La politique algérienne du général De Gaulle

Le Général De Gaulle au cours de l'une de ses visites en Algérie.
Le Général De Gaulle au cours de l'une de ses visites en Algérie.

En mai 1958, quand l’armée s’oppose à l’abandon de l’Algérie française par le gouvernement Pflimlin, l’ermite de Colombey-les-Deux-Églises entend l’appel de la France aimée et souffrante, martyrisée par le régime des partis. Pour cet homme d’exception qui dit incarner la légitimité française depuis le 18 juin 1940, l’Histoire dont il est pétri, possède un double visage, avec une face tournée vers le passé, celle de la monarchie glorifiée par Charles Maurras et Jacques Bainville, l’autre vers l’histoire future. Quant au présent, il replace généralement les faits dans leur contexte, dans le concert des nations et dans l’histoire longue de la France.

Pour de Gaulle, imprégné d’un messianisme national, l’opération "Résurrection" qu’il a pilotée, n’est pas un pronunciamiento, mais plutôt un acte providentiel, l’Appel de détresse qu’il a entendu, pour venir au secours de la France.(1) La restauration de l’État fort par un chef légitime est donc l’acte premier, nécessaire et salvateur, pour redonner à la France, rénovée, sa place parmi les quatre Grands, pour servir à nouveau d’exemple et de guide pour toutes les nations. Pendant sa longue traversée du désert, de Gaulle a pris acte que les Accords de Yalta dont il avait été écarté, ont partagé le monde en deux blocs antagonistes et que le grand vent de l’Histoire a balayé les empires coloniaux européens.

Après l’indépendance de l’Indochine, du Maroc et de la Tunisie, l’Union Française qu’il avait édifiée à Brazzaville en 1944, se déconstruisait, l’Algérie, elle-même, la clé de voûte de cet édifice, menaçait de s’écrouler. Le rôle de la France n’était donc pas de s’opposer à la décolonisation inéluctable de cette terre qui fut un prolongement de la France, mais de l’accompagner dans sa marche vers l’indépendance, en octroyant avec panache ce qu’on ne pouvait conserver.

Épris de la Grandeur de la France, de Gaulle estime que la politique extérieure est la seule politique véritable, par rapport à laquelle la politique économique, sociale et culturelle sont des moyens au service de cette politique.2 C’est d’ailleurs en fonction de la politique extérieure que les différents ministères furent établis. Et, que la politique algérienne du Général devient lisible.

● La phase première (mai 1958-fin 1959) est marquée par le renouvellement des institutions, du Parlement et du Sénat. Le processus électoral achevé, de Gaulle, légitimé maintenant par le suffrage universel, met en place sa politique algérienne. Il fait retirer les militaires des Comités de Salut Public créés en Algérie depuis le 13 mai 1958, qu’il supprime, remplace Salan par le général Challe et le délégué Paul Delouvrier, lance le plan de Constantine et propose "la paix des braves". Dans la foulée, il libère Messali Hadj et plusieurs centaines de détenus.

Soumis à la pression des États-Unis, de la Ligue arabe et du bloc afro-asiatique qui a reconnu le GPRA, de Gaulle qui s’est ressourcé dans la France profonde, prends le pouls de l’armée pendant la «tournée des popotes», avant de prononcer, le 19 septembre 1959, son discours sur l’autodétermination. Salué par les États-Unis, le bloc communiste, les syndicats et les partis de gauche en France, il est approuvé par le MNA de Messali Hadj et, avec retard et réticence, par le GPRA. En Algérie, les Européens ne s’y opposent pas, car ils ont participé à toutes les élections municipales et législatives au collège unique, en acceptant d’être minoritaires dans toutes les instances nouvelles.

L’autodétermination qui signifie : le droit pour le peuple algérien (Européens, Juifs et Musulmans) de choisir son destin (république associée, intégration ou indépendance) devenait aussitôt réalisable, avec la tenue d’une Table Ronde conduisant à un Aix-les-Bains algérien que réclamait Messali. De Gaulle refusa cette solution démocratique. Il donna carte blanche à Challe pour réaliser son plan (écraser l’ALN et pacifier l’Algérie) et dans le même temps, il faisait savoir au GPRA qu’il voulait négocier avec lui la formation d’une Algérie autonome au sein de la Communauté qui avait remplacé l’Union Française, depuis la fin 1958. 3 L’autodétermination n’était pour le Général qu’un leurre !

● Pendant la seconde phase (janvier-juin 1960), de Gaulle veut accélérer le retrait des Pieds-Noirs du champ politique et les pousser à la faute pour leur infliger une défaite et les couper de l’armée. La mutation du général Massu, le héros de la bataille d’Alger, entraîne une réaction immédiate : c’est la semaine des barricades. Contre les «factieux», de Gaulle obtient un soutien total en métropole, mais à Alger, l’armée n’a pas employé la force contre le réduit rebelle.

C’est aussitôt la répression contre les organisations des Européens, la réorganisation de l’administration en Algérie et la valse des mutations dans l’armée. Son dispositif renforcé, de Gaulle prend un bain de foule en province, rend visite à l’armée en évitant Alger, et lance une nouvelle formule : «l’Algérie algérienne». Pour priver Challe de sa victoire en cours, il le remplace par le général Crépin.

En mars, les conditions existaient pour l’organisation d’un référendum en Algérie sur l’autodétermination : toute la population aspirait à la paix et la rébellion n’avait plus de raison puisque l’Algérie pouvait choisir son avenir, avec ou sans la France. C’est sur cette position que se sont retrouvés, avec des motifs différents, Si Salah, chef de la wilaya 4 soutenu par la Kabylie, Messali Hadj et une fraction du GPRA dont l’audience était très large en Algérie. De Gaulle, en bon partisan de l’autodétermination, agira autrement. Il saborde l’entreprise de Si Salah4, permet au GPRA de reprendre le contrôle des wilayas 3 et 4, en procédant à de larges purges, et, à un moment où la guerre était gagnée, il invite le GPRA à la table des négociations. Melun est un échec, mais le GPRA est devenu le seul interlocuteur valable et l’autodétermination n’a plus cours.

● Pendant la troisième phase (juillet 1960-janvier 1961), la situation sociale et politique s’est aggravée. La France est lasse de la guerre, les syndicats, les partis de gauche, la grande presse et de nombreux intellectuels exigent des négociations avec le GPRA. Ainsi conforté, de Gaulle va se dévoiler. Après une plongée dans la France profonde, il prononce, le 4 novembre, un discours où il parle de "République algérienne"». Pour la mettre en application, il réorganise son appareil politique et militaire et se rend en Algérie. Son voyage est perturbé par des manifestations hostiles des Européens auxquelles répondent des manifestations de Musulmans, encouragées par les gaullistes. Mais, ignorant les consignes du GPRA, des milliers d’Algériens manifestent derrière le drapeau vert et blanc, en plein centre d’Alger. De retour à Paris, de Gaulle n’est pas mécontent. Il considère que l’autodétermination est dépassée puisque les masses algériennes ont plébiscité le GPRA, qu’il invite donc à négocier.

Pendant la campagne pour le référendum du 8 janvier 1961, de Gaulle explique que l’Algérie nous coûte cher et que l’intérêt de la France, sa Grandeur, ce n’est plus la domination algérienne mais son développement économique et le progrès social. Une formule traduit cette conception de l’intérêt de la France : "La décolonisation est notre intérêt, donc c’est notre politique."

L’argument économique trouve un large écho en métropole, d’autant qu’on se représente souvent l’Européen d’Algérie comme un «gros colon faisant suer le burnous des Arabes», un magnat à l’immense fortune agricole ou immobilière, enfermé dans un égoïsme colonial5 ou imprégné de la mentalité «sudiste» des petits blancs de la Louisiane6. De leur côté, les syndicats insistent sur le poids de la guerre sur l’économie française et impulsent la campagne pour la paix lancée par le PCF.

● La phase finale de la guerre d’Algérie s’ouvre enfin (avril 1961-mars 1962).

Refusant l’installation d’une Algérie dirigée par le GPRA, les généraux Challe, Zeler, Jouhaud et Salan organisent un putsch qui ne tient pas une semaine. Désormais, la métropole se mobilise pour dénoncer les menaces que fait peser la prolongation de la guerre sur la démocratie et les libertés. Le pacifisme et l’antifascisme gagnent des couches de plus en plus larges de la population en relation avec les plasticages de l’OAS en France. C’est dans ce climat que se tiennent les conférences d’Évian, de Lugrin et des Rousses qui aboutissent à la signature des Accords d’Évian., le 18 mars 1962.7

Ainsi donc, malgré sa défaite militaire totale, le GPRA a fait réaliser par le général de Gaulle ses objectifs qu’il n’aurait jamais pu atteindre seul : un Diên Biên Phu politique de l’armée française, sa désintégration et son humiliation, la répression contre tous les Européens d’Algérie, qui, parce que les droits et les libertés ne sont plus garantis, se sauvent en abandonnant tous leurs biens, qui deviendront un butin de guerre. C’est ensuite l’installation du GPRA au pouvoir avec l’aide de la France et la consolidation de ce pouvoir – en attendant l’expropriation de toutes les terres, les immeubles, les infrastructures, les entreprises et le pétrole – avec la coopération.

La responsabilité de ce désastre est certes le fait du général de Gaulle, mais la guerre a été lancée par le gouvernement Mendés France-Mitterrand, le PCF a voté les pouvoirs spéciaux au gouvernement Guy Mollet, le 12 mars 1956, et tous ont soutenu la politique algérienne du Général.

Pendant de longues années, les syndicats et les partis de gauche n’ont jamais combattu sur un terrain de classe pour l’autodétermination du peuple algérien. Il convient aussi de parler de la trahison des clercs qui ont préconisé l’insoumission mais pas le défaitisme révolutionnaire ou l’internationalisme qui aurait conduit à soutenir et non pas à combattre le MNA de Messali Hadj, un parti prolétarien qui voulait édifier la nation algérienne sur le modèle de la révolution française, par l’élection d’une Assemblée Constituante par tous les habitants de l’Algérie, dans la perspective d’un Commonwealth franco-africain.

Réconcilier les peuples algérien et français ne passe pas comme le préconise le sherpa de Hollande, défenseur inconditionnel de l’État algérien, par la fin de la guerre des mémoires mais par l’écriture d’une histoire honnête et sans tabou de cette douloureuse période.

Jacques Simon

Notes

1. Nick (C). «Résurrection». Naissance de la Vè République, un coup d’État démocratique, Fayard, 1998.

2. Vaïsse (M). La grandeur. Politique étrangère du général de Gaulle, 1958-1969, Fayard, 1998.

3. Stora (B). Dans un livre intitulé : Le mystère de Gaulle. Son choix pour l’Algérie, ce spécialiste des langues, de l’histoire et des civilisations du Maghreb et du monde arabo-islamique, de l’immigration et des questions militaires sur la guerre d’Algérie, estime que dès lors que l’indépendance de l’Algérie était inéluctable, l’autodétermination, ce n’était pas la Table ronde de Messali, mais l’installation du GPRA au pouvoir en Algérie.

4. Montagnon (P). La guerre d’Algérie. Genèse et engrenage d’une tragédie (1954-1962), Pygmalion, 2004 (Ch.XXXIV- L’affaire Si Salah).

5. Nora (P). Les Français d’Algérie, Bourgeois, 2012.

6. Stora (B). Le transfert d’une mémoire, La Découverte, 1999.

7. Vers la paix en Algérie. Les négociations d’Evian dans les Archives diplomatiques françaises (15 janvier 1961-29 juin 1962). Brylant, 2003.

Plus d'articles de : Mémoire

Commentaires (11) | Réagir ?

avatar
gestion

MERCI

avatar
algerie

Great info, good thanks.

visualisation: 2 / 9