Enseignement du berbère en France : les Rifains écrivent à la ministre Najat-Vallaud Belkacem

Najat Vallaud-Belkacem, la ministre de l'Education nationale en France.
Najat Vallaud-Belkacem, la ministre de l'Education nationale en France.

A l’attention de Madame la Ministre de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Najat Vallaud-Belkacem.

Madame la Ministre,

Vous avez annoncé il y a deux semaines que le Gouvernement français allait intégrer les «enseignements de langues et de cultures des communautés d’origine» (Elco) au programme scolaire et qu’il allait permettre l’enseignement de l’arabe dès le CP, aux enfants dès l’âge de 6 ans, et ce dès la rentrée prochaine. Nous pensons, Madame la Ministre, qu’il serait normal, naturel et logique que le berbère bénéficie des dispositions qui s’appliquent à la langue arabe et que le berbère à son tour rejoint le socle commun et les programmes scolaires. Pour l’heure, il n’est pas acceptable que le gouvernement français poursuive cette politique de déni d’une réalité sociologique telle que celle-ci. Nous Rifains de France, comme le reste de la communauté berbère ressentons une profonde injustice car la deuxième langue de France, Tamazight/berbère, surtout que depuis 1999, le berbère est officiellement répertorié par le Gouvernement de la République comme faisant partie des «langues de France», se sent exclue de votre démarche. Tamazight, avec ses variantes, est une langue vivante et la langue maternelle de la quasi majorité des français issus de l’immigration.

Vous êtes très bien placée Mme la Ministre, pour savoir que la majorité des nord-africains sont des Amazighs (Berbères) et qu’en France, la proportion de personnes de culture et de langue maternelle amazighes dans la population d’origine nord-africaine consistitue les 3/4 de cette immigration ! Et même dans les pays d’origine, malgré des politiques gouvernementales très défavorables, la langue amazighe a le statut de langue officielle en Algérie depuis 2016 et de langue officielle au Maroc depuis 2011.

L’enseignement du berbère dans les lycées

Depuis 1995, une épreuve facultative écrite de langue berbère peut être présentée au Baccalauréat. Cette épreuve s’intègre dans un ensemble de 27 langues, ne faisant pas l’objet d’un enseignement dans les lycées, mais qui peuvent être présentées par les candidats, en matière supplémentaire. En 2006 il y a eu «la mise en place d’une préparation à l’épreuve facultative de berbère au Baccalauréat dans les établissements du second degré» Cette prise en charge institutionnelle demeure extrêmement modeste. Certes c’est un pas en avant, un progrès, et il faut s’en féliciter mais l’Éducation nationale reste très en-deçà des besoins et de ses responsabilités spécifiques concernant l’un» «des langues de France» à savoir le Tamazight/Berbère.

Par ailleurs l’offre de l’ELCO est faite sous la forme d’un document bilingue français et arabe. Ce qui laisse supposer que l’administration française et particulièrement l’Education Nationale, considèrent que les pays de l’Afrique du nord et leurs habitants et l’immigration en France qui en est issue, sont tous des Arabes. Concernant leurs contenus, nous observons que ces enseignements ne traitent que de la langue et de la culture araboislamiques et absolument sans aucune mention des peuples autochtones d’Afrique du Nord, leur civilisation, leurs cultures, et leurs langues amazighes

Aussi, pourquoi l’Education Nationale française continue toujours d’ostraciser autant la langue et la culture amazighes ? Pourquoi impose-t-elle l’enseignement de la langue et la culture arabes aux enfants d’origine amazighe, comme si c’était leur langue et culture d’origine ? Pourquoi elle tient tant à priver des milliers d’élèves d’origine amazighe de la langue d’origine de leurs parents ? Mesure-t-elle les dégâts que cette «falsification» peut provoquer sur la construction de la personnalité et des repères identitaires de l’enfant et du futur adulte ?

Madame la ministre, l’enseignement du berbère en France représente un enjeu politique de premier plan, aux implications effectives pour des millions de citoyens français d’origine berbère. La culture amazighe porte en elle les valeurs qui font le socle de la République : la laïcité, le respect d’Autrui, la démocratie, l’égalité femme-homme…

En enseignant la langue et la culture amazighes aux jeunes français dont ceux d’origine nord-africaine, on enseigne la liberté, la pluralité, l’égalité, qu’elles soient humaines, culturelle, linguistique, spirituelle, religieuse, etc. Cette démarche va aussi dans le sens de l’Histoire et la «corrige» et elle casse les idées reçues qui désorientent les jeunes générations, des proies facile, de nos jours, du fondamentalisme religieux. Un tel enseignement est à même de lutter contre les préjugés et contre toutes les formes d’uniformisation, d’unicisme, et de racisme.

Le berbère deuxième langue parlée en France

Dans un rapport qu’a publié le Comité consultatif pour la promotion des langues régionales et de la pluralité linguistique interne, le berbère (avec ses variantes rifain, chaoui, kabyle, chleuh) est la deuxième langue non territoriale la plus parlée en France. Ils sont entre 1, 5 et 2 millions de personnes dans l’Hexagone à parler le berbère. Ces chiffres sont le résultat d’une enquête menée depuis 1999 auprès de personnes parlant une langue régionale ou non territoriale (issue d’un pays où cette langue n’est pas la langue officielle).

Madame La Ministre nous entendons bien votre argument pour la mise en place de cette disposition à savoir instaurer «une diversité de l’offre des langues vivantes étrangères» Ce que vous dites est très juste concernant le plurilinguisme et la diversité des langues, mais pourquoi la diversité linguistique en France devrait-elle se limiter à la langue arabe marginalisant ainsi les langues amazighes, votre langue maternelle, Tarifit, Mme la ministre, et celle de deux millions de personnes d’origine amazighe en France ?

Les Amazighs de France

Nous tenons à vous rappeler, Mme la ministre l’ancienneté de l’immigration berbère en France et l’importance de l’implantation d’une population qui compte quelques deux millions d’individus. Vous n’êtes pas sans savoir cette réalité, vous qu’êtes de culture berbère (rifaine)

Nous déplorons la discrimination dont font objet les berbérophones de France et par là leur langue et leur culture car jusqu’à présent les seules mesures mise en œuvre par l’Etat français en direction des populations immigrées venant d’Afrique du Nord concernent les seuls langue et culture arabes. Les Berbères sont ainsi délibérément «catégorisés» comme étant Arabes. Comme s’il y avait là une volonté de prolonger la politique d’arabisation des Etats en place en Afrique du Nord !

Nous nous adressons à vous dans l’espoir de prévoir un dispositif institutionnel pour protéger et promouvoir les langue et culture berbères, dans la foulée des recommandations officielles faites au gouvernement francais et allant dans le sens de la nécessité de l’enseignement de la langue berbère et la promotion de la culture berbère (Rapport Guy Carcassonne remis au gouvernement en 1998, Rapport Bernard Stasi remis au Président de la République en 2003)

Nous attirons votre attention, Mme la ministre, que la France ignore la langue berbère et les langues minoritaires en France de manière générale. L’Etat français confirme le fait qu’il n’ait rien mis en œuvre pour la prise en charge et la promotion de la langue et de la culture berbères puisqu’il ne fournit aucune information à ce sujet. Un collectif d’associations berbères vous a déjà écrit à ce sujet au mois de mars 2015 puis le Congrès Mondial Amazigh en octobre 2015 mais leurs courriers sont restés sans suite.

Nous sommes persuadés que vous avez bien compris, Mme la Ministre, que le sens de notre lettre est de conforter «une Ecole qui transmet les valeurs de la République» et qui respecte sa diversité et espérions que vous allez entendre, via notre lettre-ci, la voix de la raison et faire le nécessaire pour rendre à la deuxième langue de France ses lettre de noblesses.

Veuillez agréer, Mme la Ministre, l’expression de notre profond respect.

Collectif de Rifains de France

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Commentaires (8) | Réagir ?

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gestion

MERCI

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algerie

merci

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