Lamentations d’un homme célèbre !

Lamentations d’un homme célèbre !

Nous avions pensé que Cologne était un sujet arrivé à saturation qui ne méritait plus qu’on s’y attarde. Une affaire tout de même malheureuse, triste, qui a suscité l’émoi et l’indignation, la consternation aussi. Nous avions tort, hélas. Une chronique, Tout enfant prodige est un ‘’vendu’’, parue sur impact24. Info en date du 24 février courant, est venue nous signifier, en nous introduisant dans le domaine fascinant de la psychanalyse, que la question n’est pas réglée. Sérieux, le cas inquiète. La démarche est regrettable et désolante à la fois, vexante à plus d’un titre.

Par Bacha Ahmed (*)

Genèse. Cologne, la St-Sylvestre, les migrants, une sombre histoire de viols encore pas tout à fait élucidée par les autorités allemandes (et qui sent le coup bas politique destiné à fragiliser Angela Merkel, selon une analyse que les faits rendent plausible). Toujours est-il, la star s’en saisit, à sa manière. 19 chercheurs répliquent. Polémique. Des Algériens livrent leurs opinions. Jusque-là, quoi de plus normal. Quand on écrit, on s’expose. C’est la règle du jeu. La liberté d’opinion, c’est pour tout le monde. Et le débat aurait dû s’arrêter là. La littérature est une chose, la chronique en est une autre, tout à fait différente, qui peut vous amener la célébrité aujourd’hui, et le lendemain sabrer votre ego d’une vilaine entaille (Patrick Poivre d’Arvor, romancier à succès, a reçu une volée de bois vert lorsqu’il s’avisa, imprudent, d’écrire une interview fictive avec Fidel Castro, tout en dégustant un café à la terrasse d’un café parisien). Aussi, lorsqu’un journaliste de talent clame, en pleine tempête médiatique, vouloir arrêter l’écrit journalistique pour "écouter les arbres ou les cœurs", il y a fort à parier qu’il n’a pas pris sa décision un matin en se rasant ; pareille initiative reflète quelque part une âme contrariée, l’orgueil blessé d’un personnage de renom. Car l’épreuve est difficile, un coup dur resté comme un os en travers de la gorge. On sent l’homme sévèrement atteint, se débattant comme une bête traquée, multipliant les interventions, mais qui n’arrive pas à admettre qu’il a failli (Umberto Eco l’a pourtant fait ; après la sortie de son "Le pendule de Foucault", il a reconnu qu’il s’était trompé, puis a continué d’écrire).

Inconsolable, son chagrin semble incommensurable ; alors il se lamente, pathétique, et en veut aux autres, à tous les autres. On découvre alors une personne sensible, fragile, étourdie par l’onde de choc qu’elle a elle-même provoquée, ébranlée dans ses convictions. Il dit vouloir arrêter mais il n’arrive pas ; un prestige à défendre, ça vous fait aller dans tous les sens, mais ça épuise, et on perd sa lucidité. Pourtant, s’accorder une pause, se faire oublier un temps, se taire même, peut se révéler parfois salutaire, comme il est toujours sain de se remettre en cause. Prendre le temps de méditer. Se reconstruire, autrement. Pour revenir, plus tard, le champ de son écriture élargi au-delà de la ‘’misère sexuelle’’ de nos jeunes.

Mais voilà, l’homme refuse d’entendre raison ; il s’accroche, se cramponne, veut convaincre de sa sincérité (ce dont personne ne saurait douter), et s’enfonce davantage. La démarche surprend et dénote un manque de maturité, elle insupporte et agace. ‘’Il faudrait un jour ouvrir le débat sur trois affects dominants en Algérie : la jalousie, la théorie du complot, le soupçon’’, écrit-il, puis renforce sa suggestion par les questions suivantes : ‘’Pourquoi croyons-nous que le reste du monde passe son temps à comploter contre notre pays ? Pourquoi on déteste la réussite de nos enfants et les décapitons par la haine dès qu’ils émergent ? Pourquoi voyons-nous des traîtres partout ?’’. D’où notre conclusion que la cause littéraire est en passe de devenir secondaire chez lui parce qu’il y a plus urgent : la peur des répercussions potentielles induites par l’échec. Apparaît alors une nouvelle argumentation qui oriente vers une étrange et inexplicable forme de fébrilité, et ne craint pas d’user de clichés jusque-là combattus.

Ainsi donc, son projet concernerait uniquement les Algériens, ce qui pourrait laisser supposer que les critiques de ses concitoyens lui ont fait plus de mal que celles des 19 chercheurs étrangers. Pourtant, à la lecture de ce qui s’est écrit de ce côté-ci de la Méditerranée, nous constatons que l’artillerie lourde s’est plutôt déployée sur l’autre rive, mais passons. Nous passerons rapidement aussi sur la puérilité de l’affect de la jalousie, abondamment rabâché par Yasmina Khadra et par d’autres plumes amères. Quand à la théorie du complot, de grâce, réservons-là à nos gouvernants, et à leurs partis et associations satellites, qui nous la sortent régulièrement pour celer leur incompétence et leur gabegie, la plèbe que nous sommes étant hermétique à ce concept depuis fort longtemps. Reste le thème du soupçon, celui qui nous accuse de penser que "tout enfant prodige est un ‘’vendu’’". Et là, nous restons médusés devant l’usage du mot ‘’prodige’’, à tel point que la seconde partie de l’assertion passe inaperçue (et nous indiffère par la même). Et là, nous comprenons l’angoisse du multi-lauréat. Et là, nous réalisons à quel point la gloire peut faire oublier l’humilité. Car, de notre point de vue, un enfant qui réussit et un enfant prodige ne sont pas synonymes. Elias Zerhouni est un médecin algérien parti en Amérique avec quelques dollars en poche, où il est devenu en quelques années le directeur de la Santé, nommé par le Président des Etats-Unis (excusez du peu), titulaire d’une quantité considérable de brevets sur l’imagerie médicale. Nous n’en dirons pas plus pour recommander que la qualification de ‘’prodige’’ soit utilisée avec doigté et discernement.

Gabriel Garcia Marquez, Assia Djebbar, Rachid Mimouni, et tant d’autres grands noms, immenses, ont écrit, énormément, superbement, mais ont laissé à la postérité le soin de juger leurs œuvres. Et généralement, le grand public ne s’y trompe pas. D’autant plus que l’auteur lui-même l’affirme: ‘’Etre un ancêtre, aux yeux de ses arrières-petits-enfants, cela se mérite’’. Une telle sentence impose le travail acharné, l’autocritique, l’acceptation de l’opinion contradictoire. Sans discontinuer. Sans besoin de ‘’comités de soutien’’ nord-coréens, ni de laudateurs zélés et bornés. Sans se croire le nombril du monde, et en s’interdisant farouchement l’autoglorification.

Doit-on rappeler que notre prestigieux personnage, il y a quelques années, s’en est pris violemment à Yasmina Khadra pour s’être rendu au Qatar aux fins de recevoir un prix ; ce dernier, au lieu de faire querelle, a écrit deux autres magnifiques romans. Sur notre lancée, citons Rachid Boudjedra qui s’est fâché que Boualem Sansal ait préféré, lui, partir en Israël et (paraît-il) prier devant le Mur des Lamentations ; ce dernier a écrit depuis "2084". Se sentir jalousé, croire constamment que les gens qui ne sont pas d’accord avec vous complotent nécessairement contre vous, ou vous accusent de trahison, relève assurément de la névrose, et prédispose au divan. Saïd Sadi devrait s’en mêler.

B. A.

(*) Universitaire

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Commentaires (3) | Réagir ?

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urfane

Du vrai sujet de cette polémique, la sexualité chez les adeptes de l'islam, si je ne m'abuse, vous n'en pipez mot! En revanche, l'analyse de Kamel DAOUD (dont, bizarrement, vous taisez le nom), courageuse et pertinente, semble vous rester en travers de la gorge! et vous invoquez pèle mêle autant de références (non algériennes) pour donner la réplique à KD. Vous auriez pu vous référer à Kateb Yacine pour retrouver un parallèle mais je présume que vos convictions dogmatiques vous barrent la voie....

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Hend Uqaci Ivarwaqène

Il n'y a pas de fumée sans feu !

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