Syrie : une guerre "injuste" et... des désastres !

Le peuple syrien paye un très lourd tribut dans cette guerre qui lui échappe.
Le peuple syrien paye un très lourd tribut dans cette guerre qui lui échappe.

Ce serait sans doute tomber dans la paranoïa et le délire que de continuer à lier les soubresauts actuels du Moyen-Orient au seul déficit démocratique de l'époque des autoritarismes. Aujourd'hui, tout est clair, les erreurs ne sont pas seulement venus des pays arabes mais d'ailleurs.

En quoi par exemple Saddam Hussein dérange-t-il les Etats-Unis qui l'ont fortement soutenu au début de ses deux guerres contre l'Iran et le Koweït ? Et puis, fermé durant très longtemps les yeux sur le massacre des Kurdes et l'exclusion de la majorité chiite du pouvoir pour, à terme, se retourner contre lui et le pousser au choix de la guerre, comme ultime issue de secours ? Tout n'est à vrai dire qu'un écran de fumée pour tromper l'opinion internationale.

L'ex-patron du Quai d'Orsay Dominique de Villepin l'aurait bien signalé d'ailleurs dans son discours historique devant l'O.N.U en février 2003 : "L'option de la guerre, dit-il, peut apparaître a priori la plus rapide. Mais n'oublions pas qu'après avoir gagné la guerre, il faut construire la paix. Et ne nous voilons pas la face: cela sera long et difficile, car il faudra préserver l'unité de l’Irak, rétablir de manière durable la stabilité dans un pays et une région durement affectés par l'intrusion de la force". A dessein, les Américains et les Anglais ont brouillé les cartes de la région et le pire est arrivé. Ce qui nous autorise à affirmer que la situation dramatique qui prévaut en Syrie serait voulue dès le départ dans un grand projet de déstabilisation régionale si l'on se projette sur "l'effet dominos" escompté par l'Oncle Sam du cas irakien ! Voyant le danger venir, la Syrie s'est, pour rappel, fermement opposée à cette invasion quoique le régime d'Al-Assad et la nomenclature irakienne ne soient pas en bons termes.

Mais à qui profite cet état de fait en fin de compte ? Il faut reconnaître que "le casus belli" non justifié de 2003 cache derrière lui des faux mobiles dont les tenants et les aboutissants, quoique bien planifiés, ont échappé au contrôle des grandes puissances ! Car lorsqu'on pense aux retombées de la crise migratoire de nos jours sur le vieux-contient et surtout au syndrome de Daesh, les visées réelles, aussi importantes fussent-elles, parce qu'en grande partie liées marché du pétrole et des matières premières, se sont avérées contre-productives! L'instabilité régionale au Moyen-Orient est un grave péril qui guettera pour longtemps l'Europe et les vagues de réfugiés vont s'accélérer dans les mois et les années à venir. Or, déjà excédée et sous les desiderata des oligarchies financières, la Grèce ne sait plus quoi en faire, la Hongrie et la Macédoine érigent de plus en plus de clôtures tout au long de leurs frontières, Angela Merkel est trop critiquée, voire vilipendée dans son propre pays parce qu'ayant osé, tout simplement, tendre la main, un peu davantage que les autres, aux réfugiés.

En France, nul ne peut éclipser le climat de psychose sur fond d'islamophobie qui s'est installé dans les esprits. Quant en Autriche, l'extrême-droite a même failli remporter les dernières élections présidentielles ! Bien entendu, même si les signes d'affaiblissement de Daesh ne trompent présentement personne, la fuite des migrants vers l'Europe reste une revendication légitime et la fermeture des frontières est synonyme de "non-assistance à des personnes en danger de mort". Car il n'y a pas que les djihadistes qui tuent en Syrie mais aussi les diverses milices du régime et celles qui s'opposent à lui parmi l'opposition ! Et puis, les conditions de vie des Syriens qui comptent y rester seront très difficiles tant que la paix définitive n'est pas restaurée et l'opération de reconstruction du pays pas encore redémarrée. Ce que prouve, au demeurant, l'évolution de la situation sur le terrain. Et pourtant, un représentant du Pentagone aurait déclaré au mois de janvier dernier que la nébuleuse terroriste fonctionne avec du liquide et le salaire des djihadistes est désormais divisé par deux, faute de moyens pécuniaires. Chose qu'aurait confirmé, pour sa part, l'Observatoire syrien des Droits de l'Homme. La crise frappe donc dur au porte-monnaie et le Califat a trop déçu parce qu'il n'avait pas tenu ses promesses de prospérité et de justice sociale. Du coup, sa fortune estimée à 1 milliard de dollars passe à moins de 600 millions de dollars. Et, sûrement, la tendance sera à la baisse dans l'avenir. Surtout avec le bombardement intensif de ses entrepôts par les forces de la coalition et la baisse des cours du pétrole, laquelle impacte proportionnellement le marché noir.

Russie : des dépenses de 2 millions de dollars par jour

En réalité, l'Etat islamique (E.I) était déjà auparavant en agonie et l'intervention russe n'était là que pour siphonner le peu d’énergie qui lui reste. Ce sont uniquement ces 5 mois qui ont pu le mettre à terre, c'est du moins ce que laisse entendre le Kremlin. Mais dans l'autre camp, on ne voit pas l'actualité sous la même grille de lecture. A en croire ces derniers (les alliés), l'intention de l'homme le plus fort de la Russie est d'inverser le rapport de forces en faveur de son allié Al-Assad au détriment de l'Armée syrienne libre (A.S.L). En ce sens que ce dernier est suspecté d'avoir épargné Daesh dans ses frappes en vue de préparer un duel imminent entre le mal absolu (l'Etat islamique) et le moindre mal (le régime de Damas). Et puis, s'il s'est retiré du champ de guerre, c'est parce que la campagne militaire qui l'a menée lui aurait coûté trop cher. Selon le quotidien russe R.B.K, 2.5 millions de dollars sont dépensés chaque jour pour les 9000 raids effectués alors que la Russie s'apprête à vivre une deuxième année de récession économique !

Quoique l'on en dise, le président russe a montré sa grande maîtrise des implications du dossier syrien dans la mesure où il a, d'une part, coupé rapidement court à la rhétorique occidentale qui faisait de son armée un facteur perturbateur de ce qui a été réalisé, jusque-là, par les rebelles en Syrie. D'autre part, en annonçant à la télévision la nouvelle du retrait de ses troupes, il a pu exalter le sens patriotique aussi bien de ses masses que de ses troupes, lesquelles l'ont mis sur un piédestal. En quelque sorte, il se targue d'avoir accompli sa mission pour balayer du revers de la main toute culpabilité quant aux 3200 civils ayant péri sous les frappes de son armée (statistiques du collectif des journalistes d'investigation Air Wars). Surpris par ce coup de Trafalgar de Vladimir Poutine, les Occidentaux s'interrogent si celui-ci s'est réellement désengagé ou si ce n'est qu'une simple retraite tactique pour rebondir de nouveau par la suite! L'indépendance de ce dernier (Poutine) sur le plan diplomatique l'aurait désormais rendu incontournable dans la résolution du conflit syrien. En même temps, en agissant ainsi, il envoie un signal d'avertissement fort à Al-Assad, lui signifiant qu'il devrait compter sur soi pour le reste du parcours après l'échec de presque tous les accords de Genève à ramener une trêve durable entre les parties belligérantes et à baliser le terrain pour une possible transition démocratique. Certes la reprise de la ville de Palmyre qui ouvre l'accès au désert et de là à la frontière avec l'Irak est une bonne nouvelle. D'autant que, parallèlement à la progression de l'armée irakienne sur Ramadi, la troisième ville de ce pays, aidée par les Kurdes, en route pour Mosoul et Fallouja, il y a de fortes chances que l'étau se resserre encore davantage sur Daesh.

Reste maintenant le rôle de la Turquie dans cette guerre. Celle-ci voit d'un mauvais œil l’engagement kurde contre l'Etat islamique (E.I). C'est pourquoi elle donne plus l'impression d'encourager ce dernier que de le combattre. En plus d'être réfractaire à tout leadership arabe ou persan dans la région, le pays de Recep Tayyip Erdoğan craint par-là la reconnaissance pour services rendus du Kurdistan par les grandes puissances. Il va sans dire, par ailleurs, qu'après l'annexion par Israël de Jérusalem en 1980, les relations entre la Turquie et la plupart des pays arabes se sont détériorées. Pour cause, l'héritière de l'empire Ottoman fut, pour rappel, parmi les premières nations ayant reconnu officiellement l'entité sioniste en tant qu'Etat souverain afin de détourner les regards du "problème Kurde". Preuve en est que la collaboration militaire ayant eu lieu durant les années 1990 entre les deux pays fut très intense.

Isolé politiquement et diplomatiquement au Moyen-Orient, l'Etat sioniste a, quant à lui, trouvé dans les pays périphériques comme l’Éthiopie (réservoir de l'immigration des Falashas) et dans la Turquie qui vit la même situation que lui (acquis démocratiques considérables au milieu de dictatures et aussi un dénominateur commun : les Arabes les considèrent tous les deux comme des puissances colonisatrices - référence implicite au long passé impérial de l'Etat Ottoman -, toutes proportions gardées bien sûr), des alliés de taille. Cette connivence vient aussi du fait que les valeurs pro-occidentales sont largement partagées des deux côtés (moins sur l'approche de la laïcité étant donné qu’Israël est un Etat religieux que sur le mode de vie et les aspirations pro-européennes). L'intrusion de Erdoğan dans l'échiquier politique début 2000 et l'éviction des généraux de l'Establishment a certes changé les données sur la forme mais pas du tout sur le fond. Et ce n'est qu'après l'attaque de la marine israélienne de la flottille «Free Gaza» en haute mer, laquelle transporte le 31 mars 2010 des militants pro-palestiniens pour briser le blocus imposé à Gaza, que Erdoğan ait osé sortir de son mutisme et critiquer directement Israël, effet électoral oblige! Il est important de noter également que, bien avant le fameux Printemps arabe, la Turquie déjà entrée en concurrence avec l'Iran, se considérait comme une tutelle légitime du Monde arabe (favorisée par le recul de l’Égypte, et en particulier la chute de Saddam) et mène de front une diplomatie résolument "indépendante", c'est-à-dire, à l'encontre d’Israël dont l'importance économique et militaire aurait diminué à ses yeux, du moins sur le plan symbolique, ces dernières années.

Cette réalité s'est confirmée avec le problème Kurde, devenu trop encombrant et surtout un point de fixation de la politique des Etats Unis dans la région. Rappelons que les Américains ont voulu, comme suite au plan du "Grand Moyen-Orient" (G.M.O), gagner "machiavéliquement" la sympathie des Musulmans, en déplaçant la question palestinienne vers le Kurdistan (reconnaissance de la Palestine à l'O.N.U et constitution d'Etat-satellite pour les Kurdes). Ainsi Israël ne forme-t-elle guère cette unique porte d'entrée au Moyen-Orient pour l'Oncle Sam (perte de l'importance stratégique du conflit israélo-arabe)! Bref, on peut dire que si la démocratie est le liquide amniotique qui permet aux nations d’avancer, dans le cas Arabe, elle n'est qu'un moyen mis à contribution par les Occidentaux pour diluer tout esprit nationaliste dans le venin de la division. On dirait que, mûs par le seul souci impérialiste, les Américains ont effacé toute trace de morale dans la gestion des crises planétaires. Leur désintéressement et surtout leur manque d'initiative dans le dossier des migrants en témoignent.

Kamel Guerroua

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Commentaires (1) | Réagir ?

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Bachir Ariouat

Il n'existe aucune guerre juste sur la terre, dès l'instant qu'il s'agit d'un assassinat, de vol de l'économie de son pays, il s'ait d'un crime, dans les pays dignes de ce nom, les truands sont jugés et condamnés, les voleurs jetaient dans les cachots des prisons, les criminels finissent les restes de leurs jours dans les prisons, ils sortent les pieds devant.

En Algérie, en leur déroulent les tapis, et en leur offre du champagne.