Adel Kermiche, ou le djihad à tout prix en France

Adel Kermiche était connu des services de renseignements. Photo AFP
Adel Kermiche était connu des services de renseignements. Photo AFP

"Hyperactif", "comme ensorcelé par une secte" et "déterminé à partir en Syrie" : les voisins, la mère et le juge d'Adel Kermiche, l'un des deux hommes qui ont tué mardi un prêtre dans l'église de Saint-Etienne-du-Rouvray, décrivent un garçon à part depuis l'enfance et décidé à faire le djihad à tout prix.

L'homme de 19 ans, abattu mardi par la police, était connu de la justice après avoir tenté de rejoindre la Syrie à deux reprises, en 2015. En mars dernier, il avait été libéré et placé sous contrôle judiciaire, contre l'avis du parquet.

L'ex-juge antiterroriste Marc Trévidic, qui l'a mis en examen, évoque un jeune "très suffisant" et "déterminé à repartir". "Son cas est typique de l'individu qui veut partir à tout prix, mais que la justice arrive à retenir. Alors, il se venge en faisant le djihad en France", a-t-il dit à L'Express. "Il disait: 'Libérez-moi, donnez-moi une dernière chance'. J'ai rapidement compris qu'il n'y avait pas de discussion possible." Mais "je ne pouvais évidemment pas imaginer qu'il tuerait un prêtre dans une église", ajoute le magistrat.

Dans le quartier pavillonnaire où habitent ses parents, chez lesquels il résidait depuis mars dans le cadre de son contrôle judiciaire, les habitants oscillent entre surprise et fatalisme. "Il était un peu fou, il traînait tout seul", dit James, un voisin de 21 ans. "C'était un enfant qui avait besoin qu'on s'occupe de lui", se souvient quant à lui Sébastien, dont le fils est allé à l'école avec lui. "Il fallait qu'il se fasse remarquer. Il était hyper nerveux, hyperactif. Il faisait des bêtises pour se faire remarquer."

Suivi psychologique

Adel Kermiche a été régulièrement hospitalisé dans son enfance pour des problèmes psychologiques, a-t-on appris mercredi de source judiciaire, confirmant une information du Monde. Entre 6 et 13 ans, il a été suivi dans un centre médico-psychologique où il a pris un traitement médicamenteux. Puis à 13 ans, il a intégré un institut thérapeutique et pédagogique.

"Au début, c'était un adolescent comme les autres", se souvient son ancien camarade de collège, Redwan, 18 ans. Mais en 2015, son comportement a changé, ajoute-t-il. "A chaque fois qu'on lui disait quelque chose, il nous ressortait un verset du Coran. Il nous disait 'il faut aller là-bas se battre pour nos frères, la France c'est un pays de mécréants'".

Mardi, après avoir eu vent de l'attaque, Redwan dit avoir "tout de suite" su qu'il en était l'auteur. Son basculement dans l'islam radical a également été décrit en mai 2015 par sa mère, dans La Tribune de Genève. Celle-ci racontait alors que la tuerie de Charlie Hebdo avait agi "comme un détonateur" sur son fils, entraînant sa radicalisation rapide, en moins de trois mois. "Il disait qu'on ne pouvait pas exercer sa religion tranquillement en France. Il parlait avec des mots qui ne lui appartenaient pas. Il a été ensorcelé, comme dans une secte", ajoutait-elle alors.

Le 23 mars 2015, un membre de sa famille signale aux autorités sa disparition. Le jeune homme, alors mineur, sera interpellé le jour même en Allemagne en possession de la carte d'identité de son frère. Il était en route pour la Syrie.

"Ensorcelé comme dans une secte"

Puis le 11 mai, malgré sa mise en examen et son placement sous contrôle judiciaire, un mandat d'arrêt international est lancé à son encontre après sa disparition du domicile familial. Il est désormais majeur. Localisé et interpellé en Turquie avec la carte d'identité de son cousin - il tentait à nouveau de rejoindre la Syrie - il sera expulsé vers la Suisse puis remis aux autorités françaises, qui le placeront en détention provisoire. Avant sa remise en liberté, le 18 mars dernier, avec assignation à résidence sous surveillance électronique.

Cette décision de le libérer a sans doute été prise "au vu de sa jeunesse et des garanties fournies", dit Marc Trévidic. "Kermiche n'avait pas réussi à rejoindre la Syrie et n'était pas en contact avec des membres de l'EI (Etat islamique, NDLR) sur zone", rappelle par ailleurs le magistrat.

A quelques kilomètres de l'église Saint-Etienne où un prêtre a été tué mardi à l'arme blanche par un enfant de la ville et son comparse, Mohammed Karabila, président du conseil régional du culte musulman, dit ses regrets.

"C'est dommage qu'il ne soit pas venu à la mosquée, avec l'imam on fait un travail justement concernant l'extrémisme", dit-il. "Pour nous, la mosquée c'est le rempart".

Au-delà du crime, Mohammed Karabila déplore l'image que cela donne des rapports entre les religions dans la ville. "Il y a beaucoup d'amour ici. Les deux communautés (catholique et musulmane, NDLR) sont deux communautés de fraternité et d'amitié", assure-t-il. C'est juste à côté d'une autre église qu'a été érigée la mosquée. Et les enfants des fidèles des deux lieux de culte jouent régulièrement au football sur le terrain commun.

Reuters

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