinistre "imam" sorti on ne sait d’où, a voulu empêcher son enterrement dans sa terre natale, cette terre qu’il a rendue éternelle par un roman sublime Nedjma. Ce sinistre imam en quittant l’Algérie où il a sévi a laissé en héritage de petits esprits qui veulent reconstituer les tribunaux de l’inquisition du moyen-âge européen. Je pense à cet appel au meurtre de Kamel Daoud. C’est dire que l’intelligence et la culture chez nous reste une sorte de "maladie" pour les adeptes de la glaciation des esprits. Cette glaciation, on la retrouve dans la phrase "anta tahab taf-ham", une preuve éloquente à la fois de la peur et du mépris de l’intelligence. Pour ces pêcheurs en trouble, toute chose qui concoure à faire fondre cette glaciation n’a pas droit à la libre expression, notion dangereuse pour leur univers mental.

Ainsi donc, ces derniers temps notre maigre paysage culturel a été secoué par quelques évènements liés non pas directement à des œuvres littéraires mais à l’intrusion de leurs auteurs sur le terrain miné de l’actualité "chaude". Comme cela ne concerne pas leurs romans, je me sens le droit de critiquer leurs prises de positions publiques sur des questions qui nous touchent tous en tant qu’Algériens. Le premier n’a pas fait preuve de vigilance où il mettait les pieds. Le deuxième a fait preuve au contraire d’outrance, de contre-vérités et d’ignorance à la fois historique et philosophique.

Le premier c’est Kamel Daoud dont on connaît le style et la pertinence de ses critiques dans un grand quotidien algérien. Il tapait sur tout ce qui bouge, un jour le pouvoir, un autre jour l’islamisme et régulièrement les tares et autres incongrualités de la société algérienne. Personne ne l’a embêté même si ici et là le lecteur pouvait tiquer sur une généralisation abusive dans certains cas ou bien sur quelque imprécision sur des sujets compliqués. Le roman qui lui a valu d’être nommé au prix Goncourt a eu de nombreuses félicitations en Algérie mais a été aussi l’objet de flèches empoisonnées tirées abondamment. Mais c’est son intrusion dans un certain journalisme, dans un certain journal, dans un certain contexte et dans un certain pays qui a mis le feu aux poudres. Les attaques dont il a fait l’objet ont été d’une violence qu’il a dû se résoudre à dire adieu au journalisme pour se consacrer à la littérature. Pourquoi a-t-il bénéficié d’une certaine protection en littérature et jeté en pâture sur le terrain explosif de l’actualité. La réponse est dans cette succession du mot "certain" collé aux circonstances et aux médias qui l’ont "hébergé". Et oui les mots qui ont une histoire ne supportent pas qu’on les balade d’un endroit à un autre et par tous les temps. Oui il y a un temps protecteur de la littérature et un temps ouvert à tous les dangers guettant le journalisme.

Le second écrivain, Boualem Sansal fit une entrée remarquée avec son roman "Le Serment des Barbares" et un essai "Poste restante Alger". Les deux œuvres eurent un certain écho car dans son pays l’Algérie, on a trop attendu la concrétisation des espoirs de l’indépendance, espoirs évaporés qui finalement ont grossi les rangs de tant de rêves décapités. Avec les romans suivants, en dépit de l’intérêt déclinant pour sa création, Boualem Sansal échappa à la critique acerbe et à l’invective. La déferlante de la violence et de la haine prit sa source quand l’écrivain enjamba la barrière protectrice de la littérature pour s’aventurer et prendre des photos à l’ombre du mur des lamentations à Jérusalem, sans même jeter un coup d’œil au véritable mur d’apartheid à quelques encablures de l’endroit. Pas de visite et de mot chaleureux et solidaires en direction de tout un peuple prisonnier dans sa propre demeure.

Cette virée en revanche, dans un Etat d’où furent chassés la moitié de ce peuple fut agrémentée de déclarations fleuries de références religieuses justifiant la présence sur cette terre d’un Etat au nom d’une promesse biblique. Que répondre à ça en plein 21e siècle quand on connaît l’histoire des guerres de religions d’hier et quand on voit des zombies d’aujourd’hui, au nom de la religion, délirer et prêts à précipiter l’humanité dans une tragédie sans nom.

Mais la violence à venir allait atteindre son paroxysme quand Sansal s’attaqua à la lutte de la libération de son pays. Il faut dire qu’il fit une comparaison ignoble entre une guerre sur le sol national et une ‘’cause’’ téléguidée de l’extérieur par des gens qui massacrent leur propre peuple. Il aggrava son cas en faisant preuve d’ignorance qui l’empêchait de comprendre qu’un peuple dominé emploie les armes à sa portée pour manifester son existence. Ce n’est pas moi qui le dit, c’est Jean-Paul Sartre qui l’affirme, lui le philosophe qui préfaça les ‘’Damnés de la terre’’ de Frantz Fanon.

De ces deux exemples, force est de constater que ces deux écrivains qui ont commencé de jouir d’une certaine renommée se sont embarqués dans des aventures périlleuses, périlleuses pour les raisons décrites plus haut. Ces entrailles de leur société, ces écrivains ont pu les disséquer dans leur œuvre littéraire où la musique du style, la richesse des mots mais aussi le temps qui rythme la littérature leur ont permis d’exposer leur vision et philosophique et poétique. Tout ça est possible en art car on est aux antipodes du temps de la presse qui pressée de vendre et de plaire ne s’encombre pas des nuances et n’a de compte à rendre à personne sinon à ceux qui tiennent les cordons de la Bourse.

Je veux finir cet article par une autre boussole qui fait perdre le sens de l’orientation quand les auteurs se perdent dans la forêt des concepts réduits à leur plus simple expression.

Mon attention a été attirée par les articles de Boukrouh dans ‘’le soir d’Algérie’’. L’auteur de l’article ‘’une fausse nation’’ m’a rappelé la formule ‘’une nation en formation’’ de Maurice Thorez secrétaire général du parti communiste français. Par cette formule, il ‘’invitait’’ les Algériens à patienter pour devenir une ‘’vraie’’ nation avec son prolétariat et sa bourgeoise pour mener le combat politique et faire les bonnes alliances politiques. Passons vite car ce n’est pas le sujet. Amicalement j’attire l’attention de Boukrouh qu’il faut faire attention à l’utilisation de formule maladroite qui poursuive leur auteur pour ‘’l’éternité’’. Voici la définition de la nation par Boukrouh dans l’article du 8 juin 2016 :

"Une nation est la combinaison harmonieuse entre un peuple et l’organe (étatique) qu’il se donne pour gérer dans la meilleure transparence et le plus large consensus possible les affaires de la collectivité : éducation, justice, économie, santé publique, circulation, défense contre les menaces extérieures".

Je ne vais pas proposer ‘’ma’ définition. Il me suffit de signaler que le peuple algérien vit sur un même territoire et a combattu indistinctement au nord et au sud, à l’est et l’ouest et s’est reconnu dans un organe politique durant sa lutte de libération. Mais aujourd’hui tout le monde peut constater que le peuple tout entier n’est pas en harmonie entre lui et l’organe (étatique) de Boukrouh.

Non ! L’harmonie n’existe que dans les contes d’enfants ou dans le paradis fantasmé par les adultes. Une nation nait et s’enracine sur un même territoire sous la protection de son histoire et en faisant barrage de son corps en cas d’agression. Elle offre son corps pas forcément en harmonie avec l’Etat car ce dernier préfère parfois s’agenouiller devant l’ennemi (Pétain).

L’harmonie, ce mot qui désigne une esthétique fade des arts médiocres ne se retrouve nullement dans les sociétés plutôt travaillées par les volcans des luttes sociales. Même dans les grandes et riches nations avec des Etats solides, on assiste non à la douce harmonie mais on est horrifié par le spectacle offert par un police qui canardent les citoyens‘’ parce que Noirs. En France l’assassinat impuni de Français ‘’basanés’’ n’est pas un signe d’harmonie quand on voit les banlieues brûlées à la suite de la rage qui suffoque les habitants. Alors oublions les illusions de l’harmonie et du consensus qui n’existe que dans les cirques où le clown sort un pigeon de son chapeau sous le regard émerveillé des gamins.

Non ! l’Etat ne fonctionne pas dans le consensus. Allez poser la question aux peuples quand l’Etat n’écoute pas leurs voix après des élections ou référendum. Quand cet Etat fait passer ses lois scélérates à l’aide de l’article 49-3 non seulement contre l’opposition mais contre sa propre majorité. Cessez donc monsieur de lier l’absence de l’Etat et l’existence d’une ‘’fausse nation’’, fausse parce que les rues sont encombrées de saleté, parce que les incivilités et la violence deviennent la norme en rythmant le quotidien du pays. Ces incivilités et ces violences, vous ne les inventez pas, j’en conviens. Sauf que votre litanie de mots pour fustiger les maux de la société, vous vous en servez pour philosopher sur des notions et concepts ô combien complexes. A savoir la Nation et l’Etat. La simple traduction dans notre langue pose déjà des difficultés. Doit-on traduire Nation par Oumma et Etat par Houkouma . Passons sur la traduction et contentons-nous de cerner le sens des concepts. Ces derniers renferment au départ une bonne dose d’idéologie. Une fois le temps et les guerres ayant fait leurs œuvres, des intelligences humaines ont conceptualisé les ‘’fruits’’ mûris par le temps et les guerres pour accoucher d’idées sur l’organisation de la vie des peuples dans une nation et du fonctionnement des instruments politiques des sociétés. Ces intelligences n’ont pas fait mijoter ces concepts comme dans une recette de cuisine. Ils ont durement travaillé pour trouver les compatibilités entre ingrédients qui composent un pays pour que la recette ne brûle pas au moindre petit feu. C’est uniquement après avoir maîtriser les tempêtes et les soubresauts de l’histoire que les sociétés ont accouché des concepts de Nation et Etat lesquels sont alors armés pour résister à tous les aléas et autres imprévus de la vie ou des ruses de l’Histoire.

Pour Noureddine Boukrouh, toutes les malédictions et autres incivilités qui labourent la société sont la preuve vivante que le peuple algérien ne constitue pas une nation et que le pays n’a pas d’Etat. Sa colère, justifiée contre "nos sauvageons" qui pourrissent notre quotidien, l’aveugle en laissant son esprit flotter sur l’écume des vagues au lieu d’aller voir dans le fond de la mer la violence des courants qui engendre les tempêtes. Depuis Althusser, les étudiants en philosophie ont appris à ne pas se contenter de l’écorce du concept mais d’aller taquiner son noyau dur pour avoir quelque chance de trouver le trésor recherché. Prenons le concept Etat. Boukrouh, mais il n’est pas le seul, un sociologue enseignant à Lyon, confond lui aussi l’Etat et l’administration. Sans aller demander secours aux philosophes du Politique (Hobbes, Machiavel, Hegel, Marx…) contentons-nous de la formule de Boumediene qui disait "qu’il nous fallait construire un Etat qui résiste aux hommes et au temps". Cela veut dire que l’Etat est une institution politique qui a le monopole de la loi et de son application par tous les moyens et notamment la force légitime que Durkheim a théorisée. L’administration quant à elle obéit à cet Etat en gérant les affaires courantes ou l’intendance de la société.

En raison de la soi-disant inexistence de la nation et d’un Etat, Boukrouh nous fait peur en nous avertissant du risque éventuel de notre retour au statut à "l’indigénat". Un pays, une société ne se construit pas à l’aide de l’incantation de la peur et de la morale. Une société est respectée et se respecte quand les individus qui la composent ont plus à perdre en étant des "sauvageons" et plus à gagner non pas à respecter une "morale" infantile de patronage mais pétris d’une haute éthique philosophique ou politique. C’est pourquoi, il serait plus pertinent de s’en prendre aux causes qui cultive la rage et entrainent "nos sauvageons" à patauger dans les mares nauséabondes des petits crimes et larcins, du mensonge et de la vengeance. Soit dit en passant, ces larcins ne sont que du pipi de chat au regard des milliards volés oui volés par tous ces cols blancs qui ont élu domicile ailleurs.

Noureddine Boukrouh fait référence à des concepts, donc des abstractions comme Etat et Nation, notions modernes nées à des époques historiques selon les particularités politiques et culturelles de chaque pays. La nation française a été "créée" par l’Etat pour unifier la myriade des peuples et des régions. Les USA nés de la conquête d’un continent et le massacre des Indiens sont devenus la grande nation américaine laquelle reconnaît en son sein les nations indiennes parqués dans des réserves. Et on peut continuer à citer des exemples à l’infini…

Au lieu de "complexer" ses compatriotes de ne pas être une nation mais des "ghachis" selon sa "délicieuse" formule, il devrait éclairer leur lanterne sur les ruines morales et culturelles dans lesquelles la société flotte au grès du vent.

Il se cache derrière des abstractions pour ne pas aborder la culture féodale et la bigoterie religieuse qui a conditionné hier comme aujourd’hui les esprits. Il me semble qu’il a été chef d’un parti dont l’idéologie se réfère à un certain Malek Benabi qui a forgé la notion de "colonisabilité". On ne peut pas dire que cette "notion" a eu un grand succès. Pour la simple raison que cette notion de "colonisabilité" est quelque peu chétive. Car les peuples qui ont été colonisés sont nombreux et certains ont été à la source de grandes civilisations. Leur domination a été possible car la colonisation a été une entreprise historique inégalée, dotée de machines, de techniques et d’idéologie, qui a écrasé tout dans sa marche "triomphale".

A la place du mépris pour les Algériens qui suintent dans les écrits de Noureddine Boukrouh, il eut mieux fallu investir nos intelligences pour aller demander au noyau dur cher à Althusser et poser la question pourquoi nous naviguons dans un bateau ivre et sans un capitaine doté d’une longue vue pour éviter les récifs.

Puisse un jour un écrivain nous pondre une œuvre comme "Le Rouge et le noir" où nous verrons un personnage bien de chez nous, "trahir" ses habitudes et regarder l’avenir avec un esprit débarrassé de blocages qui nous empêche de fabriquer notre propre boussole…

Ali Akika, cinéaste

(*) Expression américaine signifiant courant d’idées dominant.

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Commentaires (3) | Réagir ?

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chawki fali

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valuable information

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klouzazna klouzazna

Rappelons que ce disciple de bennabi a vendu (par dégout ou par intéret) son âme au diable le jour où il avait retourné sa veste en contre partie d'un poste diplomatique au moyen orient !!! ses utopies qu'il griffonnent périodiquement dans un quotidien n'interessent plus grand monde !!!

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