De la critique à la nécessité de se projeter dans un monde meilleur

De la critique à la nécessité de se projeter dans un monde meilleur

Lors de son premier discours en Kabylie, en 2000, le président algérien Abdelaziz Bouteflika expliquait que l'Algérie était dans une crise nationale et que celle-ci était multidimensionnelle. Il ne pouvait mieux dire à l'époque.

Aujourd'hui, force est de constater qu'il subsiste encore une crise multidimensionnelle : politique, sociale, économique, voire identitaire. Cet article vise à revenir sur une nouvelle dimension de cette situation, une dimension qui se répand tel une cellule cancéreuse, et qui par effet boule de neige paralyse notre pays. Une dimension que nous tous - consciemment ou inconsciemment - véhiculons, à laquelle nous sommes quotidiennement confrontés à plusieurs niveaux. Celle de la démission, du pessimisme, du défaitisme et du terrorisme intellectuel. Une dimension que nous cautionnons par notre silence frappant. Notre inaction en référence à celle des universitaires - mais aussi à celle des journalistes, politiques représentants du peuple et élites de manière plus globale.

Pour l'opposition, tout va mal en Algérie. Pour les tenants du pouvoir actuel, tout va bien. À écouter les citoyens, l'Algérie ne fait que reculer, toutes les administrations nuisent au citoyen, tous les projets sont systématiquement bloqués par les institutions étatiques, toute initiative est vouée à l'échec, tout entrepreneur est corrompu, toute réussite financière est louche, tout politique est forcément mafieux, tout cadre de l'armée est un mal pour ce pays. En fait, de toutes les dimensions de la crise algérienne, il me semble que le problème le plus important est celui qui est cultivé quotidiennement --- celui du terrorisme psychologique, autrement dit le pessimisme et défaitisme qui animent une grande partie de la population. Que ce soit les nantis ou les moins nantis, les éduqués ou les moins éduqués, les engagés ou les moins engagés. J'ai bien peur qu'une société animée par une telle dynamique ne perde trop d'énergie inutilement, alors que la convergence des efforts est primordiale pour le changement institutionnel. On pourrait raisonnablement dire que les sociétés pessimistes avancent peu, voire détruisent plus qu'elles ne construisent. L'excès étant l'ennemi de la virtuosité, il est important de ne pas tomber dans l'optimisme à tout-va et de rester éclairé, lucide et avisé quant aux défis, mais optimiste quant à l'avenir en agissant à son niveau.

Je vis en Amérique du Nord depuis aujourd'hui un peu plus de 14 ans. Ce qui est fabuleux dans ce continent, au-delà de la qualité de vie et de la méritocratie qui fait cruellement défaut à notre pays, c'est leur culture de l'optimisme. Il me semble que ce qui fait la puissance de l'Amérique du Nord - plus particulièrement des États-Unis - est leur mentalité et culture orientée vers l'optimisme, le positif et l'idée que demain sera un meilleur jour. Bien entendu, c'est la problématique de l'œuf et de la poule et il serait vain d'ouvrir le débat dans cet article. Ce qui me semble évident, ceci dit, est que l'histoire difficile de notre pays, de l'époque coloniale, à la guerre de libération, en passant par la guerre civile et la période actuelle, a joué un rôle important dans le fait que l'identité algérienne n'a pas encore émergé. L'Algérie est un pays prosaïque, rendant ce processus plus long. Et si l'on souhaite comparer l'Algérie à d'autres pays, à l'image de la Corée du Sud qui a fait des progrès impressionnants en 60 ans, encore faudrait-il que cette comparaison tienne sur des bases communes : parcours historique, identité prosaïque, contexte géopolitique, ressources naturelles, etc.

Ce pessimisme est-il entièrement justifié ? Peut-être que oui. Mais le défaitisme ne l'est pas; il est sans aucun doute malsain et destructeur, pouvant être source d'entropie. Que l'on soit d'accord avec nos politiciens ou non, les chiffres montrent que l'Algérie progresse lentement mais sûrement, que ce soit en matière de télécommunications, de santé, d'éducation, d'agriculture ou encore d'infrastructures. Certes, la nature des risques auxquels est soumise l'Algérie a évolué et les défis - démocratiques, sociaux, économiques - sont toujours présents. L'Algérie apprend et progresse depuis la décennie noire. Certes, sûrement pas au rythme auquel elle aurait du évoluer au vu de son potentiel (humain, financier, géographique). Il n'en demeure pas moins qu'elle avance. Le problème réside dans l'absence flagrante de documentation de ces progrès. On en sait peu, voire rien, sur les succès entrepreneuriaux, des entreprises sociales, des politiques locales, des administrations locales ou encore d'innovations sociales. Si l'on tient pour compte le développement du secteur privé, l'accroissement et la disponibilité des produits locaux ainsi que le développement des infrastructures, les progrès sont colossaux. Le secteur public, lui aussi, s'est amélioré, ne serait-ce que durant ces quelques années en matière de facilitation des procédures administratives. Est-ce qu'il y a place à l'amélioration ? Sans aucun doute ! Faut-il pour autant balayer du revers de la main les progrès ? Si l'on prend deux domaines spécifiques sur lesquels l'État a beaucoup travaillé, l'éducation et le développement des technologies de l'information, en dépit de toutes les critiques et de l'incohérence de certaines décisions politiques, les progrès sont relativement satisfaisants.

Dans un autre article récent, j'ai montré à travers deux cas d'innovation sociale le caractère constructif et édifiant des entrepreneurs algériens sur le plan du développement socio-économique. Loin de représenter des exceptions, beaucoup d'autres entrepreneurs suivent des cheminements semblables un peu partout à travers le territoire national et arrivent à générer un changement institutionnel fabuleux ainsi qu'une transformation sociale. On m'a pris pour un naïf suite à cet article. Pourtant, les faits sont assez révélateurs, de Soummam en Kabylie, à Benamor à Guelma. Je suis convaincu qu'une liste exhaustive de progrès peut être présentée en matière de services publics, de transport, de loisirs, de gestion des institutions publiques, etc.

Mon intuition est que l'histoire et l'économie font défaut à une grande partie des algériens. D'ailleurs, les chiffres montrent que les algériens lisent peu. Le manque d'intérêt des algériens envers l'histoire sied peut-être ce défaitisme aveugle, alimenté davantage par des chahuts que par des faits. À ce niveau, les universitaires et les élites politiques ont failli à leur rôle d'accompagnement des citoyens vers l'optimisme et l'action. D'une part, les universitaires sont bien silencieux. Que ce soient les sociologues, bien muets sur le phénomène social algérien, ou encore les théoriciens des organisations, bien silencieux sur l'histoire algérienne des affaires et du management. D'autre part, l'opposition politique, en dépit de toutes les difficultés auxquelles elle fait face, a elle aussi failli dans son offre d'une alternative qui peine à se faire entendre. J'espère que celle-ci saura contribuer et renforcer la confiance de la jeunesse et sa volonté d'entreprendre, au lieu d'inciter la haine à travers des campagnes négatives, ciblées sur les individus et les polémiques. Les enjeux, défis et solutions d'avenir devraient être au cœur de leurs programmes, messages et prises de position. Où voulons-nous allons et comment veut-on y aller... voilà les questions sur lesquelles l'opposition devrait se focaliser.

Malheureusement, les quelques universitaires intéressés par la documentation de la réussite d'entreprises privées algériennes sont perçus comme des outils marketing pour ces dernières. J'ai récemment offert à un ami relativement hostile et suspect à l'égard de la réussite de Cevital un livre qu'un collègue a publié. Je lui ai indiqué que je ne souhaitais débattre que sur des faits, et que les données publiées dans un ouvrage, avec toute la subjectivité qui leur est propre, représentaient pour moi - en tant qu'universitaire - un gage de transparence et d'authenticité. Il a fini par changer d'avis sur la qualité du succès entrepreneurial de Cevital. Je ne veux surtout pas à travers cet exemple m'avancer sur ce que je ne connais pas : j'ignore comment Cevital a réellement entamé son activité; néanmoins, une chose est certaine, cette entreprise a été dirigée (et l'est encore) par l'un des plus grands gestionnaires que ce pays ait eu jusqu'à présent, et ses contributions à l'économie algérienne sont gigantesques. D'ailleurs la concurrence que cette entreprise génère est intéressante, étant l'un des gages du développement de l’Algérie et de l’amélioration des différents secteurs d’activités. Ses produits sont réputés comme étant de bonne qualité à des prix concurrentiels et le taux de réinvestissement des capitaux de Cevital est très élevé. Sans les différents freins posés par le système en place, nul doute que les réalisations de Cevital auraient été encore plus admirables.

Ces considérations faites, chacun doit se rappeler que l'Algérie est un pays difficile de par son contexte pluraliste et que ses institutions (normes, valeurs, croyances) sont difficiles à changer. C'est un processus long, qui ne peut qu'être accéléré par une bonne gestion. Inversement, il peut être retardé par une mauvaise gestion. C'est précisément le cas en Algérie en raison de mauvaises décisions à répétition. L'important pour ce pays est de se construire, notamment sur le plan psychologique. En fait, la reconstruction n'est possible que si la jeunesse regagne confiance et entreprend le changement; que si la jeunesse, à l'image de certains entrepreneurs, arrive à bousculer les institutions étatiques de manière constructive à l'échelle locale. Le changement ne tombe pas du ciel. Le changement survient si et seulement si les acteurs sociaux agissent.

La situation est délicate mais les jeunes de ce pays ont encore le temps de reprendre les choses en main. La crise actuelle peut être constructive si l'on parvient à faire converger les efforts et objectifs de tous les acteurs. C’est cette vision optimiste et victorieuse que nous avons la responsabilité de véhiculer et qui permettra à ce pays de se libérer et d'avancer. L'énergie, l'intelligence et l'idéalisme des Algériens ont été et doivent de nouveau être les plus grands agents de changement pour ce pays.

Sofiane Baba

Doctorant et chargé de cours en management HEC Montréal

Renvois

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Liberté Algérie.(2005). Une nouvelle version est au stade de maturation : relance de l’opération Ousratic, Liberté Algérie.

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Commentaires (2) | Réagir ?

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adil ahmed

merci

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adil ahmed

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