Avant-projet de constitution : tamazight n’est ni constante nationale ni langue des institutions

Dans sa vision manichéenne, le législateur a minoré la dimension de tamazight.
Dans sa vision manichéenne, le législateur a minoré la dimension de tamazight.

En octroyant un strapontin à tamazight dans la future constitution du pays, le régime octroie du coup le même strapontin sur les plans politique, culturel, social et économique aux amazighophones.

Dans sa vision manichéenne, le législateur les considère comme des citoyens de seconde zone dans un pays "arabe" : "L’Algérie, terre d’Islam, partie intégrante du Grand Maghreb, pays arabe, méditerranéen et africain […]. Il ne maquait plus à les mettre dans une réserve, car un citoyen n’est pleinement citoyen que s’il jouit de tous ses droits naturels et constitutionnels, à savoir parler sa langue, l’écrire, la lire, l’utiliser dans toutes les institutions de son pays. Un proverbe kabyle traduit bien cette exclusion qui ne dit pas son nom et les vaines promesses du régime à satisfaire pleinement les Amazighophones : "Je t’offrirai volontiers le petit de ma mule quand elle mettra bas !"

Et pour cause. Tamazight en tant que langue, culture et civilisation, telle qu’elle figure dans la mouture de la constitution, ne fait pas partie des constantes de l’Algérie bien évidemment car elle n’est mentionnée nulle part. 2966 ans, elle se retrouve en marge de l’histoire dans on propre fief. Les constantes «officielles» sont l’islamité et l’arabité comme il est clairement stipulé dans le préambule de la constitution.

L’article3 qui consacre l’arabe comme seule langue nationale et officielle de l’état cache mal une réalité amère: Tamazight n’est pas la langue des institutions. Par voie de conséquence, elle ne se pratiquera jamais ni dans les tribunaux (ceux qui ne maitrisent pas l’arabe ne pourront pas se défendre en tamazight, leur langue naturelle) ni dans l’administration (on verra jamais sa carte d’identité, son passeport ou son acte de naissance écrits en tamazight comme l’a si bien dit "le Cardinal" Ouyahia), ni dans les autres institutions publiques (APC-APW, APN, les ministères). Ce n’est pas de sitôt qu’on entendra le président de la République s’exprimer dans la langue de son peuple ! Les députés, acquis au régime et inféodés à celui-ci, continueront à chahuter ceux qui s’exprimeront en tamazight lors des travaux de l’APN et, ce en toute légalité, conformément à l’article 3 de la constitution. Les Amazighophones n’auront plus le droit de s’adresser au policier ou au gendarme dans leur langue "nationale et officielle". Quand ils voyageront hors de leur "réserve", ils ne pourront pas s’exprimer en kabyle ou en chaoui devant un douanier. Même à l’intérieur de l’avion d’Air Algérie, ils n’entendront pas les consignes de sécurité prodiguées en langue "nationale et officielle" bis.

Quand, ils vont à l’hôpital, les médecins ne vous parleront pas en tamazight. Il faut se soigner en arabe, tout autre remède sera inefficace et tant pis pour le malade. Le receveur du bus ou le contrôleur du métro ne s’adressera pas à vous dans votre langue «nationale et officielle» et vous ne verrez pas les consignes de sécurité écrites dans une autre langue autres que l’arabe et le français. Si vous êtes égarés, vous êtes obligés de vous exprimer en arabe pour chercher votre chemin ; à la pompe à essence, on vous obligera à vous exprimer en arabe ! Vous ne verrez pas non plus les frontons des administrations écrits en tamazight.

A l’école, on continuera à apprendre tamazight comme langue étrangère, voire langue indigène ; elle sera toujours facultative ; elle ne concernera que les régions berbérophones. Elle ne sera qu’une matière noyée parmi tant d’autres. L’enfant amazighophone n’aura pas le droit d’apprendre les mathématiques ni les sciences en tamazight. La liste des non-dits que contient cette constitution est longue, très longue. L’article 3 sera toujours exhibé comme argument d’autorité, notamment par les ennemis impénitents de la dimension amazighe de l’Algérie: "[…] Le Haut Conseil est chargé notamment d’œuvrer à l’épanouissement de la langue arabe et à la généralisation de son utilisation dans les domaines scientifiques et technologiques […]" Encore un autre présupposé : tamazight ne sera pas utilisée dans les domaines scientifiques et technologiques. Elle reste langue d’une minorité, une langue folklorique pour amuser la galerie au besoin.

Le locuteur amazigh ne pourra pas s’épanouir dans sa langue. Au train où nous mène cette constitution, la seule chose qui nous reste est de pouvoir … pleurer en tamazight !

Et pour boucler la boucle, le strapontin peut à tout moment être éjecté ; ce n'est pas l’article 178 qui le protégera : «Toute révision constitutionnelle ne peut porter atteinte :

(1) au caractère républicain de l’Etat;

(2) à l’ordre démocratique, basé sur le multipartisme;

(3) à l’Islam, en tant que religion de l’Etat;

(4) à l’Arabe, comme langue nationale et officielle;

(5) aux libertés fondamentales, aux droits de l’homme et du citoyen;

(6) à l’intégrité et à l’unité du territoire national;

(7) A l’emblème national et à l’hymne national en tant que symboles de la Révolution et de la République."

Mais elle peut porter atteinte à Tamazight bien évidemment. Il suffit juste de le vouloir…Et ce ne sera pas ce qui va manquer à l’avenir comme ce fut le cas pour l’actuelle constitution qui a permis au président actuel de briguer quatre mandats de suite.

Comme on voit, cette constitution est truffée de non-dits qu’on ne manquera pas de mettre au jour au gré des circonstances politiques et des rapports de forces à l’intérieur du système.

Vouloir reconnaître le bilinguisme dans un pays viscéralement monolingue, uniciste, jacobin, autiste et réfractaire à toute différence d’ordre religieux, culturel ou linguistique est une hérésie politique.

Djamal Arezki doctorant en anthropologie, auteur et militant de tamazight.

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Commentaires (12) | Réagir ?

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adil ahmed

merci

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moh arwal

Ces faux jetons d' Oujda se cachent derrière la legitimité révolutionnaire alors quils l'ont trahie dès le départ

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