Journal d'un homme libre : Les extraits "anti-révolutionnaires" citant Massu

Journal d'un homme libre : Les extraits "anti-révolutionnaires" citant Massu

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14 SEPTEMBRE
Je reprends ma plume dans les colonnes du Soir.
C’est ma seconde grande riposte adressée aux conspirateurs.
Une riposte inespérée, car rien ne laissait deviner mon retour à l’écriture : mon journal était toujours suspendu, la presse du Territoire me fermait ses portes et, pour ne rien arranger, la maladie de Parkinson m’avait ankylosé le bras droit.
Qui peut déjouer les lois de la vie ? « Si tu écris, c’est parce que tu es encore vivant.Qui peut te le reprocher ? » assure le poète marocain. Écrire !
« L’écriture est pour toi comme une prière adressée à la vie pour qu’elle continue à te visiter. »
C’est ce que je retiens d’Abdellatif Laâbi. Écrire !
Il y a dans les répressions comme la part d’une terrible impuissance.
À l’heure où je retrouvais les lecteurs grâce à la formidable hospitalité de mes camarades du Soir, à cette heure de retrouvailles émouvantes après deux années d’emprisonnement arbitraire, il me revint ces mots de Camus éprouvés par le temps, le sang et le triomphe des idées : « Une police, à moins de généraliser la terreur, n’a jamais pu résoudre les problèmes posés par l’opposition.»
Le prix Nobel est mort avant d’avoir pu vérifier que de cette terre qui lui a valu d’éternelles controverses, a jailli, un jour de juillet 1962, le bien-fondé d’une si élémentaire et si profonde pensée. En revanche, Kaiser Moulay et Le Grand Vizir Yazer, qui ne désespèrent pas de pasticherMassu, un demi-siècle après sa déroute, s’activent toujours à réduire les indocilités sociales et politiques par le gourdin et les tribunaux. Ils apprennent, un peu tard mais avec tout le bénéfice de l’âge, que de ce côté-ci de la Méditerranée, il n’est pas rare de voir un esprit récalcitrant,
un syndicaliste rebelle ou une plume têtue se relever intacts de leurs barbaries, de leurs prisons comme de leurs chantages.
La leçon a dû être particulièrement singulière pour le Grand Vizir, père de l’historique appel de Djelfa, percepteur intransigeant des petites et grandes factures, et qui découvrit, à sa grande surprise, qu’on peut « payer » sans forcément se ruiner, ruiner sa dignité et ses principes.

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OCTOBRE
Je regarde cette photo embarrassante du directeur d’un journal indépendant recevant le leader intégriste Rabah Kébir.
J’ignore comment ce tueur en chef a atterri dans une rédaction qui portait encore les marques de ses forfaits, mais je dois, à l’évidence, reconnaître qu’il y a une science qui reste pour nous méconnue : blanchir les crimes.
Elle a fait la pérennité de générations de tyrans.

Notre chef de gouvernement se livrait à cet exercice, ce jour-là, en recyclant la technique de deux célèbres bourreaux : Massu et Ariel Sharon.
Avec la foi du représentant de commerce, Abdoul le Persan affirmait devant la presse que le problème n’était désormais plus dans le danger terroriste mais dans la montée de la délinquance juvénile. Avec cette précision
jubilatoire : les délits liés à la petite et moyenne criminalité étaient en hausse alors que ceux rattachés au terrorisme connaissaient un déclin heureux.
Abdoul le Persan se livrait, là, à un vieux subterfuge. Par cette sournoise similitude entre le larcin de rue et l’explosion d’une bombe, il reléguait l’acte terroriste au rang de vulgaire maraudage et pensait ainsi rétablir la sérénité par le mensonge. Rien n’est en effet plus rassurant pour l’opinion que de savoir qu’à l’échelle des menaces, le pickpocket avait déclassé le terroriste et qu’elle avait, en conséquences, plus à craindre pour le portemonnaie des vieilles dames que pour la sécurité de la patrie !
Le chef du gouvernement aligatorien n’ignore pourtant rien de la petite différence qui sépare le pickpocket du terroriste et qui rend dérisoire toute comparaison : le projet. Le premier n’en a pas, il vole pour lui-même ; le second en a un, très politique, il tue pour renverser le pouvoir en place.
L’inconvénient, pour Abdoul le Persan est que cette fumisterie, à laquelle tous les régimes oppresseurs s’étaient déjà adonné, à commencer par les plus grands, l’occupant français et l’occupant israélien, était vaine.
La jubilation d’Abdoul le Persan rappelait, en effet, celle d’Ariel Sharon, après que l’élévation d’un mur pour séparer Israël des « territoires » eût provoqué une baisse des attentats. Celle-là même que l’on avait entendue,
jadis dans la bouche du général Massu après la bataille d’Alger : « Après tout, nous avons ici beaucoup moins de morts causées par les terroristes que l’on n’en a ailleurs du fait des accidents de la route ! »
La péroraison suggérait que la défaite des « terroristes » était à ce point consommée qu’elle en est arrivée à faire moins de victimes que l’excès de vitesse.
On connaît la suite peu glorieuse que le temps réserva à ces tartarinades.
Mais, à voir un des plus hauts dirigeants aligatoriens rétablir les vieilles ficelles de l’armée coloniale et imiter, dans le jésuitisme, le bourreau de Ben M’hidi et celui du peuple palestinien, on en vient à conclure que les grands esprits finissent toujours par se rencontrer et que la mode du matamore, qui survit aux plus grands revers de l’histoire, restera décidément la valeur sûre en politique, en tout temps et en tout lieu.
Oui, Coluche avait bien raison, c’est pas compliqué, en politique, il suffit d’avoir une bonne conscience, et pour ça il faut avoir une mauvaise mémoire !

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Les faits donnaient raison à la résistante : « L’occupant français n’a pas laissé que les blessures, les deuils et l’écrasement de la personnalité nationale.
Il a surtout pondu les oeufs de la future dictature des Frères Ali Gator, descendance hybride d’un occupant dont ils ont hérité de l’art du mépris et de la science de l’abaissement Car enfin, la manipulation… Il ne suffisait donc pas d’emprunter à Massu le raccourci pour nier l’ampleur du terrorisme, il fallait encore puiser dans l’argumentaire colonial ce vocable outrageant, « la manipulation », conçu pour discréditer le combat et délégitimer les combattants.
« La manipulation » qu’on opposait déjà aux salves du 1er novembre 1954, pour les présenter, elles les premières explosions qui allaient emporter un ordre discriminatoire, comme une inavouable instrumentation orchestrée par une poignée d’aventuriers.
On a même imité chez Massu la façon, à la fois déchaînée et dérisoire, de répondre aux revendications. Hier, on mobilisait le contingent et l’arsenal de la troisième puissance mondiale pour mater la « rébellion »; aujourd’hui, on fait donner la charge aux pacifiques manifestants par les compagnies nationales de sécurité (CNS), les nervis ou même, tenez, les hommes de main recrutés le temps d’une grève pour casser du gréviste.
Et vous messieurs, qui vous pardonnera ?

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Commentaires (31) | Réagir ?

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khaly mohad

on ne récolte que ce qu'on souhaiter pour l'autre et c'est logique NON

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hamid

grand merci mr benchicou pour toutes les réalités et les vérités que nous ignorons, merci pour tous ces efforts consentis pour la liberté d'expression et la démocratie. j'admire en vous votre courage de dire et d'agir. vous êtes notre fierté et vous incarné l'homme libre qu'est l'ALGERIEN LIBRE. Courage nous sommes avec vous corps et âmes et un jour le soleil sortira du brouillard et illuminera les opprimés. Ce jour là nous verrons de qui l'histoire ce souviendra.

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