Brexit et immigration : ce qui va changer (2)

Brexit et immigration : ce qui va changer (2)

Par Fayçal Megherbi, avocat au barreau de Paris, et Bernard Schmid, docteur en droit et enseignant.

Que va-t-il se produire maintenant, sur le plan juridique, concernant les règles qui régissent la situation des ressortissants étrangers ? Il est trop pour le dire, les autorités du Royaume Uni n'ayant pas encore formulé leur demande de quitter l'Union européenne en application de l'article 50 du Traité qui l'a instituée. A n'en pas douter, des négociations se dérouleront, de manière officielle et derriére les coulisses. Mais voici quelques éléments qui semblent dores et déjà acquis.

L'immigration restera a priori un sujet se trouvant au centre de l'attention, et du débat public. Le ou la successeur(e) du Premier ministre sortant, David Cameron, sera connu(e) le 02 septembre prochain. La candidate dotée des plus fortes chances de succès, á l'heure où nous bouclons, semble être la ministre de l'Intérieur sortante, Theresa May. Cette dernière est plutôt proche des idées souverainistes, mais avait finalement opté pour le maintien dans l'Union européenne, avant le référendum. Sa carrière politique, surtout depuis son arrivée au ministère de l'Intérieur en 2010, a été fortement marquée par des polémiques sur l'immigration. A plusieurs reprises, la dernière fois en date du 25 avril 2016, elle s'était prononcée pour le Royaume Uni se désengage de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH), puisque cette dernière lierait trop l'action des autorités de son pays en matière d'immigration. Mdame May militant, avec le gouvernement Cameron, par ailleurs pour l'instaurantion de quotas de demandeur-e-s d'asile, notion non compatible avec le droit d'asile. Précisons que la CEDH n'a rien à voir avec l'Union européenne – que le Royaume Uni va probablement quitter – et son droit communautaire, mais qu'elle constitue un instrument qui relève du Conseil de l'Europe. Ce cadre ne se confond pas avec celui de l'Union, la Fédération de Russie et la République de Turquie étant parmi les membres du Conseil de l'Europe (mais non pas de l'UE).

Les ressortissants britanniques auront-ils et -elles besoin de visas, à l'avenir, pour entrer sur le continent, dont les habitant-e-s auraient à leur tour besoin de visas pour voyager aux îles britanniques ? Tout dépendra des résultats de la négociation... mais une telle issue est hautement improbable. Nons seulement cette mesure serait catastrophique pour le secteur du tourisme et d'autres branches économiques, un certain nombre de maisons dans le sud de la France – par exemple – étant actuellement la propriété de ressortissants britanniques. Surtout, si le Royaume-Uni devrait quitter prochainement l'Union européenne, il voudra néanmoins continuer à commercer avec l'Union européenne, et de bénéficier d'un accès libre au marché intérieur de celle-ci. Or, la Commission européenne a dores et déjà prévenu que, pour elle, «les quatre libertés» (celles des mouvements de capitaux, des services et produit, et la libre circulation des personnes) forment un tout, et que le Royaume Uni ne jouira pas d'un accès privilégié au Marché intérieur si elle ne les respecte pas.

Le scénario le plus probable est celui qui verrait le Royaume Uni appartenir à l'Espace économique européen (EEE), dont elle serait le quatrième membre – et le plus puissant – aux côtés de la Norvège, de l'Islande et du Liechtenstein. Or, les pays membres de l'EEE bénéficient d'un accès libre au(x) marché(s) de l'Union européenne; mais ils doivent respecter les principes ci-devant nommés. En outre, ils doivent verser une contribution à l'Union européenne qui équivaut, tout de même, à 83 & du montant des contributions d'un pays adhérent.

Un autre pays du continent européen, la Confédération helvétique (CH) – autrement dit, la Suisse – avait majoritairement «non», lors d'un référendum tenu en décembre 1992, à l'adhésion à l'EEE.

Toutefois, la Suisse souhaitant commercer librement avec les pays de l'Union européenne – qui l'entourent de tous les côtés, le petit Liechtenstein mis à part -, elle est largement liée par des accords avec cette même UE. Actuellement, 40% du droit helvétique est issu du (ou compatible avec le) droit communautaire européen, sans être membre ni de l'Union européenne ni même de l'EEE. Cela correspond à une nécessité, une mise en conformité de ses normes technologiques, sanitaires, environnementales... étant exigée pour qu'elle puisse avoir accès aux marchés de l'UE:

En même temps, les autorités de la Confédération helvétique ont négocié, depuis 1999, un bloc de sept «accords bilatéraux» avec l'Union européenne, dont l'un concerne la liberté de circulation des personnes. Cependant un référendum, tenu le 09 février 2014 (sous impulsion du principal parti de droite nationaliste, la mal nommée «Union démocratique du centre»/UDC, celle-là même qui avait fait voter contre l'adhésion à l'EEE en 1992), a débouché sur une majorité de 50,3 % en faveur de la résiliation de l'accord sur la liberté de circulation des personnes. Le résultat du référendum oblige, au moins en théorie, les autorités à établir des quotas annuels de catégories d'étrangers autorisés à entrer en Suisse. De tels quotas ne sont pas compatibles avec le principe de la liberté de circulation. Depuis lors, les autorités helvétiques mènent des négociations avec celles de l'Union européenne, tentant d'arriver à un résultat qui respecte (ou semble respecter) les impératifs liés aux relations avec l'UE... tout en respectant (ou faisant mine de respecter) les résultats du vote de 2014. Une quadrature du cercle... non résolue pour le moment.

Une dernière question concernera le sort des migrant-e-s et réfugié-e-s qui attendent, malgré eux et malgré elles, à Calais (et dans d'autres lieux situés du côté sud de la Manche), une opportunité de passer au Royaume-Uni. En début d'année 2016, le ministre de l'Economie français, Emmanuel Macron, avait menacé le Royaume-Uni du fait qu'en cas de «Brexit», la France n'aurait plus aucune raison de retenir ces migrant-e-s contre leur volonté. (Un procédé qui avait faire dire à certaines voix critiques que le ministre français se comportait ici comme l'ex-dictateur libyen, Mouammar Al-Kadhafi, ou l'autrocrate turc, Recep Teyyip Erdogan, ces derniers étant menacé l'UE d'utiliser les migrants comme une «arme».)

Or, en réalité, les choses ne pourront pas se passer de façon si simple. Les contrôles externalisés de la frontière britannique – déplacés sur le territoire français et sur la côte sud de la Manche – ont lieu, non pas en vertu du droit de l'Union européenne, mais d'accord bilatéraux.

Le dernier en date, l'«accord du Touquet», avait été négocié en 2003 par les ministres de l'Intérieur respectifs de l'époque, Nicolas Sarkozy et Jack Straw, et signés dans la ville du même nom. Certes, certaines responsables politiques français ont désormais annoncé leur volonté de «renégocier» cet accord (alors que Marine Le Pen, par exemple, s'est pronocé fin juin 2016 pour son maintien... tout en exigeant l'expulsion des migrant-e-s vers des pays tiers). Ainsi Alain Juppé, dont la candidature à l'élection présidentielle de l'année prochaine semble probable, a demandé le 04 juillet dernier une renégociation, estimant que c'était aux autorités britanniques d'effecteur les contrôles sur leur propre territoire. Or, discours de (pré-)campagne mis à part, la réalité n'est pas encore celle-ci : l'accord du Touquet est en vigueur, et puisqu'il est accompagné de clauses de coopération judiciaire et anti-terroriste, il n'est pas certain que les autorités françaises veuillent l'abandonner ou résilier. Quoiqu'en pense de son application pratique – la situation des migrant-e-s bloqués à Calais semblant pour le moins critiquable - et des réalités humaines qu'elle crée, sur le plan juridique, les politiques français ne pourront pas s'en dire affranchis, pour le moment. Même si on peut penser que sa remise en cause serait bien souhaitable (du point de vue des réfugié-e-s), cette question ne se prête pas à des gesticulations électorales françaises ni à des menaces post-référendum à l'égard des Britanniques.

FIN

Par Fayçal Megherbi, avocat au barreau de Paris, et Bernard Schmid, docteur en droit et enseignant

Lire la 1re partie : «Brexit» et immigration : ce qui va changer (Partie 1)

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